En 1743, dans la campagne française, une étrange épidémie désertifie la région. 200 ans plus tard, une jeune femme se réveille curieusement alanguie après une nuit agitée. Son mari reçoit quelques heures plus tard une lettre lui demandant de se rendre pour affaire en un lieu éloigné, où il devra passer la nuit. S’il parvient à rassurer sa jeune épouse, qui éprouve un pressentiment à l’idée d’être séparé pour la première fois de lui, la première nuit passée dans la demeure de son hôte va tout faire basculer.
Fantasmagorie est un cas rare dans l’histoire du cinéma français. Film culte, ayant bénéficié du soutien des plumes de Midi-Minuit Fantastique dès sa sortie, le métrage de Patrice Molinard (lequel travailla sur le Sang des bêtes de Franju) est resté invisible pendant près de 40 ans… avant que Nicolas Stanzick ne parvienne a en localiser une copie et à l’intégrer dans le 2e DVD de son Intégrale Midi-Minuit.
Et bien lui en pris, car le film vaut franchement le détour. Porté par le jeu évanescent d’Edith Scob (qui venait de triompher dans Les yeux sans visage de Georges Franju), le film se révèle être une relecture visuellement captivante du Dracula de Bram Stoker. Car même si le nom du comte et de l’auteur irlandais ne sont jamais cités, comment ne pas penser à la pièce angulaire de la fiction vampirique, quand le récit prend son envol. Entre le héros mandé à l’autre bout du pays par un mystérieux commanditaire, le personnage joué par Edith Scob, à la fois Mina et Lucy, les déplacements du vampire… Mais Molinard choisit de déplacer la temporalité du récit, et de l’asseoir à l’ère moderne, dans la campagne du Val d’Oise. Le relief montagneux de la Transylvanie n’est plus là, mais les vastes forêts et les rivières et fleuves assurent une large part de la charge de mystère du métrage. A noter également le vampire de circonstance, joué par Venantino Venantini, connu pour ses rôles dans Le Corniaud, Ladyhawke, Les Tontons Flingueurs…).
Le métrage est baigné dans une ambiance onirique que son absence de dialogue (tout est assuré par voix off) amplifie fortement. Riche en images et autres métaphores (la place du temps, de l’eau…) le film ne dément pas sa réputation de mariage entre Nosferatu et Vampyr. Les jeux d’ombre, les plans rapprochés sur les personnages, la mise en scène des rencontre entre la jeune femme et des enfants, tout concourt à faire de cet objet filmique une œuvre personnelle et unique en son genre. A noter également l’importance du psychique : la jeune femme lit Introduction à la psychanalyse de Freud, est approchée psychiquement par le vampire, repousse ce dernier à distance lorsqu’elle touche une croix mortuaire, etc.
Côté vampire, le réalisateur-scénariste respecte les codes du genre, qui sont présentés par la voix off. Les vampires sont des créatures de la nuit, qui ont besoin de sang pour survivre. Pour se nourrir, ils doivent donc s’abreuver à même leurs victimes, qu’ils mordent habituellement à la jugulaire, laissant deux marques de crocs caractéristiques. Ils craignent par ailleurs les symboles religieux (la croix en tête) et la lumière du soleil, et doivent se reposer dans un cercueil la nuit venue, et s’en remettre à ses serviteurs humains pour assurer leur déplacement… et leur protection. Ils possèdent enfin certains pouvoirs d’hypnose, leur permettant de subjuguer leurs futures victimes, et la capacité de se changer en brume.
Alors que les films sérieux sur le sujet en France ne courent pas les rues, voilà une perle qu’on prend plaisir à redécouvrir après toutes ces années. Une variation aussi personnelle qu’inventive autour du roman de Bram Stoker. Chaudement recommandé !