Bonjour. Pouvez-vous présenter pour ceux qui ne vous connaitraient pas encore ?
Comme beaucoup d’auteurs, j’ai commencé par écrire un livre autobiographique. C’était sur l’anorexie mentale et cela a été publié par Flammarion. Il a été remarqué, mais n’a pas eu de suite car mes textes suivants se trouvaient à cheval entre l’autofiction et le roman noir. Ils n’ont pas convaincu, à juste titre : ils étaient mal construits et la synthèse entre les deux approches ne se réalisait pas.
J’ai traversé un passage dépressif, lorsque ces machins hybrides ont été refusés par six ou sept éditeurs. Je me suis investie dans le métier que j’exerçais en parallèle, la chasse de têtes. Je ne songeais plus à écrire, mais, retour du refoulé, en 1988, je rencontre l’homme qui est toujours mon compagnon et qui est éditeur. Il comprend que je ne suis pas faite pour me mettre en scène – je ne suis pas Bukoswki ni le Miller de la trilogie en rose ( Plexus, Sexus, Nexus). Il me faut au contraire porter des masques pour m’épanouir sur le plan littéraire. Cela, il ne me l’explique pas, mais il me donne à lire les grands maîtres de la terreur : King, Dan Simmons, Peter Straub, Masterton, Koontz etc…
Je lis ça comme une droguée pendant deux ou trois ans et un jour, je tombe sur Anne Rice. Là, c’est le flash. Je pressens que ce type de littérature permet de voyager dans le temps et l’espace, de mettre en scène de belles histoires d’amour, le héros, immortel, se trouvant devant le choix crucial de métamorphoser l’élue en vampire, au risque de s’en faire détester, ou de la perdre à l’issue de son existence mortelle. Je devrais parler au féminin, car je fais immédiatement le choix de mettre en scène une héroïne vampire, car elles sont peu présentes dans la littérature fantastique. Et je pars sur le thème de la femme fatale : Carmen. Qui dans Rouge Flamenco devient Carmilla, en hommage au livre éponyme de Sheridan Le Fanu, l’auteur irlandais du dix-neuvième siècle. Transformée en vampire dans un bordel d’Alger au temps de la conquête française en Algérie, Carmilla devient, grâce à des Gitans, reine du flamenco à Séville, cela en clin d’oeil au livre de Mérimée Carmen.
Dans la foulée, j’écris La Déesse Ecarlate. Le berceau des Gitans étant l’Inde, il s’agit cette fois d’une variation sur les grands mythes hindouistes, Mâra, mon personnage, étant l’équivalent de la déesse Kali dans l’univers des vampires. J’avais promis une trilogie, mais après avoir passé cinq ans à écrire sur ce thème, j’avais envie de faire une pause et m’attaquer à autre chose. Je ne voyais pas comment poursuivre, après avoir exploré des thèmes aussi forts que la femme fatale, le flamenco, les légendes hindouistes, l’Inde éternelle et l’Inde moderne, le mysticisme…
J’écris alors un roman historique inspiré d’un fait réel : l’assassinat d’une chanteuse juive tunisienne, aussi célèbre que Oum Kalsoum au Maghreb dans les années vingt, par un amant qu’elle avait éconduit. Ce livre, qui m’a demandé une documentation importante sur le théâtre arabe, la musique arabo-andalouse et les rapports entre juifs et musulmans au temps de la colonisation française au Maghreb, s’est bien vendu en Tunisie. Mais je me suis aperçue que je n’étais pas faite pour le roman historique : la nécessité de respecter la vérité des faits bride trop mon imagination.
Je suis alors revenue à mes premières amours : le roman noir. En écrire était ma motivation première. Avant même d’avoir pris la plume, j’en avais lu des centaines, en particulier les chefs de file du « hard boil » américain des années trente aux années cinquante : Goodis, Chandler, Hammett, Chester Himes, Chase, Irish ; mais aussi des Français, Léo Mallet, Simenon, Simonin, les publications du Fleuve Noir des années glorieuses ; des inclassables proches du roman d’espionnage comme Eric Ambler ; des reines du polar comme Patricia Highsmith ou PD James, etc.
Ayant appréhendé des années durant les codes du polar, j’ai trouvé un angle d’attaque pour aborder mon premier livre dans ce genre : L’ange blanc s’habille en noir a ainsi été publié par l’Atalante en 2001. Cinq autres ont suivi, deux romans pour adultes et trois pour enfants. Ils ont pour cadre le bassin d’Arcachon et le Cap Ferret où je vis six ou sept mois par an. Ce long détour m’a permis de voir comment j’allais traiter le troisième opus de ma série vampirique (qui n’en est d’ailleurs pas une, puisque les trois ouvrages sont indépendants, même si certains personnages circulent de l’un à l’autre.) Et j’ai écrit Le Dernier vampire en utilisant les codes du polar que je maîtrise bien maintenant : une intrigue serrée, une construction à rebondissements et à suspense, un personnage central très mystérieux qui ne se dévoile que peu à peu…
Vous avez sorti il y a quelques semaines Le dernier vampire, dernier opus de la Trilogie en rouge. Pourquoi avoir attendu aussi longtemps pour clore la série ? Etant donné que les trois romans qui composent la Trilogie en rouge peuvent être lus indépendamment, pourquoi avoir choisi de les considérer comme une série ? Mis à part les vampires, et certains personnages récurrents, y-a t’-il un thème sous-jacent ?
Je crois que je n’aurais jamais rédigé ce troisième livre si je ne m’étais, entre temps, confrontée au roman noir. Cette étape m’a donné une maîtrise de la construction que je n’avais pas avant. Une plus grande rigueur dans l’écriture, une recherche permanente de l’efficacité, de la précision, pour tenir le lecteur en haleine de la première ligne à la dernière page. Puis quand on vit dans une presqu’île la moitié de l’année, on se doit d’appréhender les lieux de façon très précise. Les gens qui vous entourent et qui vous lisent les premiers sont d’abord des marins ou des chasseurs et ils ont un regard très pointu sur leur cadre de vie. Ils sont amoureux du Cap Ferret, cette épine dorsale de sable et de pins de trente kilomètres de long et de trois de large, battue par les vents et les marées ; ils ne vous pardonnent pas la moindre erreur relative à une description ou une expression ayant trait à leurs activités de pêche ou d’ostréiculture. Cela rend particulièrement rigoureux.
Pour en revenir à ma trilogie, il est vrai que les personnages passent d’un livre à l’autre, mais qu’il ne s’agit pas d’une suite. Comme il me faut deux ans et demi, en moyenne, pour écrire ce type de livre, je n’ai pas envie de prolonger la vie commune avec chacun d’eux trop longtemps. C’est une question de respiration ! Ces changements de lieux, de fil directeur et de héros me semblaient plus motivants. Aucune envie de ronronner, de dérouler les mêmes thèmes d’un roman à l’autre. Un changement radical de point de vue est un défi que l’auteur se lance à lui-même. C’est excitant de s’y confronter.
En ce qui concerne le thème sous-jacent à cette trilogie, il tourne autour du sang, que je nomme «
l’or rouge ». C’est la ressource par excellence des Immortels qui ne peuvent survivre sans en absorber. D’où les conflits violents entre les vampires pour son appropriation ; la crainte que le sang ne s’appauvrisse en raison de la contamination de « la chaîne alimentaire » par des maladies génétiques ou contagieuses ; le désir de maîtriser cette ressource en se lançant dans des travaux scientifiques, menés dans la sphère vampirique ou en collaboration avec des mortels…
Alors que les vampires de vos précédents opus étaient des femmes (Mara et Carmilla), le principal vampire qui apparaît ici est un homme. Comment expliquez-vous ce changement ?
En revenant à la littérature fantastique, je souhaitais construire une oeuvre classique, intemporelle, qui laisserait une trace dans les mémoires. Donc je suis revenue aux grandes sources littéraires du mythe : le Dracula de Bram Stoker, revisité par Coppola au cinéma. Il était évident, dès lors, que mon héros, Donnadieu, serait un homme. J’avais aussi envie de changer de regard, de me renouveler, surprendre le lecteur et de me surprendre moi-même : on ne travaille bien que si l’on s’amuse ! Puis, dans les polars pour adultes que j’avais écrits, mon narrateur-enquêteur était un homme. J’ai donc conservé ce point de vue masculin sur le récit car je m’y étais sentie à l’aise.
Utiliser l’Histoire quand on travaille sur le thème de l’immortalité est pour moi une évidence. Comme le héros ne meurt pas, on peut jouer avec les contenus de son inépuisable mémoire, le faire circuler d’une époque à l’autre, en faire le spectateur, cynique et souvent déçu, des périodes qu’il traverse, voire un acteur très impliqué dans la résolution d’un conflit, une sorte de deus ex machina…. Bref, le plonger dans le bouillon de l’Histoire et voir comment il se débrouille pour surnager.
Pour Le Dernier vampire, je me suis arrêtée sur cette séquence clé de la Révolution française qu’est la Terreur. Je songeais depuis des années à construire une intrigue qui se déroulerait pendant la Révolution, mais je ne voyais pas comment le faire. Je ne suis pas historienne, donc pas question de me lancer dans un roman historique pour une période aussi complexe.
À la demande d’un directeur de collection qui souhaitait faire un ouvrage thématique sur Alice , j’ai rédigé une nouvelle qui s’intitulait Alice au pays des droits de l’homme dans laquelle l’héroïne, la jeune Alice de Lewis Carroll, traversait en accéléré quelques-uns des grands épisodes de la Révolution : la fuite du roi à Varennes, l’assassinat de Marat, une séance houleuse à la Convention, Thermidor… Ce travail m’a plu, mais la nouvelle n’a jamais été publiée car mon interlocuteur ne s’attendait pas à cette approche, et je le soupçonne de n’y avoir rien compris.
Elle est restée dans mes cartons, mais je me suis mise à lire nombre d’ouvrages ayant trait à cette période clé de notre histoire : des travaux d’historiens, des biographies, des monographies, et bien sûr les grands textes de Lamartine, Balzac, Victor Hugo…
J’ai compris ainsi que la Révolution pouvait se lire comme une épopée, qu’elle avait été animée par des héros qui avaient la grandeur ou la noirceur (ou les deux) des héros de la tragédie grecque. Car toute cette période est incroyablement tragique : 200 000 morts en dix ans, des destins fauchés, de brillants jeunes gens qui voulaient devenir célèbres et participer à la construction de l’état moderne né des décombres de l’Ancien Régime, condamnés à la guillotine ou au suicide… Quelle matière pour un écrivain !
Dès lors je savais que Donnadieu aurait traversé ces années agitées. Il y a eu beaucoup d’ouvrages sur la chute de la royauté, la prise de la Bastille, les Montagnards, la Terreur ou la réaction thermidorienne, quasiment rien sur les Girondins depuis Lamartine. Tropisme bordelais oblige, puisque je vis beaucoup dans le Sud ouest, j’ai décidé de centrer le livre sur le moment charnière au cours duquel les Girondins, attaqués de toutes parts pour leurs fautes politiques, perdent le pouvoir au profit des Montagnards, soutenus ou plutôt téléguidés par la Commune de Paris.
Car cette séquence, dramatique s’il en est, peut se lire comme une pièce de Racine : il y a l’ascension, la gloire fulgurante, la chute brutale et la mort. Dès lors j’avais tous les ingrédients de ma cuisine : l’intrigue serrée d’un polar, un héros masculin opposé à une femme flic marginale, têtue est rebelle, une séquence politique et historique forte pouvant donner lieu à des allers-retours permanents entre la scène révolutionnaire et la période actuelle. Il n’y avait plus qu’à écrire !
Le thème du vampire est particulièrement à la mode en ce moment. Quel regard portez vous sur la Bitlit, ou sur des oeuvres comme Twilight (plus Young-Adult) ? Comment expliquez-vous leur succès ?
Pour être honnête, je connais mal la bitlit, je n’en lis pas, peut-être pour préserver mon univers d’auteur. Je n’ai pas lu non plus Stephenie Meyer. Cela peut paraître bizarre, mais un jour, je discutais avec Georges Arnaud, l’auteur de la série La compagnie des Glaces qui est à mon avis, l’équivalent de Dune dans la littérature française. Un truc de géant ! Hé bien lui m’a confié qu’il ne lisait pas plus de SF que je ne lis de bitlit, comme quoi…
Indépendamment des sources d’inspiration que j’ai citées plus haut, ce sont les auteurs français du dix-neuvième siècle, Flaubert, Maupassant, Zola entre autres, qui m’ont servi de modèles. D’où mon écriture, volontairement très classique.
En ce qui concerne le succès de la littérature vampirique ces temps-ci, j’ai constaté qu’il y avait des cycles. Stephenie Meyer a déclenché le dernier ; il y a vingt ans, c’est Anne Rice qui a ouvert le bal. Et dans les années soixante-dix Polanski avec son film Le bal des vampires, justement. Chaque cycle correspond, je crois, à une génération de lecteurs. Lorsqu’une génération passe à un autre type de lecture, le genre s’étiole et revient sous les feux de la rampe à la génération suivante.
Quelles sont vos premières et dernières rencontres avec un vampire (littéraire et / ou cinématographiques) ?
Ma première rencontre avec un vampire au cinéma : le film de Polanski cité plus haut, suivi de Nosferatu fantôme de la nuit de Werner Herzog avec l’inoubliable Klaus Kinski. Et tous les films de la Hammer , notamment ceux de Terence Fisher avec l’increvable et indémodable Christopher Lee (j’adore !). En noir et blanc, le merveilleux masque du démon de Mario Bava. Plus récemment Entretien avec un vampire bien sûr. Mais j’ai une préférence pour le Dracula de Coppola, qui est beaucoup plus romantique. En littérature, j’ai aussi fréquenté dans les années quatre-vingt-dix les textes de Jeanne Kalogridis publiés par le regretté Patrice Duvic dans la collection Terreur de Pocket. Rien depuis lors, j’ai replongé dans l’histoire et le polar.
Pour vous, comment peut-on analyser le mythe du vampire? Qu’est ce qui en fait la pérennité ?
Le mythe du vampire repose à mon avis sur deux ou trois points clé :
– La recherche de l’immortalité : elle préoccupe l’humanité depuis le début de l’Histoire. Prolonger la vie est le désir le plus profond de l’homme. Il y a donc des vampires dans de très anciens mythes hindouistes. Il y a des références au sang et à l’immortalité dans l’Odyssée. Ce thème traverse la littérature depuis toujours. Je vous renvoie à Sang pour Sang un petit essai publié chez Gallimard, qui balaie les sources du mythe. C’est très intéres(sang).
– L’amour absolu : c’est l’histoire de Tristan et Yseult transférée dans la littérature fantastique. C’est aussi passionnant à lire qu’à écrire.
– Le sang comme source de vie… et source de mort s’il est contaminé ou empoisonné ou absorbé après le décès de la victime…
– Les jeux sur le temps dont je parlais plus haut.
Avez-vous encore des projets de livres sur ce même thème ? Quelle va être votre actualité dans les semaines et les mois à venir ?
Après avoir terminé Le Dernier vampire, j’ai rédigé un projet avec Donnadieu comme personnage central de mon histoire. Je n’arrivais pas à me séparer de ce héros auquel je m’étais beaucoup attachée. Je ne sais pas encore si j’irai au-delà de l’ébauche. J’ai des problèmes avec les séries. J’aime bien en lire, moins en écrire, je crains de m’ennuyer. Je laisse les choses se décanter. J’ai depuis écris un autre polar pour enfant. Et là, je travaille sur un roman contemporain, qui relève plus de la littérature blanche que de la noire. Je verrai après si Donnadieu continue à me faire des clins d’oeil…
Bonjour Jeanne
J’ai un projet de doc sur les vampires modernes, peut-être pouvons-nous nous retrouver pour en parler et parler aussi de ce temps qui a passé…
à bientot je l’espere – chantal