Bonjour Alain. Pouvez-vous vous présenter pour ceux qui ne vous connaîtraient pas encore ?
Bonjour. Je m’appelle Alain Pozzuoli, je suis auteur… au sens large du terme, c’est à dire que j’écris des livres, des chansons, des scénarios, des dramatiques et feuilletons radio, parfois des articles, et je suis également anthologiste, et biographe français de Bram Stoker.
Comment en arrive-t-on à être considéré comme le biographe français de Bram Stoker ?
Tout simplement parce que j’ai été le premier en France à publier une biographie de l’auteur de Dracula. C’était en 1989, il n’y en avait jamais eu en français, et par la suite j’ai continué à me consacrer à cet auteur pendant des années. J’ai travaillé avec un traducteur (Jean-Pierre Krémer) avec qui nous avons pas mal « débroussaillé » l’œuvre de Stoker pour la faire connaître en France, car à l’époque, à part Dracula, Le repaire du ver blanc, et Le joyau aux sept étoiles, il n’y avait rien d’autre de traduit en français.
On a ainsi publié un bon nombre de nouvelles (car Stoker est un excellent novelliste) et de textes inédits. Le dernier ouvrage commun a été le Bram Stoker-Œuvres paru chez Omnibus, en 2004, qui rassemble tout ce qu’on a fait ensemble. On a également publié un autre ouvrage dont je suis très fier, le tout premier livre de fiction de Stoker, Au-delà du crépuscule. C’est un recueil de nouvelles pour enfants (mais en fait, quand on le lit on se rend compte que ce n’est pas aussi réducteur !) et que l’on a édité avec les reproductions d’époque qui illustraient le livre en 1879. Il est paru chez José Corti Editeur, en 1998, et c’est un véritable objet de collection !
Se prendre d’affection pour le travail de l’auteur de Dracula devait-il nécessairement déboucher sur un intérêt fort pour le thème du vampire ?
Dracula a été le choc littéraire de ma vie (j’avais 14 ans quand je l’ai découvert, et je ne savais évidemment rien de son auteur !). Ceci m’a amené par la suite à m’intéresser à Stoker, à ses autres livres, et je me suis naturellement tourné ensuite vers d’autres auteurs du genre, notamment Le Fanu qui m’a aussi beaucoup passionné…et une passion s’éteint rarement, elle se bonifie avec le temps, donc j’ai continué à m’intéresser aux vampires en général qui représentent pour moi le plus beau mythe de la littérature (et du cinéma).
Vous avez également travaillé sur une adaptation radiophonique de Dracula. Quelle en est la genèse ? Y a-t-il aujourd’hui une possibilité de l’écouter ?
Non, ça c’est une petite erreur que j’ai trouvée sur internet dans des articles me concernant. Je n’ai jamais adapté Dracula à la radio, pour la bonne raison que lorsque je travaillais beaucoup pour France-Culture, j’y avais évidemment pensé, et je m’étais alors rendu compte qu’il existait déjà deux adaptations, assez récentes, en feuilleton de ce roman. J’ai donc pensé que c’était inutile d’en faire une troisième. Par contre, j’ai fait une dramatique en deux parties (2 x 1 heure) sur la vie de Bram Stoker qui s’intitulait tout naturellement Bram Stoker. (Jean-Luc Bideau incarnait Stoker).
Mais j’ai adapté en feuilleton le roman, Le joyau aux sept étoiles, et j’ai fait une dramatique à partir de la nouvelle L’invité de Dracula. Tout ça c’était sur France-Culture, mais malheureusement c’est difficile à retrouver aujourd’hui, à moins de faire appel à l’INA. Mais je ne désespère pas de convaincre France-Culture de rediffuser ces émissions en 2012, à l’occasion du centenaire de la mort de Stoker. Si c’était le cas, je ne manquerai pas de vous en avertir !
La bible Dracula, récemment publiée chez Le pré aux Clercs, est un ouvrage qui aura connu plusieurs rééditions et augmentations, depuis sa première parution à l’occasion du centenaire du roman. Pensez-vous que cet ouvrage trouvera un jour sa forme définitive ?
En toute logique, c’est le genre de livre qui ne devrait jamais avoir de forme définitive puisque le thème du vampire est si vivace qu’il y a éternellement des nouveautés, que ce soit en littérature, comme au cinéma. Donc, je ne sais pas s’il trouvera un jour sa forme définitive…J’espère que non, ce sera bon signe !
Parmi vos récentes publications sur le thème du vampire se trouve un livre de recettes intitulé Quand les vampires ont les crocs. D’où vous est venue cette idée ?
C’est venu très simplement. J’adore la cuisine, j’adore la faire (je trouve ça aussi créatif que d’écrire un livre !) et j’adore aussi la manger, et surtout la faire partager. (Je suis d’une famille lyonnaise et j’ai des origines italiennes, donc la cuisine on connaît çà !!!). Il se trouve que j’avais envie depuis longtemps de faire un livre de cuisine, mais il y en a tellement qu’il fallait absolument trouver un angle particulier qui le distingue des autres.
J’ai évidemment pensé tout de suite à lier vampires et cuisine, mais au début je ne voyais pas bien comment faire. Il ne suffit pas de mettre du ketchup dans un plat pour que ça justifie qu’il fasse partie d’un livre de cuisine vampire ! Je voulais que ce soit argumenté, qu’il y ait une vraie raison. Puis un jour j’ai eu l’idée : « Chercher dans les livres et dans les films de vampires les passages où les personnages sont au restaurant, à l’auberge, à la maison, etc! » J’ai ainsi trouvé le principe du livre et je n’ai eu qu’à rechercher les recettes correspondantes pour construire mon livre, en agrémentant le tout de références littéraires et cinématographiques liées à chaque recette.
Comment avez-vous établi le corpus d’oeuvres et de lieux qui ont servi de matière première à cet ouvrage ?
En fonction des livres et des DVD que j’avais, et en faisant quelques recherches pour ceux que je n’avais pas. Comme il s’agit d’un véritable livre de cuisine, il fallait que je respecte les différentes catégories : « Entrées », « Plats de résistance : viandes et poissons », « Desserts », « Boissons », et une partie « Menus ». J’ai même pensé aux végétariens (grâce à Twilight, il faut lui rendre cette justice !!!) Le vampire étant un phénomène culturel international, j’ai aussi voulu que différents pays soient représentés, c’est pourquoi on trouve des recettes du monde entier : Italie, Grèce, Etats-Unis, Mexique, Portugal, Irlande, Inde, etc. La seule obligation était qu’il y ait vraiment un lien précis avec le pays en question et les vampires.
Votre dernier livre sur le sujet, Le goût des vampires, est d’un tout autre genre, vu qu’il s’agit d’un recueil d’extraits sur le sujet. Comment avez-vous sélectionné les textes qui y figurent ?
J’ai tenu compte de trois choses, mes goûts personnels, les textes « obligés », c’est-à-dire les grands classiques qui se devaient de figurer dans un tel livre, et puis aussi offrir quelques surprises. J’ai essayé de trouver des textes un peu inattendus comme Les vampires de l’Alfama de Pierre Kast ou La forteresse noire de F. Paul Wilson ou encore Rouge Flamenco de Jeanne Faivre d’Arcier que je suis content d’avoir trouvés.
Si on ne trouve pas que des textes du XIXe siècle dans ce petit opus, on y trouve cependant peu d’oeuvres dès 10 dernières années. Comment expliquez-vous ce choix ?
Pour une basse raison matérielle, à cause des droits parfois trop élevés, mais aussi parfois parce que les éditeurs ou les auteurs ne veulent pas qu’on utilise les textes par morceaux (or il y a une charte très précise à respecter dans cette collection, on ne peut prendre que de courts extraits !). Pour les textes les plus récents, j’avais, dans un premier temps, pensé mettre des extraits de romans de Bitlit, mais j’y ai renoncé, je trouvais ça trop mauvais, j’ai acheté au moins une dizaine de romans de ce genre et j’ai été incapable de trouver un passage qui soit suffisamment intéressant pour illustrer ce thème !
Le thème du vampire est particulièrement à la mode en ce moment. Quel regard portez vous sur la Bitlit, ou sur des oeuvres comme Twilight ? Comment expliquez-vous leur succès ?
Je vais faire une réponse de Normand ! Je suis à la fois contre et pour. Je suis contre parce que la Bitlit est une littérature de très mauvaise qualité (cf la réponse précédente !), ça correspond pour moi à ce que l’on appelait avant « la littérature de gare » ; c’est-à-dire une littérature sans qualité littéraire, sans exigence …mais qui se vend comme des petits pains. Par contre le côté positif c’est que je me dis que si ça donne le goût de la lecture à ceux et celles qui la lisent, ça permettra peut-être à ces mêmes lecteurs d’aller par la suite vers une littérature plus ambitieuse et de découvrir de grands classiques du genre comme Stoker, Le Fanu, Poe, Lovecraft, etc.
Quant à expliquer le succès de cette littérature, je pense que ça tient à un bon marketing, je ne vois pas d’autre explication ! Je crois qu’il y a un sérieux malentendu entre la bitlit et la vraie littérature de vampire, car la bitlit a complètement édulcoré et amoindri le genre, elle en a fait quelque chose de « gnan-gnan », de très « cul-cul la praline », alors qu’au contraire, le vampire est un thème sulfureux, subversif, or la bitlit a fait du vampire un être transparent, sans personnalité. C’est un comble pour moi ; imagine-t-on un Dracula transparent, sans relief ? C’est un non-sens.
Quelles sont vos premières et dernières rencontres avec un vampire (littéraire et / ou cinématographiques) ?
Ma première rencontre, je l’ai dit plus haut, était le Dracula de Stoker ! Peut-on rêver de mieux ? J’ai eu la chance de commencer dans le haut de gamme ! Par contre j’ai eu d’autres belles révélations par la suite ; Carmilla de Le Fanu qui est une sorte de pendant féminin de Dracula, aussi subversif, aussi troublant, surtout pour l’époque où il fut écrit. Je suis une légende de Richard Matheson qui a été et reste encore un grand bouquin !
Mon dernier grand coup de cœur dans le genre est le livre absolument génial de John Ajvide Lindqvist, Laisse-moi entrer, qui clôt d’ailleurs mon Goût des vampires. C’est un chef d’œuvre absolu, le contraire total de la bitlit. Ce livre pour moi est aussi novateur dans le genre que le roman de Matheson le fut dans les années 1950. Il a réinventé le genre. Et les deux adaptations cinématographiques qui en ont été tirées m’ont aussi stupéfait, elles étaient excellentes…même le remake, ce qui est pourtant rarissime pour un remake !
Pour vous, comment peut-on analyser le mythe du vampire? Qu’est ce qui en fait la pérennité ?
Peut-être justement parce qu’il évolue sans cesse et aussi parce que c’est un miroir. Celui de nos peurs, de nos frustrations, de nos fantasmes les plus secrets. Et c’est un personnage qui se fond dans tous les milieux, toutes les époques, toutes les situations. Le vampire est un être qui doit combattre seul face à une société hostile (et en ce moment on peut dire que c’est une situation d’actualité !), on le prend donc forcément immédiatement en sympathie. Et puis il y a l’attirance érotique du vampire. N’oublions pas que c’est un séducteur. On peut le voir aussi comme un prédateur, mais là entre en jeu le phénomène « attirance-répulsion », on n’y peut rien, ça fonctionne toujours, quelque soit le sexe ! Le vampire est en fait l’illustration de toutes les pulsions et de toutes les contradictions humaines !
Avez-vous encore des projets de livres sur ce même thème ? Quelle va être votre actualité dans les semaines et les mois à venir ?
Mon prochain livre à paraître sera une nouvelle biographie de Bram Stoker qui, pour l’instant, s’intitule L’ombre du vampire, et qui sortira aux éditions Pascal Galodé, en mars/avril 2012. Vingt ans plus tard, je pense apporter une vision nouvelle du personnage ; à force de le côtoyer régulièrement depuis des années, je suis arrivé à dénicher en lui des choses que tout le monde n’avait pas perçues, du moins je l’espère.
En radio, je prépare une dramatique pour France-Inter dans la série Au fil de l’histoire, sur le centenaire de la mort de Bram Stoker ; ça devrait être diffusé aux alentours de la date anniversaire de sa mort, le 21 avril.
Et puis je pars dans quelques jours en Irlande, à Dublin, pour tourner un documentaire sur la ville et ses liens avec le fantastique. Ca fait partie d’une série que j’ai entamée avec le réalisateur Jean-Michel Ropers avec qui nous avons déjà tourné, l’année dernière, le premier volet consacré à la ville de Whitby, en Angleterre (où Stoker a situé plusieurs chapitres de Dracula !).
Sinon, il y a d’autres projets mais qui ne sont pas encore signés, donc par superstition, je préfère les laisser dans l’ombre (du vampire !) pour l’instant !