Y a-t-il une place particulière donnée au vampire dans votre ligne éditoriale, au vu de son succès actuel ?
Oui à l’évidence. Actuellement, chez Milady, la Bilit représente la moitié de notre production, soit 5 à 6 nouveautés par mois, ce qui est énorme. Milady publie énormément en poche — aux alentours de 100-150 titres par an — et la moitié de ce programme est consacré à la Bitlit , avec beaucoup de vampires. Et s’il n’y en a pas, il y a quand même une connivence très grande pour le lectorat. Ajoutez à cela Castelmore, avec quelques séries — mais non des moindres —, comme Vampire Academy, ou Vampire Kisses, qui vient d’arriver. Donc oui, c’est une part importante.
Ce qui peut paraître paradoxal étant donné son succès actuel, c’est que l’idée n’a pas été de se concentrer sur les vampires. Très honnêtement, pendant très longtemps, on n’a pas fait — ou très peu — de romans avec des vampires, car on pensait que ce n’était pas le moment. Dans les genres de l’imaginaire — comme dans les autres genres —, il y a vraiment des moments. Il y a des phases, des cycles, durant lesquels on se dit « C’est le moment de faire ce genre de bouquin », et d’autres où on se dit « Non, là ça va tomber complètement à plat, ça n’intéresse personne » (sauf si on s’intéresse vraiment à une niche hardcore de fans du genre). On avait d’ailleurs déjà fait quelques tentatives, comme Vampyrrhic de Simon Clark, et ça n’a absolument pas marché. Le déclic n’était pas encore là.
Le déclic se situe sur un autre type d’histoire avec les vampires : c’est ça, la grosse différence. Quand on regarde notre ligne éditoriale, on se dit que ce qui se passe avec la Bitlit et le paranormal en Young Adult, c’est une nouvelle perception de la figure du vampire, une appropriation dans les histoires et dans le cœur des lecteurs/lectrices, et c’est ça qui fait que, finalement… Je ne dirais pas que c’est par accident qu’on a autant de vampires dans notre ligne éditoriale, mais on les a retrouvés d’une autre façon. Et c’est un rendez-vous qu’on a attendu longtemps.
En 1997, on a découvert Buffy avec Alain (ndlr : Nevant, gérant de Bragelonne). J’avais un copain à l’époque à New York qui m’enregistrait les VHS et qui me les envoyait pour que Alain puisse les chroniquer. Maintenant on peut se dire « Ah la la, il en a fallu du temps pour enfin pouvoir donner une place littéraire à ce genre d’histoire ! ». Ce qui me fait très plaisir c’est que là, on a des projets français avec des romans de vampires que je présente à des éditeurs internationaux. Je donne le pitch, et j’ai une éditrice polonaise qui me dit tout de suite « Ah c’est Buffy ! Je reconnais le trio ! » Et c’est super, ça veut bien dire qu’il se passe quelque chose. Pas seulement à propos d’une mode qui marche, mais les retrouvailles avec des choses que les gens aimaient — éditeurs, agents, auteurs, etc. —, qui, avant, n’avaient pas de place sur le marché, et qui ont maintenant une place en or.
Comment choisissez-vous les auteurs que vous éditez – sur le sujet ou de manière globale – parmi l’abondante production du genre outre-Atlantique ?
C’est difficile, et en même temps, c’est difficile de dire que c’est difficile, parce que c’est de la gourmandise. C’est comme entrer dans une pâtisserie et avoir envie de tout acheter. Il faut donc choisir. Premièrement, il y a les coups de cœur. Quand on a commencé la Bitlit@, on n’a pas pris que les meilleures ventes, et, d’ailleurs, on n’a pas fait que de bonnes ventes. Il y a des bouquins ou des auteurs qui ont eu du mal à percer, et d’autres qui n’ont pas percé du tout, raison pour laquelle on a dû interrompre Jaz Parks, par exemple, ou Ilona Andrews, qu’on va essayer de relancer à la fin de l’année. Bien sûr, les meilleures ventes sont un indicateur. Le buzz internet — c’est-à-dire les recensements sur les forums, ce système de recommandations extraordinaire dans ce domaine, de site en site, de forum en blog, etc., — nous aide à nous orienter vers ce qui est le plus fédérateur aujourd’hui, ce qui fait qu’il y a une plus grande part du lectorat qui se réunit autour de ces œuvres-là.
Le deuxième aspect, c’est évidemment un aspect un peu généalogique. C’est-à-dire qu’on commence à faire de la Bitlit , mais qu’on n’a pas Anita Blake, et on se dit que ce n’est pas possible. On a mis un peu de temps à la récupérer. Donc là, il y avait une anomalie. On fait sur la Bitlit ce qu’on a fait avant sur la Fantasy, à savoir reconstituer les étapes de l’évolution du genre, de façon à ce qu’on puisse dire « Ca vient de là, ça a évolué comme ça, maintenant il y a des nouveaux qui font ça, il y a de nouvelles branches, etc. », et essayer d’avoir autant que possible l’ensemble du paysage.
Ensuite, tout simplement, on les lit, et on en aime plus que d’autres. Il y a des auteurs qui sont de super best-sellers, dont les agents me disent « Stéphane, n’hésite pas une seconde. Regarde les chiffres de vente, c’est monstrueux ». Et on lit, « bon… », on fait lire par quelqu’un d’autre, « bon… », on fait lire encore par quelqu’un d’autre, et « bon désolé, j’ai 4 personnes qui ne sont pas intéressées, je ne vais pas le faire juste parce que vous me dites que c’est un best-seller ». Parce que ça ne marche jamais comme ça. Ce n’est pas parce que ça marche aux States que ça marche ici.
Ceci dit, d’une façon générale, il a quand même été relativement facile de repérer les grandes figures, les grandes séries, les incontournables, comme Kim Harrison, Kelley Armstrong, Patricia Briggs, JR Ward, Laurell K Hamilton, Karen Chance. Il y a eu assez rapidement une sorte de top ten pour lequel on se disait « Si on lit cela en premier, il y a des chances qu’on aime ». Ensuite, il y a des découvertes un peu particulières qui commencent à arriver, des choses dont assez peu de gens ont entendu parler, comme J.F. Lewis par exemple, des petites séries qui commencent, comme Jess Haines, qui est vraiment un coup de cœur d’Isabelle (ndlr : Varange, directrice éditoriale de Milady). Avec juste un premier roman même pas publié, elle a dit « J’adore faisons-le ! ».
Dernier aspect — et non des moindres — : on ne peut pas tout faire en même temps, donc il faut essayer de séquencer. C’est-à-dire choisir à quel moment on lance cette série, à quel moment on lance celle-là, si on peut trouver une sorte de ligne directrice qui les relie. Du genre JR Ward, Lara Adrian, Alexandra Ivy, avec une idée d’une rencontre, vu que, dans chaque volume, on a en gros un vampire et une mortelle, un couple qui se forme, à chaque fois. On peut se dire que c’est une façon assez pratique d’expliquer rapidement au libraire ce que c’est. Parce qu’évidemment, un des enjeux majeurs, c’est que le libraire est déjà complètement largué parce qu’il a déjà plein de choses à lire. Donc il faut pouvoir lui dire « Voilà, celui-là, c’est ça », qu’il le saisisse hyper facilement, et qu’il puisse le caser dans telle ou telle tendance.
Pourquoi ne pas ouvrir votre label Milady aux auteurs français ? Pensez-vous que les auteurs français qui s’essayent à la bitlit ou à la romance paranormale ont du mal à trouver un lectorat ? J’avais notamment entendu parler du fait que, il y a quelques années, chez Pocket, était sorti les deux premiers tomes d’une série de Jeanne Faivre d’Arcier, et cru comprendre que Milady/Bragelonne devait reprendre la série et en publier le troisième tome. C’était prévu à la fin de l’année, et depuis plus de nouvelles. Donc est-ce que ça montre aussi le fait que les auteurs français, c’est plus difficile à ce niveau-là ?
C’est une très bonne question. Il y a plusieurs aspects à ça. Premièrement, quel que soit le genre, et quelle que soit sa nationalité, un auteur est un auteur, et si il nous dit « Je n’y arrive plus, j’ai besoin de penser à autre chose pendant 3 mois », et bien il pense à autre chose pendant 3 mois, et toi tu attends 3 mois de plus ton bouquin. Dans le cadre de Jeanne Faivre d’Arcier, c’est toujours prévu. Elle s’est mise à réécrire son manuscrit depuis l’automne dernier, et j’ai une nouvelle version, qui est super intéressante. À mon avis, là, on est dans un autre type de romans vampiriques. On est plus proches d’Anne Rice et de Chelsea Quinn Yarbro que de la Bitlit qu’on voit aujourd’hui. En effet, il y a du boulot, mais c’est une grande auteur. Le troisième tome se situe entre Anne Rice et Fred Vargas, c’est-à-dire qu’il y a un côté enquête policière, avec un protagoniste féminin, et une réflexion que je trouve passionnante sur la Révolution française comme événement majeur par rapport aux vampires (symboliquement, la fin d’une aristocratie). Il y a un regard un peu à la Anne Rice, par rapport à l’Histoire française, que je trouve très intéressant. Tout ça pour dire : ça arrive, mais il y a un processus d’écriture et réécriture qui prend du temps.
Sur la question générale – la Bitlit et les Français —, il y a des projets qui arrivent, et qui sont super intéressants. La difficulté est toujours la même : qu’est-ce qu’un Français/francophone va apporter par rapport à des auteurs américains ? Ou alors, est-ce qu’il faut vraiment qu’il apporte quelque chose de différent ? Tout le complexe de l’apport d’un auteur français dans un genre — d’ailleurs c’était pareil pour le thriller ou le polar il y a 20-30 ans — est de savoir si, quand un français arrive et dit « J’ai une idée, une série de Bitlit super, ça se passe à Chicago, ou à Cincinnati, etc. », le premier réflexe sera de dire « Tu crois vraiment que tu vas décrire Chicago comme Chloe Neill ? Pourquoi Cincinnati ? Il y a Kim Harrison ».
Et d’un autre côté, pourquoi ne le ferait-il pas ? Il a le droit. L’attitude inverse ce serait de dire « Comme je suis français, je vais faire un truc qui se passe à Paris, à Lausanne, à Montréal, ou Tombouctou ». En gros, proposer quelque chose qui est lié à sa culture, à sa connaissance, à sa perception du monde, qui est spécifique aux Français, et qu’un Américain ne saurait pas faire. Passionnant. Mais l’autre problème qui se pose — je suis désolé, je passe souvent aux problèmes, et je devrais être plus optimiste que ça, mais je pense que ces problèmes sont intéressants –, c’est que, par exemple : je suis lectrice de Bitlit , j’adore les trucs qui se passent aux États-Unis, je n’ai lu que ça… Est-ce que j’ai vraiment envie de lire un truc qui se passe à Grenoble ? Ou à Dunkerque ? C’est pas super sexy. En même temps, c’est un challenge. C’est à toi, auteur, de faire de Dunkerque la capitale des vampires, et de faire un truc fascinant et extraordinaire. Bonne chance ! Mais si t’y arrives, génial.
Après tout, les auteurs de polar français y sont arrivés. Quand tu lis Grangé, ça se passe à Grenoble, et c’est fascinant, c’est passionnant. Tout ça pour dire que je reçois plein de projets. Et finalement, à l’arrivée, je ne me pose pas trop la question de savoir si c’est ça qu’il fallait faire. Je me demande si c’est bien, si c’est bien écrit. Ceci dit, il est évident qu’il va falloir passer des barrières, comme toujours, exactement comme pour la Fantasy il y a 15 ans. C’est-à-dire que, dans un genre qui est représenté à 100 % par les Anglo-saxons, on déguise le français et on lui met un pseudo ridicule. J’ai toujours été contre. J’ai des auteurs qui me le demandent — des auteurs reconnus en plus —, qui me disent « Je voudrais prendre un pseudo pour la Bitlit , parce que si c’est signé Michel Chambier, c’est ridicule ». Je suis toujours très hésitant et même assez réticent à ça. Je trouve ça un peu con. « Tu vas venir ici aux Imaginales, et il va y avoir des fans qui vont chercher John Smith, et va falloir dire « Ouais, salut, c’est moi John Smith ». Au contraire, je pense qu’il faut jouer la carte des auteurs. Si demain Pevel ou Anne Guéro veulent faire de la Bitlit , il faut signer Pevel ou Anne Guéro.
J’ai Lu a justement fait récemment une nouvelle série bitlit — Rebecca Kean — qui a été écrite par une auteure française. C’est au moment de mettre la chronique en ligne qu’on s’est rendu compte qu’on ne trouvait rien sur l’auteur nulle part, ni aucune mention de traducteur, et on a découvert que c’était une auteure française publiée sous pseudo. Mais il n’y a eu aucune communication ouverte là-dessus, et c’était très opaque à ce niveau-là. C’est dommage de ne pas avoir communiqué ouvertement sur la nationalité de l’auteur…
Je suis d’accord. Mais il y a une autre raison pour cela. Elle est journaliste, et ça peut donc être un peu délicat pour elle. Il y a une sorte de déontologie qui veut ça. Par exemple, avant Bragelonne, Henri (ndlr : Loevenbruck) et Alain (ndlr : Névent) s’occupaient de SF Mag, et i
l y avait le même problème. Henri commençait à écrire, et il disait « dans SF Mag, dont je suis rédacteur en chef, on ne va pas faire une chronique sur Henri Loevenbruck en disant que son bouquin est génial. Alors soit je prends un pseudo, et c’est un peu limite, soit tout simplement on est d’accord, on parlera jamais de mes bouquins ». Donc cet aspect-là est un peu particulier.
Mais je pense que là, on fait un choix. Soit on se dit que l’important c’est qu’en hypermarché ou en FNAC, les gens qui passent devant le rayon se disent « Oh Rebecca Kean, ça a l’air sympa, je pars avec ! », et à ce moment-là on peut préférer un nom anglo-saxon à un nom français, soit on joue la carte de l’auteur. C’est complètement différent, et on évite le ridicule du « Ah c’est vous John Smith ? ». En résumé, la Bitlit française arrive. Est-ce qu’elle portera des noms français ou pas ? Je pense qu’il y aura les différents cas de figure.
En tout cas, ce qui est chouette, c’est de recevoir de bons projets, des trucs qui sont vraiment sympa et bien écrits, qui viennent de gens qui connaissent bien le domaine, chose très importante. On ne s’improvise pas auteur de Bitlit du jour au lendemain si on n’en a jamais lu. C’est vrai d’à peu près tous les genres, mais là en particulier. Il y a une telle connivence avec le lectorat qu’il est clairement impossible de l’arnaquer. Et un lectorat de Bitlit , il sait exactement ce qu’il va chercher. Il sait exactement pourquoi ça lui plaît, il en parle beaucoup autour de lui, et s’il sent que le truc est un peu à côté de la plaque, ou que c’est un auteur qui a fait semblant de faire de la Bitlit parce que ça marche, mais qu’en fait il n’y connaît rien, là, ça va se planter tout de suite. C’est pour ça que, pour le coup, sur la Bitlit , j’ai pas mal de lectrices dont la sensibilité est absolument essentielle pour les choix. Parce que parfois, c’est difficile à raisonner. On va dire « Ah j’adore ! », oui, mais pourquoi ? « Je sais pas, j’adore », et ça suffit.
Première partie de l’interview de Stéphane Marsan
Deuxième partie de l’interview de Stéphane Marsan
Troisième partie de l’interview de Stéphane Marsan
Merci pour ce début d’interview, c’est super intéressant, moi qui suis une grande amatrice du genre entre autre. Vivement la suite!