Le Bal des vampires est un film culte de Roman Polanski, datant – déjà – de 1967, il n’a pas pris une ride et allie comédie et vampirisme de façon totalement décomplexée.
C’est l’histoire du professeur Abronsius et de son jeune assistant Alfred, scientifiques le jour, Fearless vampire killers la nuit (« Tueurs de vampire sans peur », c’est le titre original du film), ils décident de mener leurs recherches dans une petite auberge juive au pied des Carpates, surplombée par un château habité par un mystérieux comte… Là, ils feront face aux superstitions des autochtones et rencontreront la belle Sarah, fille de l’aubergiste… sur qui le comte a jeté son dévolu.
Sur le papier, l’adapter en musical était un relatif défi. C’est pourtant ce qui a été fait, par Jim Steinman et Michael Kunze, avec un certain succès populaire, en 1997, d’abord à Vienne puis dans nombre pays germanophones.
Il faut attendre 2014 pour son adaptation française mise en scène par Polanski lui-même, peut-être parce que depuis quelques années les Français se sont habitués aux shows types broadway, genre qui a mis un certain temps à percer dans l’hexagone. C’est d’ailleurs au Théâtre Mogador que cela se passe, tout comme Le Roi Lion, Sister Act ou encore La Belle et la bête récemment. Faire du broadway dans un pays qui a sa propre conception des comédies musicales, et donc proposer une alternative aux machines de guerre commerciales comme Robin des bois ou Mozart l’opéra Rock, c’est déjà une belle initiative à souligner.
Maintenant qu’est-ce que ça donne ?
D’abord, on a échappé au pire : alors qu’un beau gosse un brin fade devait nous être servi en rôle principal (vous noterez la gênance certaine de Roman dans le clip), il y a eu un revirement, et c’est finalement Stéphane Métro qui incarne le Comte Von Krolock.
Une vraie « voix », qui a, entre autre, fait partie du casting du doublage de l’adaptation cinéma de Joel Schumacher du Fantôme de l’opéra ou joué le rôle de Javert dans Les Misérables.
C’est donc soulagée que je pars m’installer dans les agréables fauteuils rouges de cette salle à l’anglaise refaite à neuf il y a peu et dont l’acoustique est formidable.
L’ouverture est enchanteresse, après un petit message demandant d’éteindre les téléphones portables forçant sur l’humour et l’accent roumain, on assiste à du véritable cinéma. Les décors transylvaniens prennent toute leur ampleur et on sait déjà qu’on va en prendre plein les yeux au moins au niveau scénographique.
S’en suivent des scènes alternant humour et premier degré, le mélange prend mal même s’il y a des bons moments des deux côtés. On aurait aimé qu’ils aillent plus loin dans la subversion : notamment autour du personnage d’Herbert (Sinan Bertrand), le fils ouvertement gay du comte, après tout, l’actrice principale est nue sur scène pendant la moitié du premier acte, alors pourquoi avoir peur des scènes de séduction entre garçons ?
Les personnages comiques sont très réussis hormis cela, notamment celui de l’aubergiste dont le rôle est tenu par Pierre Samuel (membre d’Action discrète déjà vu – et approuvé – dans Spamalot) et celui du Professeur Abronsius (David Alexis) à la diction phénoménale.
Le très sensible Alfred, rôle de Polanski dans son propre film à l’origine, est à mi-chemin entre la tension dramatique et le comique de situation, et le jeune Daniele Carta Mantiglia s’en tire magnifiquement. Vous l’aurez compris : le cast est irréprochable. Un bémol cependant à cette trouvaille de mise en scène un peu douteuse : celle de dédoubler les personnages quand ils doivent danser, pourquoi ne pas mettre à profit la polyvalence inhérente aux comédiens spécialisés dans les musical ?
Je ne spoilerai pas les événements de l’intrigue et leur mise en lumière, mais sachez que les décors sont réellement impressionnants et les costumes et le maquillage des plus réussis. L’ambiance est inquiétante, creepy à souhait, on est à la fois plongé dans l’humidité frigorifiante d’une petite auberge puant l’ail perdue en Transylvanie et dans la majesté lugubre du château de cet ersatz de Dracula.
Clairement les défauts majeurs n’ont rien à voir avec la production française, excepté une traduction un peu plate et mot à mot avec des élisions mal amenées « T’as rien laissé du tout / Quand t’as fait s’éclipser mon cœur » est une phrase peu heureuse dans la bouche d’une Mina-like devant un comte vampire que je la vois mal tutoyer au premier abord.
Il y a un gros problème d’équilibre entre les deux parties, la seconde étant clairement rock quand la première s’en tenait au plus grand classique des musicals alternant entre balades et hymnes. Tous les numéros artistiques sont regroupés dans la seconde partie où il ne se passe narrativement pas grand-chose jusqu’à l’apothéose de la fin… inexistante.
Mais le plus grand regret qu’on a en quittant la salle, c’est celui d’avoir la certitude d’avoir en tête Total Eclipse of the heart pendant au moins une semaine. Si l’ensemble des compo musicales ont été créées pour la pièce ou sensiblement modifiées, le thème du comte et de Sarah est purement et simplement la chanson de Bonnie Tyler. Et ce thème revient toutes les deux chansons. Un massacre.
D’autres morceaux comme Le Grand air, restent en tête et remplissent à merveille leur rôle de thème récurrent mais Total Eclipse of the heart casse toute la tension dramatique, surtout avec cette traduction infernale.
Dans l’ensemble donc : du très positif, mais il faut y aller avec l’esprit ouvert, ne pas être à l’affût de la moindre incohérence. Cela fera plaisir aux amateurs de comédies musicales « à l’ancienne » comme aux néophytes, c’est un très bon divertissement. Les codes du vampirisme y sont très bien réutilisés, avec intelligence et humour, on y va pour la figure loufoque du vampire du film original et moins pour le côté dramatique repiqué au Phantom et consorts.
Toutes les photos sont copyright © VBW Brinkhoff/Mögenburg
Erratum : modification le 06/11/2014 d’une mention erronée concernant le doublage du rôle du Fantôme de l’opéra.
Bonjour Heights,
J’ai lu votre article avec intérêt mais dans la mesure où je m’intéresse à la carrière de Dumè, je souhaiterais obtenir des précisions complémentaires sur la « phrase assassine » ci-après :
D’abord, on a échappé au pire :
Soyons cash ! Vous n’avez pas aimé Robin des Bois (« machine de guerre commerciale ») où Dumè jouait le rôle du Shérif, vous n’aimez manifestement pas Dumè, etc. (Je peux, bien entendu, le concevoir). Mais c’est l’emploi du mot « revirement » (et non « changement ») qui me surprend et m’interpelle !
Qu’entendez-vous par là ?
Sauf erreur de ma part, vous semblez sous-entendre que Roman Polanski, qui pourtant avait lui-même sélectionné Dumè pour le rôle principal, a changé d’avis et finalement préféré Stéphane Métro ? Y a-t-il eu des éléments, désaccords qui ont été tenus secrets ? Car, d’après ce que Dumè et son entourage ont déclaré, ce sont purement et simplement ses problèmes de santé (hernie discale) qui l’ont amené à renoncer lui-même au rôle…
Je vous remercie par avance d’une réponse claire, argumentée et – ça va de soi – fondée sur des preuves et non des présomptions.
Cordialement,
Jean-Michel
Bonjour,
C’est la première fois que j’entends parler de cette théorie, la raison officielle invoquée pour le changement de casting est bien une blessure.