Jean Rollin est sans nul doute un des réalisateurs les plus atypiques du cinéma de genre français. Faut-il nécessairement envisager uniquement sa production comme celle d’un éternel fauché ? Ne faut-il pas plutôt voir ses films comme ceux d’un réalisateur à la marge, davantage à la recherche d’un impact visuel, d’une ambiance ? À partir de nombreux entretiens avec le réalisateur, des acteurs et personnalités qui l’ont connu ainsi que des journalistes et spécialistes de son œuvre, Damien Dupont et Yvan Pierre-Kaiser proposent d’appréhender autrement la manière de faire de l’auteur du Viol du vampire, des Orphelines vampires ou encore de La Nuit des horloges, de son enfance sous influence surréaliste jusqu’à ses derniers films, en passant par sa production littéraire.
J’ai beau avoir rencontré Jean Rollin de son vivant, lors d’une avant-première de La Nuit des Horloges, il m’aura fallu de nombreuses années pour réellement appréhender la méthode de ce réalisateur pas comme les autres, avant tout à la recherche de l’impact sensoriel de ses films. Car si Rollin fait ses premières œuvres à la même époque que Franco ou Bava, la manière de faire est tout autre. Le réalisateur français est un self-made man, ayant appris sur le tas le métier, et dont les films déconcertent forcément le spectateur, qui a trop tôt fait de le classer comme un homme à nanars. Pourtant, entre les lieux récurrents, les ambiances absurdes et les scénarios décousus, difficile d’imaginer le cinéma de Jean Rollin comme mauvais, mais plutôt comme une exploration des rêves de son auteur.
Centré autour de la parole de ceux qui l’ont connu (ou qui ont appris à l’apprécier) ce documentaire se démarque de celui précédemment sorti chez l’Harmattan (et pas seulement sur le plan technique). On n’est pas ici face à un banal hommage mais face à une réelle ouverture sur la filmographie, la méthode et les déboires du réalisateur, véritable passionné qui suscite l’affection de tous ceux qui l’ont approché. Les extraits sont judicieusement intégrés, et offrent un panorama assez large des films de Jean Rollin, même si tous ne sont pas détaillés avec force détails. On louera cependant l’absence de langue de bois, qui évite au binôme à la tête du projet de faire l’impasse sur la carrière littéraire de Rollin, voire son passage par le porno.
Les vampires sont bien évidemment en bonne place dans Jean Rollin, Le Rêveur égaré. Le réalisateur ne leur a-t-il pas consacré une dizaine de films, entre 1968 et 2007 ? Et entre cimetières, cercueils, couchers et levers de soleil, scènes d’exécutions ou de morsures, l’imagerie vampirique est indissociable du travail du cinéaste, qui semble trouver un réel plaisir esthétique au vampire, le matérialisant quasi exclusivement sous des traits féminins. La morsure semble chez Rollin la matérialisation parfaite de l’alliance de l’Eros et du Tanathos qui définissent le vampire, sans pour autant qu’elle dépasse le cadre de l’érotisme (du moins dans ses films non pornographiques). Des créatures oniriques en diable, qui ne surgissent, comme les rêves et les cauchemars qu’elles hantent, qu’à la nuit tombée.
Difficile de faire abstraction de Jean Rollin si on s’intéresse au thème du vampire et à sa matérialisation sur grand écran. Si le réalisateur a longtemps été décrié en France, les anglophones ont eu tôt fait de le considérer comme un artiste à part, nettement au-dessus de l’étiquette de French Ed Wood qu’on lui accorde par chez nous. Espérons que ce documentaire très complet (sans même parler des nombreux bonus, qui n’en finissent plus d’explorer certains aspects de son œuvre, ainsi que de nombreuses anecdotes) arrive enfin à changer l’image du réalisateur, il le mérite. En tout cas, bravo à Ecstasy of Films et aux deux réalisateurs pour la richesse et la complétude du projet, qui s’avère aussi réussi sur le fond que dans la forme.