Pour tout amateur de littérature vampirique, il est des rencontres qu’on espère même pas, tant elles semblent impossibles à réaliser. Je me voyais difficilement pouvoir poser un jour des questions à Anne Rice en vue de publier ses réponses sur Vampirisme.com. Et pourtant… il y a quelques mois, lorsque les premières informations concernant sa possible venue en France ont commencé à émerger, on s’est pris au jeu de croire à l’impossible. L’impossible à volé en éclats grâce à l’aide des éditions Michel Lafon (qui éditent notamment Le Don du loup, dernier roman de la dame) et à celle d’Actu SF (qui nous a également prêté le matériel haut de gamme utilisé pour capter les réponses de l’auteur et en partenariat avec qui cette interview a été réalisée). Et si l’absence de traducteur sur place aurait pu grandement mettre à mal mes questions (ma pratique de la langue anglaise orale étant des plus… rouillée), louée soit Aléthia d’Elbakin.net (l’entretien a été réalisé en quatuor avec Fantasy Gate, Place to be et Elbakin) qui a été d’un secours appréciable quand la traduction au débotté des questions s’avérait problématique. Pour le reste, je vous laisse avec les réponses de l’auteur d’Entretien avec un vampire aux questions de Vampirisme.com. Sachant que cette entrevue nous aura également permis de rencontrer Becket, l’assistant d’Anne Rice qui s’est lui aussi lancé dans la fiction vampirique, et dont nous vous reparlerons très prochainement. La journée avait débuté aux côtés de Barbara Sadoul et Bruno Terrier, au tout nouveau Metaluna Store. Un endroit dont on vous reparlera très bientôt également.
En 1976 avec Entretien avec un vampire, vous proposez au lecteur de rentrer dans l’esprit d’un vampire. D’où vous est venu ce choix de jouer avec le narrateur (il n’existait alors pas de romans de vampires avec ce parti pris, juste quelques nouvelles – chez Bloch et Kuttner notamment –) ?
Vous savez, je ne sais pas vraiment pourquoi j’ai choisi de le faire du point de vue du vampire, à part que c’est ce que je voulais faire. J’avais envie de savoir ce que le vampire aurait à dire. J’étais lassée de regarder des films réalisés du point de vue des victimes. J’avais envie d’entendre parler les monstres. Et je pense que beaucoup de personnes à cette époque ont eu des idées similaires. C’est à cette époque que Le Parrain a notamment été écrit. C’était la première fois qu’un récit policier américain parlait des criminels, et qu’on les laissait raconter leur propre histoire, avec leurs propres valeurs. C’est également à cette époque que le premier Superman a été tourné, avec de gros moyens, film dans lequel on apprend l’histoire de Superman. Ses émotions, et ce que cela fait de grandir en étant Superman. Donc je pense qu’il y a vraiment eu un mouvement culturel, dont la finalité était de se mettre à la place des méchants, à la place des héros de comics. Et de les laisser parler par eux-mêmes. C’est quelque chose que nous avions envie d’entendre à ce moment-là. Peut-être une nouvelle forme de romantisme ?
Avez-vous eu conscience, dans vos Chroniques (et ce dès le début), de laisser derrière vous une part importante de la littérature classique sur le sujet (en la mettant qui plus est en scène) ?
Je pensais en effet être entrain de faire quelque chose d’original avec le mythe du vampire, qui n’avait pas été fait jusque-là. Je faisais quelque chose qui m’apportait aussi une certaine satisfaction personnelle. Je voulais écrire le livre que je ne parvenais pas à trouver, où le vampire nous parlerait et expliquerait au monde ce qui se passe. Le parti pris est le même pour Le Don du Loup : en tant qu’homme-loup, il reste conscient, et se rappelle ce qu’il se passe quand il se transforme. Il ne perd pas la mémoire, n’a pas de trou noir et n’est pas totalement absorbé par la bête en lui. Je voulais savoir quels étaient ses sentiments sur tous ces poils qui poussent soudain sur son corps, sur le fait de devenir plus grand et plus fort. Et ce que cela fait de sauver des gens.
Mais je voulais également rester proche de l’image traditionnelle, de l’atmosphère gothique. L’impulsion romantique. Je respecte beaucoup cela. J’en voulais une continuation sous une nouvelle forme nouvelle manière.
Ce qui m’a poussé à poser cette question, c’est une scène d’Entretien avec un vampire dans laquelle Claudia et Louis rencontrent d’anciens vampires. Des créatures sans âme, comme dans les anciens mythes. De mon point de vue, c’est le moment où vous vous détachez des travaux précédents sur le sujet, en leur disant en quelque sorte « au-revoir ».
Oui, c’est totalement vrai. Je veux dire, dans Entretien avec un vampire, ils rencontrent des vampires du vieux monde, qui sont plus des revenants. Ils sortent de leur tombe, sans aucune once d’intelligence. Et je dis au-revoir au vieux mythe à ce moment-là, lui disant qu’il n’est plus utile car j’écris sur un nouveau vampire cultivé, intelligent et éloquent. C’est un personnage des grandes villes, des Lumières. C’était très amusant de faire cela.
La transformation d’un être humain en créature fantastique était déjà au cœur d’Entretien avec un vampire. Mis à part la différence vampire / loup-garou, pourquoi avoir choisi de vous pencher à nouveau sur ce type de situation dans The Wolf Gift ?
Je voulais faire quelque chose qui n’avait pas été fait jusque-là. Je voulais mettre en scène la transformation d’un homme en homme-loup comme quelque chose d’agréable. Parce que je pense que ça doit l’être, de sentir ses propres muscles gonfler et son corps se couvrir de poils. Je savais que j’avais envie de le décrire de cette manière. Et j’avais également envie de le dépeindre comme si cela était causé par une poussée d’hormones. Cela m’intéressait de donner un aspect scientifique à tout ça, même si ce n’est pas vraiment de la science.
Peut-on espérer, à la mémoire des cross-over entre les soeurs Mayfair et Les Chroniques des vampires, retrouver des personnages de vos anciennes séries dans The Wolf Gift ?
Je ne pense pas, par exemple, que Lestat rencontrera Reuben. Mes différentes séries ont des textures différentes. J’ai essayé de les mixer par le passé, et je ne suis pas convaincue que le résultat ait été un succès. Le Talamasca pourrait apparaître dans mes différents romans, et faire des recherches sur toutes les créatures surnaturelles. Mais mes personnages sont trop différents pour partager le même monde.
Le journalisme (dans Entretien comme dans The Wolf Gift), les groupuscules d’observateurs (votre Talamasca préfigurant les observateurs de Buffy), le combat entre objectivité et subjectivité semble être un élément récurrent dans vos récits. Est-ce un choix conscient ou un hasard complet ?
Je crois que j’ai introduit le journaliste dans Entretien avec un vampire, et ai fait de Reuben un journaliste, pour parler de la place des spectateurs extérieurs dans le monde réel. Les journalistes représentent le monde réel, l’univers factuel. Etant donné que le thème tourne autour de l’étranger, du paria, je voulais jouer avec cette dynamique. Reuben tout particulièrement : il doit cacher son identité alors qu’il vit dans le monde réel. Les vampires peuvent passer outre ce problème, et former leur propre société. Mais Reuben doit continuer de faire comme si de rien n’était. Même si les vieux loups lui conseillent l’inverse, on ne se débarrasse pas de sa vie humaine comme ça. C’est ça que représente le motif du journaliste pour moi : le monde contemporain des personnages.
Vous êtes considérée comme une des pionnières du fantastique moderne (et comme un auteur incontournable pour qui s’intéresse aux vampires). Quelle est votre opinion sur l’évolution de la littérature fantastique (le passage notamment de la romance au sens classique du terme à la romance au sens histoire d’amour) et le thème du vampire aujourd’hui ?
Je ne sais pas pourquoi le vampire est aussi populaire aujourd’hui dans la littérature et au cinéma. Je pense que c’est parce que de nombreux auteurs sont arrivés avec des idées différentes. Et sont parvenus à captiver l’imagination du public. Stephenie Meyer avec la série Twilight, Charlaine Harris avec True Blood / Sookie Stackhouse, l’auteur de Vampire Diaries, celle qui a écrit Anita Blake, Vampire Hunter… tous ces gens ont apporté quelque chose d’intéressant, de rafraîchissant. Et ils ont tous amené la vision du vampire dans différentes directions.
Le fantastique est aujourd’hui grand public. Je ne sais pas pourquoi. Peut-être que les gens en ont tout simplement marre du réalisme plan-plan et des histoires réalistes, et veulent revenir au fabuleux et au fantastique, de la manière dont les gens d’antan les appréciaient. Je pense que c’est un peu de tout ça. Je pense que pendant longtemps, la culture américaine (notamment la littérature) entre 1960 et 1985 / 1990 était dominée par un réalisme terre à terre. Le réalisme était tout. Les seuls romans fantastiques et imaginaires qui étaient grand public étaient des histoire de mystères, de détectives et de crimes. En principe, on utilise à ce moment dans les romans ce qu’on peut voir et analyser dans les classes moyennes. Écrire sur la vie dans les banlieues, ce que c’est d’être marié et d’avoir des problèmes… Je pense que cela est une manière de fonctionner assez limitée pour la littérature.
Depuis des centaines d’années, voire depuis mille ans, les lecteurs apprécient des récits mettant en scène des héros, des dieux et des déesses. Et de grandes batailles, comme dans l’Iliade et l’Odyssée d’Homère. Les héros de Shakespeare. L’esprit humain est demandeur de tout ça. Il attend des fables. Il n’y a jamais eu de besoin vital pour une littérature, ou des romans sur les classes moyennes. C’était une idée plutôt novatrice, que des gens puissent écrire autour des attitudes des classes moyennes, et que tout le monde soit heureux avec ça.
Je pense que les amateurs de fantasy auraient pu se révolter. Ils auraient eu à dire : nous voulons du spectaculaire, des drames, des héros, des tragédies. Nous voulons le retour de LA grande histoire. Les livres de fantasy et de SF ont fini par passer au devant de la scène, dans le mainstream. J’ai vu tout ça arriver, petit à petit. Mais la seule explication que je vois c’est que les gens désiraient ce retour de l’imaginaire. Les jeunes surtout, se sont fait entendre à ce niveau. Harry Potter, c’est énorme ! Ça démontre aux gens qu’on peut faire lire les jeunes, si on est capable de leur proposer quelque chose d’assez dramatique et excitant. On peut les faire lire comme on aurait jamais pensé qu’ils le feraient.
Comment expliquez vous que, à la suite de vos travaux, nombreux sont les auteurs à avoir choisi La Louisiane comme lieu d’ancrage de leurs intrigues fantastiques (essentiellement sur les vampires mais pas que). Avant cela, ce semblait davantage être l’Europe orientale qui avait la préférence des auteurs de tous pays ?
La Nouvelle-Orléans est un endroit unique. Il n’y a aucune ville comme celle-ci dans tous les Etats-Unis. Il y a notamment le quartier français, qui est une partie importante de la ville, avec tous ces vieux et magnifiques bâtiments, ces rues étroites. Des gens viennent à la Nouvelle Orléans de tout le pays pour profiter d’une ambiance européenne. Je veux dire, quand ils n’ont pas les moyens de se rendre en Europe, c’est là qu’ils se rendent. Pour moi, c’était un choix qui s’imposait, de mettre en scène les Chroniques des vampires à cet endroit. Et d’écrire Entretien avec un vampire en choisissant la Louisiane comme point d’ancrage des vampires. C’est un endroit tellement magnifique et romantique, plein d’histoire, de légendes, de fantômes… On a décrit la Nouvelle Orléans comme le dernier port méditerranéen. Je pense que c’est exagéré, mais c’est une ville unique, qui offre la meilleure atmosphère possible pour les histoires qu’on puisse trouver aux États-Unis. Je pense que derrière on pourrait citer Boston et San Francisco. Surtout si on cherche une ville qui soit un personnage à part entière dans un livre. Mais La Nouvelle-Orléans, on ne fait pas mieux.
La nature est un élément très présent dans Le Don du loup. Était-ce pour vous un moyen d’apporter une certaine dimension écologique au roman, ou d’ajouter quelque chose de nouveau au mythe du loup-garou ?
Je pensais que Ruben, en tant qu’homme-loup, apprécierait tout particulièrement d’être dans les forêts, dans un monde totalement civilisé. Je ne sais pas si d’autres fictions sur les loups-garous ont exploré cet aspect des choses, je n’en suis pas sûre, mais je ne connais pas énormément de choses sur le sujet. Je me rappelle cependant ma sœur, Alice Borchardt, me disant que son loup-garou (NDT : dans la série Legends of the Wolves) lui avait été soufflé par son amour de la nature, et je n’ai jamais oublié cela. Mais pour moi, c’était avant tout logique qu’il puisse aimer les grandes forêts, et s’y sente comme chez lui. Le point central dans cette idée de transformation en loup-garou, c’est qu’il vous permet de retrouver la part animale qui est en vous. On retourne a une époque passée où nous étions tous des sauvages, mais nous sommes désormais des êtres civilisés. J’ai trouvé ça très excitant d’utiliser les forêts, et de mettre Reuben en scène, alors qu’il chasse parmi les créatures sauvages. Bien sûr, cela a choqué certaines personnes. Ils ne réagissent pas si vous vous acharnez sur un être humain, mais ils deviennent furieux si vous tuez un lynx. Des commentaires désagréables ont été fait autour de ça. J’ai pourtant assuré que c’était une histoire, qu’aucun lynx n’avait été tué et qu’il n’y avait pas de Loup-Garous en Californie…