Pouvez-vous vous présenter pour les internautes de Vampirisme.com ?
Je suis dessinateur de BD depuis maintenant 25 ans. Auparavant, j’ai fait beaucoup d’illustrations pour le jeu de rôle (même si je n’ai jamais fait de jeu de rôle de ma vie, ce qui a causé quelques problèmes à l’époque). Ma formation, avant d’arriver à tout ça, c’était les Beaux-Arts à Paris, les Arts Appliqués, et surtout une formation dans la bâtiment, quelque chose qui est moins connu mais me sert tous les jours dans mon métier.
Votre dernier projet en date est une adaptation du « Horla » de Maupassant. Pouvez-vous nous raconter la genèse de ce projet ?
Depuis des années, on pourrait envisager de rapprocher mes albums d’une bibliographie. À chaque fois je fais des références à des tas de livres, de peintures et de musiques. Tous mes albums sont influencés par la littérature du XIXe siècle, qui est celle que je préfère. Typhaon, par exemple, c’était Poe, pour Algernon Woodcock on pourrait citer Walter Scott et Robert-Louis Stevenson. À mon sens, après toutes ces références, il était temps que j’adapte vraiment un texte.
Pourquoi « Le Horla » ? Parce que c’est probablement le premier texte fantastique que j’ai lu. J’habitais sur les lieux de l’action de la nouvelle, à côté de Rouen. Je connaissais bien la forêt où se promène le personnage, les bords de Seine, etc. C’était quasi incontournable dans la famille : tout le monde devait lire du Maupassant à un moment ou un autre. J’ai dû lire « Le Horla » à l’âge de 12 ans. Ça m’a bien impressionné ; mes promenades en forêt n’ont plus jamais été tout à fait les mêmes (même si le pire ne se passe pas dans le forêt, dans la nouvelle). Maupassant donc, auteur important pour moi, auquel je me réfère et vers lequel je reviens régulièrement dans mes lectures.
La version du texte sur laquelle se base votre adaptation est écrite sous la forme épistolaire. Pourquoi avoir choisi d’abandonner ce mode de narration ?
Pour deux raisons. La première c’est que je n’aime pas le récitatif. Je trouve que c’est pesant et que ça instaure une distance avec le récit pour le lecteur. J’ai choisi cette nouvelle également parce qu’il y a peu d’action, il ne se passe pas grand-chose au final. On est sur un personnage qui ressent les choses plus qu’il ne les vit réellement. Le challenge, c’était de créer la peur, l’inquiétude et l’angoisse. Pour moi, mettre du texte off, rappeler des dates aurait installé une distance, comme si le lecteur consultait des archives ou qu’il lisait le journal, donc un temps après l’action. Je préférais gommer tout cet aspect-là de manière à ce que le lecteur soit au plus près du personnage, et suive sa descente aux enfers.
Le personnage du chat, qui ouvre l’album est absent du texte d’origine. En outre, c’est un animal récurrent dans votre oeuvre : Hôtel particulier, Algernon Woodcock.
Dans le cas d’Algernon, Mathieu (Gallié) avait l’idée précise d’un chat qui serait Le Matagot, le personnage central de la série, quelque part. Les raisons du pourquoi c’est un chat seront expliquées ultérieurement, le jour où Mathieu se décidera à écrire la fin, car il y a une raison particulière. Il avait donc envisagé un chat, sans être plus précis, et je lui avais demandé si ça pouvait être le mien. Ce à quoi il a dit oui, le connaissant presque aussi bien que moi.
Mais pour revenir à la présence des chats, j’ai toujours vécu entouré de chats, j’ai toujours eu des chats chez moi, et celui qui apparait dans les derniers albums, c’est donc le mien (même s’il a disparu pendant Hôtel Particulier).
C’est comme un vieux copain : tu es réalisateur de films, tu as un vieux pote qui n’a pas beaucoup de rôles à son actif, donc tu lui donnes toujours un petit rôle de figuration plus ou moins importante. Et dans le cas du Horla il y avait aussi l’idée que, à partir du moment où je gommais tout le récitatif, il fallait quand-même créer du dialogue. Un personnage seul, qui vit tranquille au bord de la Seine et ne voit quasiment jamais personne, lorsqu’on se décide à le faire monologuer, difficile de ne pas donner d’emblée aux lecteurs l’idée qu’il devient fou. Le chat, tout ceux qui en ont un savent qu’on parle avec son chat. Ça me paraissait donc naturel.
je me suis aussi autorisé ça car Maupassant a écrit une nouvelle intitulée « Sur les chats », où il explique son rapport avec ces animaux. Ça ne me paraissait donc pas incongru d’intégrer un chat dans l’histoire. Le problème après, c’était la symbolique du chat, ce qu’il représente. Est-ce que ça n’allait pas être un indice fort pour indiquer au lecteur que le personnage n’était peut-être pas fou ? À partir du moment où le chat ressent aussi des choses, le narrateur n’est plus seul, et on peut commencer à interpréter les choses différemment. J’ai pesé le pour et le contre, et ai décidé que l’ambiguïté m’intéressait bien.
Mais le chat est aussi connu pour son empathie avec l’être humain. Dès lors n’est-ce pas la folie du narrateur qui l’effraie ?
C’est bien comme cela que je l’entendais. C’est par ailleurs amusant de voir la nouvelle de Maupassant sur les chat. Elle est très bizarrement fichue, un peu foutraque. L’auteur commence par ses considérations sur les chats. Il explique qu’il trouve ça beau, joli, apaisant et en même temps totalement angoissant, car le chat peut à tout moment se retourner contre toi et t’agresser. Derrière ça, il cite un poème de Baudelaire et termine en mentionnant une anecdote, un conte fantastique. C’est une nouvelle qui n’a pas beaucoup de sens (dans sa structure) mais où il donne beaucoup d’indications sur les chats. C’était donc assez intéressant de l’utiliser.
Votre dernier album sur les vampires, Mother, s’orientait déjà vers une mythologie plus proche du vampire psychique que du vampire classique. Avez-vous plus d’affinités pour ces vampires très différents de ceux qui transparaissent actuellement dans les médias ?
Même si des auteurs ont essayé depuis de renouveler les choses, on revient toujours à une imagerie très gothique, très classique. Peu importe que ce soit du sang ou de l’énergie, ce qui m’intéresse dans le vampire, c’est l’idée d’un parasite. Dans Mother on voit ceci dit le personnage censé être un vampire avec du sang dans la bouche…
Oui, mais cela n’intervient qu’à la toute fin de l’album ?
En effet, mais ce n’est pas le cœur de l’histoire, qui tourne autour de la relation entre une mère et son fils.
Dans Le Horla, le personnage absorbe son énergie mais je n’avais pas besoin d’en faire plus, ce n’était pas le sujet de l’album.
Derrière cette idée d’absorption d’énergie, ne peut on pas aussi voir une métaphore de la création artistique, et de la difficulté à créer ?
Ce qui me touchait très particulièrement dans « Le Horla » (je n’aurais pas pu faire une adaptation si ça n’avait pas un écho dans ma vie), c’est que j’ai réellement passé des années (et encore maintenant) à développer une tendance à ne pas sortir de chez moi, et à rester enfermé.
Le héros du Horla est riche, il a des amis, il est libre de faire ce qu’il veut, mais je le mets derrière des grilles, des fenêtres. Il a visiblement de plus en plus de mal à s’extraire de chez lui, c’est un vrai problème. Pendant 10 – 12 ans, je sortais de chez moi uniquement pour acheter des cartouches de cigarettes, et c’est tout. Voire même, pour un projet comme Mother, je me suis enfermé chez moi, je n’avais pas d’éditeur, pas de contrat, rien. C’est un album que je travaillais depuis longtemps et je l’ai fait enfermé. C’est un ami (le fils de Régis Loisel, mon voisin à l’époque) qui m’amenait des cigarettes et des paniers repas. Je n’ai pas vu le jour pendant les 5 mois qu’ont duré la réalisation de l’album.
C’est pour ça que l’histoire de ce personnage me touchait particulièrement, et ce pourquoi j’ai d’ailleurs mis cet aspect des choses plus en avant que dans la nouvelle.
Après, pour ce qui est du rapport à la création, je pense en l’occurrence que c’est ce qui m’a sauvé. Je sais pas ce qui pousse des gens à s’enfermer, je ne le sais même pas pour moi. Mais j’essaie d’exprimer des choses ressenties, sans forcément trouver pour autant la solution.
Sur le plan pictural, Le Horla semble être influencé par la peinture de l’époque, à commencer par Manet, dont les couleurs font écho à celles de certaines planches de l’album. Est-ce un parti-pris conscient ?
Si c’est le cas, ce n’est pas vraiment volontaire. Il y a eu un choc pour moi graphiquement, c’est un album que j’ai fait il y a deux ans qui s’appelle Les Derniers jours de Stefan Zweig. C’est décevant pour tout le monde, mais pour moi le principal souci sur cet album aura été le changement de papier. Je me retrouve donc à dessiner un récit historique qui se passe essentiellement au Brésil. Il était évident que je devais changer quelque chose à ma façon de travailler, par rapport au thème et à la luminosité que j’allais devoir créer, alors que je vais habituellement des choses assez plombées, fermées et torturées. J’ai donc changé de papier et ça a été une révélation, ce papier magnifique qui rend mes couleurs très lumineuses. À ça s’ajoute aussi probablement une plus grande maîtrise de mon trait, de mes cadrages. Du coup, je suis, je pense, plus sobre, je calcule mieux mon coup avant de partir. Il y a moins d’improvisation, ce qui est peut-être en partie dommage, mais je ne peux pas y faire grand chose.
Du coup, les influences picturales liées à la peinture, c’est plus inconscient j’imagine. Sur les scènes du Horla qui se déroulent à Paris, au niveau du scénario c’est juste précisé que ce sont des scènes de vie parisienne. À ce moment-là, on montre l’époque à laquelle vit le personnage, puisque je ne l’ai précisé nulle part. On découvre également que le protagoniste peut faire tout ce qu’un type comme lui peut faire à l’époque : il va au bordel, à l’opéra, aux courses… Le jour où je commence la planche, si je ne cite pas Manet, Toulouse-Lautrec, Renoir ou Degas, c’est juste dommage de passer à côté de ça. À ce moment-là, c’est très précis et conscient, je le décide. Après, sur le reste de l’album, au niveau des lumières, des teintes, ce n’est pas une chose aussi réfléchie que ça. Je pense que c’est aussi à force de me gaver d’images. Je vis au milieu de ma bibliothèque, et c’est vrai que le XIXe est toujours au cœur de mes préoccupations et de mes intérêts, donc je pense que ça vient assez naturellement, sans réfléchir. Si je représentes les bords de Seine sous un soleil torride, des régates sur la Seine, je ne vais même pas forcément aller chercher dans les bouquins, parce que j’ai déjà tout ça en tête. C’est vrai que si à la fin on débouche sur une scène plus angoissante, quelque chose de plus expressionniste va arriver, mais c’est juste naturel chez moi. Tout ça est emmagasiné, j’ai une banque d’images dans la tête.
Je trouvais d’ailleurs que cette fin, on pouvait presque la relier à la mythologie lovecraftienne…
Maupassant a ces préoccupations-là en tête parce que ce sont les préoccupations de l’époque. Quelques années plus tard, il écrit une nouvelle qui s’appelle « L’Homme de Mars ». Un type déboule chez un médecin, annonçant qu’il est probablement fou, mais il a suivi toutes les recherches qui attestent de la présence de routes, autoroutes, etc. sur Mars. 10 ans plus tard, Wells écrit La Guerre des mondes. On est aux prémices de la SF et « Le Horla » est d’ailleurs cité comme tel par Lovecraft dans son ouvrage sur ses influences littéraires. Ça me paraissait juste indispensable d’amener les choses sur ce terrain-là, parce que c’est de toute manière dans la nouvelle, et c’est le rôle que ça a joué par la suite pour beaucoup d’auteurs.
Lovecraft n’est pas un auteur que j’apprécie plus que les autres. J’aime Lovecraft, mais j’aime plus particulièrement certaines nouvelles de sa plume. Dans l’Île des morts, le projet était de citer l’auteur pour une nouvelle que j’apprécie plus particulièrement, « Le Modèle de Pickman », où on est en-dehors du côté science-fictionnel de Lovecraft. C’est Thomas Mosdi, le scénariste, et l’éditeur qui se frottait les mains, qui ont tenu à appuyer l’aspect lovecraftien, contre mon gré. Le premier tome se passait à Paris, le deuxième à Ostende, le troisième à Prague, le quatrième à Vienne et le cinquième à Venise. L’idée était à chaque fois de citer les auteurs, les musiciens, les peintres que j’aimais bien. Du coup on s’éloignait très vite de Lovecraft. À la base il n’était présent que dans le premier. « Le Modèle de Pickman », de mémoire, se passe à Paris ou à Londres. On se débarrassait de l’affaire derrière. Du coup le côté lovecraftien appuyé de la série, ce n’est pas moi, même si je ne renie pas. J’aime quand même des choses de cet auteur.
Pour revenir au thème du vampire, quel regard portez-vous sur l’évolution de la représentation de la créature au cinéma et en littérature ces dernières années ?
Je n’ai pas énormément de choses à dire sur le sujet. J’ai lu les romans d’Anne Rice à leur sortie, et j’avais trouvé ça particulièrement intéressant. Par contre, le cinéma, je trouve ça lamentable. Les films qui sortent, à partir du moment où ils sont dans le registre fantastique, je finis par y jeter un œil. Niveau scénario, c’est lamentable, on est dans la caricature permanente. Il faut vraiment ramener les gens rapidement à la littérature pour qu’ils se rendent compte de la richesse de ce medium. Le cinéma est devenu une simple machine à vider la tête. J’ai une fille de 13 – 14 ans, je me suis donc tapé Twilight. Sa mère n’ayant pas voulu, c’est donc moi qui m’y suis collé. Et je pense que là, on touche vraiment le fond. C’est terrifiant… de connerie.
Et vos premières et dernières rencontres avec un vampire ?
En littérature, oui « Le Horla ». Mais sur une vision plus classique du vampire, je ne saurais dire. Ça remonte à tellement loin… J’ai relu des choses vis à vis de Byron, mais de là à citer quelque chose de précis. Je n’ai rien lu de contemporain en fantastique depuis Anne Rice, à dire vrai.
Et d’après vous, qu’est-ce qui peut expliquer la pérennité de cette créature de la nuit qu’est le vampire ?
J’ai peur que le gens ne parviennent pas à se faire à l’idée qu’ils vont mourir. À cela s’ajoute l’idée d’une personne qui vit en parasite sur les autres, qui se nourrit d’eux. On est dans une époque d’hyper-communication. Les gens ont de plus en plus à cœur de ne rien faire, mais d’exister quand même. C’est un peu tout ces petites choses pour moi le vampire. Je suis dessinateur, par exemple, et je pense qu’il y a davantage de gens qui vivent de mon travail que moi. Probablement mieux même, donc on est presque déjà là dans une forme de vampirisme. Mais oui, je pense que le vampire reflète des préoccupations vis à vis de la mort, sur les manières dont on peut durer et perdurer.
Avez-vous encore une actualité prochaine sur le sujet ? Quels sont vos prochains projets ?
Je suis actuellement en train d’illustrer Alice au pays des merveilles ; il me reste trois dessins à faire et j’en aurai terminé. Ça sortira en fin d’année. J’attaque dans les prochaines semaines un projet avec Serge le Tendre, qui va nous conduire à Babylone, cinq siècles avant Jésus-Christ, ce qui devrait me changer des bords de Seine. Par la suite, je reprendrai les adaptations. L’idée est de faire du Horla le premier d’une trilogie normande. Le deuxième sera une adaptation du « Bonheur dans le crime » de Barbey d’Aurevilly, tiré des Diaboliques. Et le troisième ce sera Flaubert, même si je ne me suis pas encore décidé sur le texte. Avec ce que j’ai déjà listé, j’en ai déjà pour trois ans, j’ai donc le temps de choisir la nouvelle. Mais pas de projets posés pour le moment sur le vampirisme.
Et on m’a demandé de vous poser la question du prochain Algernon Woodcock ?
Jusqu’à il y a très peu de temps c’était mort. Mathieu a d’autres préoccupations, il était fâché avec le monde de la BD, et un petit peu avec moi aussi. Mais on a repris contact il y a quelques semaines, et lui-même a émis l’idée qu’il serait bien de finir l’histoire un jour. Donc on peut garder espoir. personnellement je n’y croyais plus trop. Mais alors quand ? Sachant qu’il reste un tome, c’est donc un peu ballot. On avait conclu que ça allait être le dernier, parce qu’on pouvait se permettre de finir ainsi, et c’était très cohérent. On verra donc si il se relance. On pourra peut-être même développer, mais on en est pas encore là. En tout cas on peut finir au prochain tome.