Fraichement marié, Thomas Hutter se voit obligé de laisser sa femme seule quelques semaines, de manière à se rendre en Transylvanie. Knock, son directeur, a en effet reçu une missive émanant du comte Orlock, un noble de Transylvanie, qui souhaite venir s’établir à Wisborg. Avisant une imposante demeure inhabitée qui fait face au domicile des Hutter, Knock demande à son avoué de se rendre au château du comte pour lui présenter la proposition et lui faire signer les contrats.
Difficile de passer à côté de Nosferatu lorsqu’on s’intéresse au traitement des vampires au cinéma. Premier film adaptant le Dracula de Bram Stoker (le Drakula Halála de 1921 faisant a priori davantage allusion au personnage historique), le film de Friedrich Wilhelm Murnau se voit obligé d’en bousculer la trame, la galerie de personnages et les noms de ces derniers pour des raisons de droits. Ce qui n’empêcha pas Florence Stoker, veuve du romancier, d’intenter un procès à Prana Films et à obtenir gain de cause, condamnant la carrière du film au cinéma. Mais plusieurs bandes ayant survécu, le film n’a jamais totalement disparu (et aura bénéficié de plusieurs restaurations d’envergure depuis les années 1980).
Nosferatu est un film relativement noir. La candeur des premiers instants est vite remplacée par l’inquiétude d’Ellen de voir son mari partir loin d’elle. Et la suite ne lui donnera pas tort, car le pragmatique Hutter n’aura d’autre choix que de constater les pouvoirs du comte. Nosferatu, qui part de son château en laissant derrière lui le jeune avoué quasi exsangue, c’est le mal à l’état pur. Celui qui vit dans les ténèbres et étend son ombre partout où il se rend, semant la peste derrière lui. De nombreux jeux sur les liens entre les ombres (et la lumière donc) parsèment le film, dont les plus connus sont bien évidemment les déplacements de Nosferatu, quand il se trouve dans la cale de l’Empusa ou lorsqu’il s’approche de la chambre d’Ellen.
En modifiant quelque peu l’intrigue et les personnages, Murnau donne un éclairage assez personnel sur certains aspects de l’histoire d’origine. Ainsi le rôle du professeur Van helsing de circonstance, le professeur Bulwer, est davantage de personnifier l’incapacité de la science à lutter contre une entité comme le vampire. Car il sera nécessaire d’en revenir au folklore (symbolisé par le livre qui suit Hutter depuis la Transylvanie) pour que le monstre soit tué, grâce au sacrifice d’Ellen.
D’aucuns s’appuient sur la manière dont Murnau représente son Nosferatu pour faire de ce film une œuvre antisémite. À mon sens, c’est davantage le personnage de Knock, qui finit par endosser le rôle du bouc émissaire, qui symbolise la perception du juif à cette époque. Un bouc émissaire tout trouvé, paravent idéal pour le mal qui continue de se répandre dans l’ombre. Le film datant de 1922, à mon avis, on doit davantage voir dans Nosferatu une allégorie sur les traumatismes passés : la guerre de 14-18 qui vient de s’achever, et les épidémies à grande échelle qu’a connues l’Europe fin XIXe s., début XXe s. (comme le choléra ou la grippe espagnole). Un film à la portée assez macabre donc, ce qui ressort dans de nombreux détails (à l’image de l’horloge squelettique du comte, qui égrène le temps passé par Hutter au château).
Dans Nosferatu, le comte est le seul et unique vampire du film. S’il peut supporter la lumière du jour, le lever du soleil (personnifié par le chant du coq) lui est fatal. Il possède par ailleurs de nombreux pouvoirs, comme celui de se transformer en brume, ou en loup-garou. Il doit en outre s’abreuver de sang pour survivre, sang qu’il prélève à la gorge de ses victimes, leur laissant la trace de deux piqures. Présenté comme né de la semence de Bélial (et faisant donc des vampires des créatures d’obédience démoniaque), Nosferatu est également une créature dans le sillage de laquelle on trouve les épidémies, comme la peste. Le vampire possède enfin un aspect assez repoussant : il a de longs doigts crochus, un visage blanc et émacié et d’épais sourcils.
Nosferatu, chef d’œuvre de l’expressionnisme allemand est un film auquel la représentation classique du vampire au cinéma doit énormément, à commencer par la place de la lumière dans les films du genre (même si le vampire demeure ici capable de se mouvoir en journée). Une œuvre assez dense, avec une galerie de personnage certes réduite vis-à -vis du roman de Stoker mais qui n’en demeure pas moins assez étoffée (même si utilisée différemment, à l’image du scientifique). À n’en pas douter, un des films qu’il faut avoir vu pour comprendre le destin des buveurs de sang dans le 7e art. D’autant que même sans parler de films de vampires (le Murnau a connu une descendance avec le remake de Herzog, lui-même possédant une suite – et sans même parler de L’Ombre du vampire de Mehridge), l’influence du film est indéniable sur le cinéma de réalisateurs comme Tim Burton.
Un grand classique. J’ai eu la chance de le voir l’an dernier, projeté à l’église St-James de Montréal, avec une animation théâtrale assez impressionnante, et accompagné de musique d’orgue.