Les vampires, ces créatures venues d’ailleurs
La fin de la deuxième guerre mondiale va sonner le glas des productions gothiques d’Universal, qui ne sont plus en phase avec les inquiétudes et goûts du public. Le danger des conflits mondiaux et les armes de destruction massive voient les thèmes de prédilection des cinéastes se déplacer vers la technologie, voire l’espace.
C’est ainsi que les créatures vampiriques qui vont être sur le devant de la scène de la fin des années 1940 à la fin des années 1950 sont davantage des créatures venues d’ailleurs. Jamais vraiment appelées vampires, elles n’en partagent pas moins le goût du sang. La Chose d’un autre monde (Hawks, 1951) et Not of This Earth (Corman, 1957) en sont de bons exemples. Des films qui présentent des créatures vampiriques venues de l’espace pour conquérir la Terre, traitant l’humanité comme du simple bétail. Et si ces créatures gardent un aspect humanoïde, elles n’ont ni l’attractivité de Bela Lugosi, ni l’animalité d’un Nosferatu. Les scénaristes ne puisent dès lors plus leur inspiration dans la littérature gothique de la fin du XIXe s. mais dans les pulps où des auteurs comme Catherine Moore, Robert Bloch ou encore H.P. Lovecraft se font connaître au public. Un nouvel imaginaire est en train de naître, dont l’influence se poursuivra jusque dans les années 1960, avec la première (et plus fidèle) adaptation du Je suis une légende de Matheson, avec Vincent Price en rôle titre.
Sexe et sang, les couleurs du vampire
Si le vampire gothique poursuit malgré tout sa carrière (notamment au Mexique avec le diptyque du comte Lavud de Fernando Mendez), c’est avec le studio Hammer qu’il va retrouver son attractivité d’antan. La libération des mœurs qui se profile, ainsi que le pouvoir de la couleur vont permettre au studio anglais de pousser d’un cran la tension sexuelle et subversive des films de vampires. Le vampire ne se cache plus sous sa cape pour mordre ses victimes, il le fait désormais à la vue de tous, n’hésitant pas à montrer le sang couler (ce qui est apparent dès les premières images du Cauchemar de Dracula en 1958, avant même que le vampire n’apparaisse). Si Christopher Lee ne reprit la cape qu’en 1966 avec Dracula Princes des ténèbres, le studio anglais consacrera pas moins de 9 films au comte, dont 7 avec Lee dans le rôle titre et 6 avec Peter Cushing dans le rôle de Van Helsing (et ses dérivés). Un antagonisme qui prend le devant de la scène, les deux personnages étant campés par des acteurs à armes égales. Les victimes féminines de Dracula et de ses avatars sont également des personnages importants, incarnés par des actrices à la plastique généreuse (Ingrid Pitt, Barbara Steele, Veronica Carlson, Caroline Munro) qui ne cesseront de dévoiler un peu plus leurs charmes au fil de l’histoire du studio.
Dracula n’est plus le monstre de ses débuts. C’est une créature séduisante, tentatrice qui corrompt (ce qui est le cas autant sur le plan moral que sur le plan économique/politique dans Dracula 73 et Dracula vit toujours à Londres). Si le film de 1958 se veut une adaptation fidèle du roman (par rapport à celui de Browning qui adapte la pièce) les scénaristes mettent en place les bases d’une véritable saga, où le vampire renaît sans cesse de ces cendres. Le studio essaya jusqu’au bout de maintenir la licence à flot, allant jusqu’à mélanger film de kung-fu et film de vampire dans l’improbable 7 vampires d’or. La Hammer ne se limite par ailleurs pas à Dracula, développant d’autres personnages et sagas, comme la trilogie Karnstein, qui se base sur le « Carmilla » de Le Fanu, et fait intervenir par deux fois Peter Cushing, décidément figure tutélaire du chasseur de vampires, ainsi que des œuvres autonomes, comme Capitaine Kronos, Le Cirque des vampires ou Comtesse Dracula.
La force de la Hammer, c’est également d’avoir imposé une esthétique forte, pourtant reprise à n’en plus finir d’un film à l’autre (décors, costumes, etc.), mais qui assure une homogénéité de ton et d’ambiance (qui transparait également au niveau de la musique – Bernard Herman – et du personnel, qui change d’un film à un autre mais est pioché dans le même pool ).
Le vampire, à la conquête de l’Europe
En pleine effervescence Hammer, le reste de l’Europe va également se réapproprier le vampire, toujours avec une touche d’érotisme qui n’était pas présente de manière ostensible chez Universal, même si elle restait sous-jacente. Les cinéastes profitent, comme chez la Hammer, de la connexion entre le fantastique et les thématiques sexuelles pour donner une coloration sulfureuse, parfois à la limite de l’érotisme à leurs films.
L’italie dispose ainsi d’une production colossale de films de vampires. Des Vampires de Bava en 1957 à l’Orgie des vampires de Polselli en 1964, le cinéma fantastique italien se prend de passion pour le thème du vampire. Adaptant les classiques de la littérature sur le sujet (Le Masque du démon de Bava en 1960 reprend le Vij de Gogol, La Crypte du vampire de Mastrocinque en 1964 reprend « Carmilla » de Le Fanu) tout en se dotant de casting internationaux (Christopher Lee fut un grand habitué des plateaux italiens de l’époque, de même que Barbara Steele…). Ces films sont pour la majorité en noir et blanc, mais ne lésinent pas sur la plastique des actrices et sur des décors gothiques au possible.
En France, c’est davantage via le surréalisme d’un Jean Rollin (et ses juxtapositions constantes entre sexe et mort) que le vampire arrive sur les écrans de cinéma. Le cinéaste se passionne pour le vampire dès son premier long métrage, Le Viol du vampire, y consacrera une dizaine de films, et lui accordera une place de choix dans La Nuit des horloges, son film testament. Mais Rollin ne remporte pas l’adhésion du public français (qui le considère davantage comme son Ed Wood national), même s’il est considéré comme un réalisateur culte outre-atlantique. Son vampire appuie encore un peu l’essence érotique de la créature, qui est forcément d’essence féminine sous ses caméras.
L’Espagne n’est bien évidemment pas en reste, et joue ouvertement sur l’aspect sexy des choses. Des films comme le Vampyros Lesbos de Jesus Franco, Malenka la vampire d’Osorio sont assez emblématiques de la production hispanique sur le sujet, ces films étant souvent distribués par l’entremise des cinémas pornographiques. C’est d’ailleurs ces films qui marquent l’avènement du vampire saphique, dont un long-métrage comme Les Lèvres rouges de Kümel est un bon exemple.
Et pendant ce temps-là, aux États-Unis
Si le vampire quitte quelque peu l’esprit des scénaristes, producteurs et réalisateurs américains durant les années 60 – 70, plusieurs films sur le sujet verront malgré tout le jour à cette époque, soit dans la continuité des thématiques science-fictionnesques des décennies précédentes, soit reformatées au goût des nouvelles modes qui voient le jour.
Ainsi, le Last man on earth de Salkow et Ragona avec Price, le Omega Man de Sagall avec Heston sont davantage associés aux dangers liés à la sphère scientifique, tout en préfigurant le genre slasher, qui arrivera quelques années plus tard. Sachant que le film avec Heston tend à gommer tout l’aspect vampirique du Je suis une légende de Matheson, alors que le film de Salkow s’avérait plus fidèle à ce niveau.
Quant aux modes et autres mélanges à tout va, on dénombre aussi bien quelques westerns vampiriques (Dans les griffes du vampires de Dein en 1959, Billy the Kid contre Dracula de Baudine en 1965) anecdotiques qu’une variation à la sauce blaxploitation avec les deux films consacrés à Blacula, Dracula noir à la Shaft dont le géniteur n’est autre que Dracula lui-même.
Plusieurs films se détachent malgré tout du lot, à commencer par Le Bal des vampires de Polanski, qui s’avère être un détournement réussi des films de la Hammer (que ce soit au niveau des personnages, de la couleur, des scènes…) et donne ses lettres de noblesse aux films humoristiques sur le sujet, ainsi que le Dracula de Dan Curtis, maître d’œuvre de la série TV Dark Shadows qui propose une relecture (co-scénarisée par Matheson) intéressante du roman d’origine, qu’il confronte avec sa série fleuve en y ajoutant notamment l’idée que l’un des personnages féminin soient la réincarnation du défunt amour de Dracula (joué par un Jack Palance pour le moins convaincant).
J’avais adoré le roman Carmilla de Sheridan Le Fanu et donc quel bonheur il n’y a pas si longtemps quand j’ai pu découvrir le personnage de la Comtesse Mircalla Karnstein dans The Vampire Lovers très justement interprétée par la divine Ingrid Pitt!