Bonjour. Pouvez-vous nous présenter La maison d’édition J’ai Lu (notamment au niveau des littératures de l’imaginaire) et votre travail au sein de celle-ci ?
Les Éditions J’ai lu ont été créées en 1958. Dès 1970, Jacques Sadoul eut l’idée de génie de lancer (pour la première fois en poche) une collection de SF. Le premier de la collection était le roman culte 2001, l’odyssée de l’espace d’Arthur C. Clarke, mais c’est Le monde des non-A de Van Vogt qui déclencha les passions. Historiquement donc, ce genre est l’essence même de notre maison. Les littératures de genre, et particulièrement l’imaginaire, ont construit notre identité, notre ouverture sur le monde. La preuve : nous sommes le seul éditeur poche généraliste à publier tous les genres de littérature.
L’exploration de nouvelles littératures ne s’est pas arrêtée là. La collection Épouvante en 1982 mettait l’horreur à l’honneur avec Rosemary’s baby d’Ira Levin, La malédiction de David Seltzer, L’exorciste de William Peter Blatty, les maîtres du genre comme Dean Koontz ou Richard Matheson et le King, bien sûr, pour ne citer qu’eux. La collection Ténèbres également à partir de 1996 accueillait d’immenses auteurs tels que Clive Barker et James Herbert.
La jeune génération n’était pas en reste puisque la collection Peur bleue leur proposait dès 1997 des romans fantastiques de Christopher Pike puis en 1998, avec la collection « jeunes adultes », la très célèbre série Journal d’un vampire, publiée alors sous le titre Vampire, tout simplement. L’histoire de J’ai lu montre que, de tout temps, ses éditeurs étaient à la fois passionnés et spécialistes.
Aujourd’hui encore, nous sommes riches d’imaginaire : la collection SF a plus de quarante ans et inspire l’ensemble de la maison. Nouveaux Millénaires renait pour offrir le meilleur du genre en grand format (Daniel Keyes, Nick Sagan, Johan Eliot, Philip K. Dick). La collection Baam ! offre des textes français ou étrangers cross over plongeant le lecteur indifféremment dans la fantasy (Laura Gallego Garcia, Pierre Grimbert) ou le fantastique (Parker Blue, Fabien Clavel). Bien sûr, la petite nouvelle, Darklight, a les dents affûtées mais rêve également de mondes féeriques (Laurell K. Hamilton, Charlaine Harris). Et aussi la ligne plus féminine, Crépuscule, parce que se laisser charmer par de mystérieuses créatures séduit plus qu’on ne le croit les romantiques (Sherrilyn Kenyon, Kresley Cole).
J’ai l’immense privilège de travailler ici depuis plus de sept ans et je ne m’en lasse pas. En plus de Darklight, je m’occupe de collections très différentes, les documents et la littérature érotique. Une belle maison où tous les plaisirs de lecture sont permis.
Quelle est la place du vampire dans votre ligne éditoriale ? Accordez-vous une place particulière à ce sujet, au vu de son succès actuel ?
Bien sûr, il est impossible de dire le contraire, le vampire a une place de choix dans la ligne éditoriale de la collection. Twillight a été un vrai déclencheur et a permis au grand public de découvrir l’urban fantasy. Je ne peux le nier, c’est également ce qui nous permet une très grande liberté de publication.
En dehors de cette magnifique succes story, le vampire reste pour moi l’une des plus grandes figures romanesques de la littérature fantastique. Et toujours propre à déchainer l’imagination des auteurs ! Ce qui est passionnant, c’est de voir comment chaque auteur s’approprie le personnage, de quelle manière il développe sa propre mythologie, les différences comme les similitudes sont enrichissantes. Par exemple, pour Anne Rice, un démon babylonien est à l’origine de la naissance d’Akasha, la reine des vampires, tandis que pour Christopher Pike, il s’agit également d’un démon mais issu du panthéon hindouiste…
Toutefois, si les vampires ne sont pas les seuls personnages intéressants du genre et que leur attractivité a permis, il me semble, de faire découvrir d’autres univers, ils restent incontournables. Quelle collection fantastique n’accueille pas son vampire ? Aucune.
Alors que J’ai Lu éditait déjà, dans les années 1990, certaines séries comme La communauté du Sud ou Vicki Nelson, qu’est-ce qui vous a motivé à créer une nouvelle collection pour y intégrer ces séries, jusque-là davantage cantonnées en littérature romantique ?
Pour être tout à fait précis, ces deux séries ont tout d’abord été défendues au moment de la création de la collection Mondes mystérieux en 2005. Je vous le disais, J’ai lu compte de nombreux éditeurs passionnés d’imaginaire !
Outre-Atlantique, personne ne cherche à faire absolument tenir les romans dans telle ou telle case, et cela permet une plus grande liberté. Il existe donc depuis très longtemps des romans sentimentaux intégrant du suspense, de l’humour et bien sûr, du fantastique.
Nous cherchions à développer notre offre sentimentale, une collection phare chez nous. Parmi les premières séries acquises, nous avions choisi La communauté du Sud ou encore Vicki Nelson. Parce qu’elles étaient excellentes, parce que nous sentions qu’elles avaient énormément de potentiel, nous avons choisi de les publier dans la seule collection possible à ce moment-là.
Malheureusement, nous les avons lancées trop tôt, le public n’était pas encore passionné par cette littérature et nous avons dû arrêter Mondes mystérieux. Nous cherchions depuis longtemps un moyen de poursuivre ces séries et attendions le bon moment.
L’adaptation à la télévision de True Blood était une formidable opportunité de republier La communauté du Sud hors collection. Forts de ce succès, nous avons alors pu envisager de créer un nouvel écrin pour ces séries qui étaient finalement destinées à un large public. La série Vicki Nelson elle-même avait bien fonctionné à l’étranger et a donné lieu à une série TV et même un jeu vidéo !
Darklight est née dans ce but : donner à ces séries la place qu’elles méritaient.
Comment choisissez-vous les auteurs que vous éditez parmi l’abondante production du genre outre-atlantique ?
Il s’agit avant tout de coup de cœur. La ligne éditoriale est très resserrée, nous ne publions qu’une quinzaine de titres par an, ce qui nous force à être beaucoup plus sélectifs. Il nous est arrivé, malgré la qualité des titres que nous lisions, de renoncer à leur publication
car elle était trop différente de ce que nous faisions par ailleurs. Par exemple, si nous avons décidé de défendre la série Guild Hunter (Chasseuse de vampires) de Nalini Singh, simplement parfaite, nous avons dû décliner Psy-Changelings, plus complexe. Heureusement, elle sera tout de même publiée en France, ce qui permettra aux lecteurs de Nalini Singh de constater toute l’étendue de son talent !
Nous recevons de nombreux titres et pour pouvoir choisir parmi l’abondance de cette production, nous prenons en considération de nombreux critères : la série fonctionne-t-elle à l’étranger ? Quels sont ses thèmes ? Est-ce original ? Ensuite, la lecture est déterminante.
J’ai Lu pour Elle continue d’éditer certaines séries qui pourraient également voir le jour sous le label Darklight. Comment sont opérés les choix à ce niveau ?
La collection Crépuscule fait partie intégrante de notre ligne sentimentale. C’est Margaret Calpena qui en est chargée et son expertise est précieuse sur ce segment. Nous échangeons énormément sur les séries et les auteurs que nous recevons.
Pour les amateurs du genre, les deux collections sont très différentes. Pour essayer de schématiser rapidement, l’urban fantasy, Darklight, met en scène le plus souvent une héroïne jeune, confrontée à des créatures fantastiques dans un univers urbain et contemporain. Dans ce contexte, notre héroïne se retrouve chargée d’une mission, ou obligée d’enquêter. Les relations qu’elle tisse participent à l’action et aux combats qu’elle doit livrer. Au cours de l’intrigue, elle peut hésiter entre différents prétendants comme Sookie avec Bill, Eric, Sam ou Alcide. La romance paranormale publiée par Crépuscule, elle, offre un roman dont l’intrigue principale est la relation amoureuse des protagonistes, une seule héroïne, un seul héros. D’ailleurs, il peut arriver que l’histoire soit racontée du point de vue du personnage masculin, là où, en urban fantasy, il s’agit essentiellement de celui de l’héroïne.
De plus, puisque les auteurs étrangers ne s’enferment pas dans un genre quand ils écrivent, cela leur permet de passer de l’urban fantasy à la romance paranormale, voire à la SF dans certains cas, sans aucun problème. Karen Marie Moning, par exemple, est l’auteur d’une série de romance paranormale (à paraître prochainement en Crépuscule) et d’une série d’urban fantasy incontournable : Fièvre.
C’est un schéma un peu réducteur mais qui me semble assez juste pour donner une idée claire de nos différences.
N’avez-vous pas peur que le marché Bitlit / Romance paranormale finisse par se saturer de lui-même ?
C’est un genre riche qui, alors qu’il existe depuis de nombreuses années à l’étranger, vient juste d’être découvert par le public français. Il me semble que si nous offrons, en étant sélectifs, ce qui se fait de mieux, les créatures fantastiques ont encore de belles années devant elles.
Je suis persuadée qu’une fois qu’on découvre ces univers, qu’on nourrit son imagination de ces personnages, on ne peut jamais vraiment s’en lasser. En revanche, il y aura immanquablement une évolution. Certains lecteurs s’orienteront vers une littérature fantastique plus classique, voire vers l’horreur, tandis que d’autres chercheront plus de légèreté et moins de violence.
Dans tous les cas, la diversité de l’imaginaire lui permet de répondre à toutes les attentes.
Quelle a été votre première rencontre avec un vampire (littéraire et cinématographique) ?
Ma première véritable rencontre était incontestablement Entretien avec un vampire d’Anne Rice. C’était en 1994, si ma mémoire est bonne, avant le film, j’ai donc le bonheur d’avoir l’édition de Pocket terreur avec une magnifique couverture de monstre. J’avais découvert l’auteur grâce au précieux conseil de ma libraire et… que dire à part : le coup de foudre ! Louis tout d’abord puis, avec les suivants, Lestat.
Ces lectures ont été un tournant. C’est cette rencontre qui m’a donné envie de découvrir les plus classiques, comme Bram Stoker, ou les auteurs plus contemporains telles Jeanne Kalogridis ou Chelsea Quinn Yarbro. Et ensuite, bien sûr, Laurell K. Hamilton et son Anita Blake.
Pour moi, Anne Rice a véritablement marqué la littérature vampirique. Tel Bram Stoker qui a érigé Dracula en personnage principal, elle a révolutionné le genre en allant jusqu’à faire des vampires les héros de ses romans avec des sentiments et leur propre caractère.
Pour vous, qu’est-ce qui fait la pérennité du thème ?
L’incroyable potentiel romanesque des créatures que les auteurs peuvent imaginer leur permet de renouveler le genre. Je l’ai déjà dit mais c’est important, la littérature fantastique est incroyablement riche et évolue continuellement. Certains axent leurs histoires sur les vampires, d’autres sur les loups-garous ou les zombies, d’autres encore créent un univers regroupant tous ces êtres. Les mythologies varient, certains imaginent un monde parallèle où les créatures vivent acceptées – ou presque –, par les humains tandis que pour d’autres, ils restent tapis dans l’ombre…
Le cinéma et la télévision participent également au succès du genre. On le voit, on l’observe, depuis Buffy contre les vampires, les séries et les films fantastiques sont de très beaux succès.
Y a-t-il de grosses séries vampiriques prévues dans les mois et années à venir chez J’ai Lu Darklight dont nous n’aurions pas entendu parler ?
L’année prochaine, Darklight publiera la série spin off de Vicki Nelson mettant en scène le jeune Tony, protégé de notre vampire Henry. On découvrira ainsi que Tony est un sorcier. Nous retrouvons avec plaisir l’univers de Tanya Huff qui nous manquait. D’ailleurs, nous publierons également (enfin !) le recueil de nouvelles qui forment, en quelque sorte, le sixième tome de la série Vicki Nelson.
Bientôt, nous pourrons également accueillir la série Kitty Norville, plus axée sur les loups-garous que sur les vampires mais qui est extrêmement originale de par son traitement de la lycanthropie et de son héroïne.
La suite de Rebecca Kean, bien sûr, est prévue également. Nous sommes plus que ravis du succès de la série, elle regroupe tout ce qui fait la qualité du genre : originalité, personnages charismatiques et attachants, action, rebondissements… Parfaite. Et, encore plus bluffant, première série de ce genre écrite par une Française !
Ensuite, dans les nouveautés à venir qui n’ont pas les dents longues, une nouvelle série de Charlaine Harris, Lily Bard, et un challenger auquel je crois beaucoup : la série Alex Craft de Kalayna Price, dont le premier tome, Grave Witch, paraîtra en fin d’année.
Ouais bof…bit-lit, romance paranormal etc….bien trop exclusivement et donc tristement hétérosexuel pour moi !
La dame prétend avoir été marqué par Anne Rice ? Elle semble oublier l’ambivalence des liens que tissent entre eux les protagonistes des chroniques des vampires et c’est ça (entre autre) qui a fait le succès d’une tellle oeuvre. Alors lorsque je découvre toutes ces couvertures de bit-lit et pire, de la collection "pour elle", et bien je n’ai envie que d’une chose : m’enfuir en courant !