A l’image de 2011, 2012 est également une année chargée pour les amateurs de vampires littéraires. Malgré l’intérêt croissant des grosses maisons d’édition à donner leur chance aux auteurs francophones, c’est à nouveau les petites structures qui vont assurer l’essentiel de la production. Pour autant, les moyens de diffusion n’étant pas les mêmes, c’est toujours ce qui sort de la plume des anglo-saxons qui dominera cette année-là en librairie.
Sur la dizaine de romans, anthologies et recueils recensés cette année-là, on ne peut que constater la présence forte de Rebelle Edition, avec notamment quatre nouvelles séries et deux recueils de nouvelles. Le reste de la production se partage entre les Editions du Petit caveau, les Editions du Chat Noir, Ad Astra et Mnémos. Quand on s’intéresse aux auteurs, il est indéniable que les femmes ont bel et bien pris le pouvoir, que ce soit au niveau de la narration (en excluant les recueils et anthologies – soit 4 titres – six des ouvrages sortis cette année-là mettent en scène des femmes), ou au niveau de la plume. Sophie Jomain avec Les étoiles de Noss Head, Cécilia Correia avec Aliette Renoir et La guilde de Nod, Aurélia Mendonça avec Tarots Divins, Nathy avec Anamorphose, Morgane Caussarieu avec Dans les veines, Ambre Dubois avec Les damnés de Dana, Céline Rosenheim avec A l’encre de tes veines et Jeanne-A Debats avec Métaphysique du vampire s’imposent dans la course, face à Jean Vigne et son Dernier vampire et Stéphane Soutoul avec Troubles Songes.
Sans même parler d’un avènement confirmé pour le format série, on remarque que certains auteurs semblent assez s’attacher à la figure du buveur de sang pour lui consacrer plusieurs ouvrages. Estelle Valls de Gomis et Charlotte Bousquet avaient déjà ouvert la voie (jusque-là surtout via des nouvelles), mais Ambre Dubois, Cécilia Correia, Sophie Jomain, Jeanne-A Debats et Stéphane Soutoul prennent leur relève, variant au fil des cycles les périodes abordés (victorienne et antique pour Ambre, victorienne et année 30 pour Cécilia, victorienne et contemporaine pour Stéphane, contemporaine pour Jeanne). Et à l’image de ce qu’on pouvait déjà constater les années précédentes, l’ancrage de l’imaginaire vampirique dans les contrées européennes se fait plus fort, avec pas moins de neuf textes se déroulant sur le vieux continent, contre un aux Etats-Unis (mais avec un pied en Europe) et trois (les recueils et anthologies) où cet aspect varie d’une nouvelle à une autre. Et si le choix d’avoir un narrateur vampire est moins marqué qu’en 2011, les auteurs ne semblent pas opter de manière unilatérale pour faire de leurs protagonistes centraux des chasseurs d’infants de la nuit. La tendance semble en effet aller davantage vers des héros vampires se situant dans une problématique autre que celle du chasseur / chassé. C’est ainsi particulièrement palpable chez Sophie Jomain, Jean Vigne, Nathy ou encore Morgane Caussarieu.
2013 va voir les choses se poursuivre de manière fortement similaire, avec une forte présence d’auteurs et anthologistes femmes : cinq romans et deux anthologies écrasent nettement les trois romans et le recueil de nouvelles placés sous obédience masculine. L’orientation de la production évolue également, avec seulement quatre séries pour un total de dix ouvrages, le tout destiné de manière écrasante (neuf ouvrages sur le total) à un public adulte. Ce qui se détache également, c’est à nouveau l’idée que les vampires sont des créatures dont l’existence est inconnue de la majorité de l’humanité, les récits se concentrant ici sur le face à face entre les vampires et un petit nombre d’humains. D’autant que le héros, dans les romans, est lui-même un vampire (quatre romans sur cinq).
Sans même pointer les recueils de nouvelles, où le contexte historique peu varier, on note une grande disparité parmi les époques retenues par les auteurs, avec certes une légère avance des romans contemporains (quatre romans : Anges d’Apocalypse, les Chroniques de Susylee, les Sentinelles de l’ombre et Rock Star Vampire) et historiques (Émile Delcroix, Even Dead Thing Feels your Love et Comtesse Bathory). À noter également l’une des rares anthologies existantes qui propose des nouvelles futuristes dans la thématique : Vampires à contre-emploi.
Cette année est par ailleurs marquée par le recul des grands éditeurs (à l’exception de Panini, avec le Comtesse Bathory de Patrick McSpare et Albin Michel, avec L’éternel de Joann Sfar), les petites maisons d’édition se réappropriant la thématique de manière écrasante (Rebelle, les éditions du Chat Noir, Mnémos, Céléphaïs, Rivière Blanche), réaffirmant leur rôle de dénicheurs de talent, alors que la grande édition continue en parallèle de ne donner la voie qu’à des auteurs majoritairement anglo-saxons.
Les héros chasseurs de vampires semblent également être passés de mode, aucun des textes publiés cette année-là ne s’orientant vers cette caractéristique. La féminisation de textes sur le sujet se fait une nouvelle fois assez marquée, avec cinq ouvrages mettant en scène des héros féminins, contre trois pour les héros masculins (qu’il s’agisse ou non de vampires, le choix penchant davantage vers la seconde possibilité). Et si la vieille Europe est au cœur des préoccupations des auteurs, certains choisissent plutôt de délocaliser leurs récits aux États-Unis, voire de leur donner une assise plus mondiale (c’est le cas de l’Éternel ou des Chroniques de Susylee).
L’année suivante est marquée par un ralentissement des sorties sur le sujet. Six romans ou séries seulement vont voir le jour en 2014 autour de la figure du vampire, dont la majorité (quatre) sous la plume de femmes : Jeanne-A Debats, Morgane Caussarieu, Esther Brassac et Alice Scarling, le clan des hommes ne se composant que de Matthieu Guibé et Kristoff Vala. Il n’y a pas un seul héros vampire, mais une place écrasante accordée aux héros féminins (seuls Je suis ton ombre et Kath proposent encore des personnages centraux masculins). Si on note le retour de certains éditeurs importants (Milady, avec la série Requiem pour Sacha), les petits éditeurs restent majoritaires sur le sujet, et on retrouve toujours les Indés de l’Imaginaire (cette fois-ci représentés par ActuSF et Mnémos), le Chat Noir et les éditions du Petit Caveau. Sur six textes, quatre se déroulent en Europe (dont trois en France, deux notamment à Paris), le recours aux États-Unis se fait donc moins marqué. Mais les textes restent centrés autour des seuls vampires, seuls deux convoquant en parallèle d’autres créatures.
L’évolution ces dernières années se fait donc à plusieurs niveaux. Les femmes semblent bel et bien avoir pris en main le devenir des vampires de littérature, ce qui va de pair avec une modernisation assez poussée des codes et un basculement vers la romance (dans les deux cas, sans aucun doute l’influence de ce que Bragelonne a nommé bit-lit), même si certains auteurs maintiennent en vie la veine gothique héritée du XIXe siècle (des maisons d’éditions comme les éditions du Petit Caveau et le Chat noir regorgent de textes de ce type), tout comme on trouve encore des auteurs masculins dans la production actuelle. Reste qu’il aura fallu attendre ces dernières années pour voir certains auteurs faire coïncider la thématique et le folklore français, ce qui est palpable dans des romans comme Marjane de Marie Pavlenko (où les vampires fraient dans un Paris ou on trouve également des ondins, etc) ou l’Héritière de Jeanne-A Debats (avec un personnage de notaire des créatures surnaturelles, dont l’histoire se confond avec l’Histoire de France et ses bouleversements).