Bonjour. Pouvez-vous vous présenter pour les internautes de Vampirisme.com ?
Bonjour ! Absolument. Mon « origin story », comme on dit, a démarré en région parisienne, où mes parents avaient une petite librairie qui vendait entre autres choses des BD, des comics, et du matériel de dessin. J’ai donc eu la chance de passer ma petite enfance à dévorer toutes les BD franco-belges, ainsi que tous les comics américains que Lug, Sagedition et Artima publiaient en France à l’époque, et d’avoir le matériel de dessin à disponibilité pour essayer de créer mes versions de tout ça. Et comme le magasin vendait aussi du matériel de photo, j’avais une réserve inépuisable de film Super 8 pour faire mes premiers essais d’animation et tourner des films dans mon jardin. Bref, dès le plus jeune âge, je me suis mis à faire de l’animation et de la BD. Quand j’étais ado, j’ai commencé à combiner les deux en faisant un court métrage animé du Spirit de Will Eisner, mais après avoir fait l’école d’animation des Gobelins, c’est l’animation qui a pris le dessus. S’en est suivi une carrière en animation qui continue à ce jour, et qui m’a transplanté aux États Unis, et donné la chance de travailler sur des films comme Le Géant de Fer, ou de collaborer étroitement avec George Lucas. Cela dit, la passion de la BD – et notamment du comics – est restée intacte, et je m’y suis remis il y a 5 ans quand j’ai commencé Silver. Au début, je ne pensais pas dessiner la série moi-même, mais l’attraction était trop difficile à résister. Pour Silver, j’ai aussi fait le choix de développer Dark Planet (qui est la structure qui gère mes activités dans l’animation) en une structure d’édition, qui distribue Silver aux États-Unis, et manage les droits internationaux.
Le premier tome de Silver, série qui compte déjà 2 recueils aux US, vient de sortir en France. Pouvez-vous nous parler de la genèse de cette série ?
Quand j’étais petit, je regardais le Cinéma De Minuit tous les vendredis soirs à la télé, et pour ceux qui se souviennent, c’était une émission qui passait principalement des films américains en noir et blanc des années 30 et 40. La programmation était fantastique. Ça allait de Fritz Lang à Orson Welles, de Nosferatu à King Kong, de Cagney à Basil Rathbone… et dans mon imagination d’enfant, tous ces films se combinaient pour former une sorte de méta univers du Pulp. Un univers dans lequel on pouvait être à New York avec les gangsters de Cagney, ou dans la haute société avec Thin Man, prendre un avion a hélices pour l’Angleterre, se perdre sur la lande infestée de vampires et de loups-garous, et prendre un paquebot pour l’Afrique et découvrir des citées perdues… Cet univers, c’est l‘univers de Silver. Un monde en noir et blanc fait d’aventure, de mystère, de surnaturel et de fantasy.
Précisément, Silver s’inscrit dans la continuité de l’univers original du Dracula de Bram Stoker, 40 ans plus tard, en 1931. On suit les aventures de James Finnegan, qui est un mix du classique « con man » américain et du gentleman cambrioleur européen. Finnegan et sa bande s’associent avec Rosalynd « Sledge » Van Helsing (la petite fille du fameux professeur), et de Tao Leu, un jeune garçon Chinois qui a le don étrange de « double vue », pour voler Le Dragon D’argent, un trésor inestimable caché dans le château de Dracula. L’aventure commence à New York, et entreprend un voyage qui nous emmène (notamment par Orient Express infesté de vampires), jusqu’au château de Dracula en Transylvanie.
Après ça, l’idée est de revisiter ces éléments qui m’ont toujours fasciné, et de les utiliser pour raconter une histoire avec une résonance contemporaine. D’avoir des personnages avec une vraie dimension humaine, qui dépasse la nostalgie pour le genre, aussi fun soit-elle.
Pourquoi avoir d’emblée publié votre série en anglais, et non en France ? Après tout, votre langue maternelle est le français ?
Le français est bien ma langue maternelle, mais mise à part une collaboration avec mon frère Emmanuel (lui-même un formidable producteur d’animation et co-créateur de la série télé Cornel & Bernie), toute ma vie personnelle et professionnelle s’est faite aux États-Unis, et l’anglais est la langue dans laque je me suis développé comme scénariste et dans laquelle je travaille depuis de nombreuses années d’une manière générale.
Si l’histoire se base (en partie) sur le Dracula de Bram Stoker, pourquoi avoir choisi de déporter l’intrigue à New-York ?
Une grande partie du fun de Silver, c’est ce high-concept Pulp – le clash des con men New Yorkais et de l’univers de Bram Stoker. C’est au travers de leurs yeux que l’on redécouvre cet univers, partant de simples indices, et en se servant du journal de Jonathan Harker comme guide. Donc je voulais commencer avec des personnages complètement extérieurs, et qui petit à petit voient leur vision du monde se transformer. Les con men, sont, par définition, des gens qui vivent dans « l’envers du décor », et de les voir se rendre compte qu’il y a un tout autre « envers du décor » qui leur échappe totalement est d’autant plus fun. Et pour le fan de l’œuvre originale (comme moi), il y a beaucoup de plaisir de redécouvrir les personnages, lieux, et évènements familiers au fur et à mesure du récit.
D’autre part, l’univers de Silver continue l’histoire de Dracula en suivant ce que sont devenus les personnages du roman 40 ans plus tard, mais poursuit aussi l’exploration du monde sous-entendu par Stoker, et crée sa propre mythologie. On remonte des milliers d’années en arrière jusqu’à l’Âge de bronze, et l’on découvre le monde secret des vampires. Bref, le world-building est une partie importante de Silver.
Graphiquement, quels sont vos modèles ou les artistes qui vous inspirent ? À lire ce premier volet, j’ai pensé tour à tour à Ted Naifeh mais aussi à Eduardo Risso ?
Et bien d’abord, merci ! Ce sont deux artistes extraordinaires ! Je vois tout à fait ce que vous voulez dire en terme de l’utilisation des silhouettes et placement des zones noires, ainsi que d’un certain côté « ligne claire ». Et le côté « années 30 » de Naifeh a aussi une certaine similarité avec mon travail dans Silver. En ce qui me concerne, mes influences les plus profondes sont probablement Will Eisner pour son côté film noir, à la fois minimaliste et expressionniste, et Jack Kirby, dont j’essaye de conjurer l’esprit dans les scènes que j’appellerais « de mythologie ». Puis, quand j’étais dans mes années d’université a la fin des années 80, sont sortis toutes les graphic novels de Frank Miller, Alan Moore, etc., et ont réussi à prendre tout l’univers que j’adorais étant enfant, et d’en faire quelque chose qui offre l’immersion et les qualités dramatiques d’un « great American novel » … C’est cette approche qui m’inspire pour Silver. J’ajouterais aussi Howard Chaykin, dont le côté pulp est évident, et dont le personnage de Dominici Fortune m’a beaucoup fasciné, et est une inspiration pour Finnegan.
Quel regard portez-vous sur l’évolution du vampire en littérature ces dernières années ?
Comme beaucoup d’autres sujets de culture populaire, et parce qu’il a une portée à la fois viscérale et existentielle, le vampire traite toujours des grands thèmes du moment. Et je pense qu’un des thèmes fondamentaux de notre époque est notre relation avec l’information. Pre-internet, l’information, le problème était l’accès à l’information. En d’autres termes, l’information était difficile à trouver. Les mythes de pop culture étaient très centrés sur les choses cachées et secrètes. Donc les vampires étaient très cachés et secrets. Post internet, l’info est partout, mais c’est sa véracité qui est en cause. L’info est là, mais la question c’est de savoir quoi en faire. Je pense que c’est ça qui nous a donné des histoires ou les vampires ne sont plus cachés – que ça soit True Blood, The Strain, etc. Dans ces versions, la société, si elle fonctionne encore, doit digérer et trouver sens dans la présence des vampires.
Ces histoires de vampires sont intéressantes, et à mon sens, deviennent presque plus de la science-fiction puisqu’elle traite de dystopies, ou des critiques sociales dans lesquelles les vampires deviennent une métaphore représentant des groupes sociaux minoritaires.
D’ailleurs, le roman de Stoker était lui-même une critique sociale de la société victorienne.
Cela dit, Silver va dans une autre direction, moins sociale et plus existentielle. Ici, les vampires ne sont pas glamourisés, mais sont des morts, qui reviennent parmi les vivants seulement animés par les pulsions les plus basses, et incapables d’émotions réelles. De tristes simulacres de la vie, en quelque sorte. C’est ce qui rend le clash entre les con men et les vampires thématiquement pertinent. Les Con men eux-mêmes sont figurativement sans âme, et leur rencontre avec des créatures qui le sont littéralement mène à un réexamen de ce que ça veut dire de « se sentir en vie ». Est-ce juste de perdurer pendant des millénaires, où y va-t-il une autre chose ?
Quelles sont vos premières et dernières rencontres avec un vampire (littéraire et / ou cinématographique) ?
Je pense que la première incarnation de Dracula qui a vraiment capturé mon imagination, et que j’ai vue en fait avant de découvrir les Dracula de Lugosi, ou les films Hammer, était le Nosferatu de Herzog. J’adore ce film. Plus récemment (même si ça fait déjà quelques années), j’ai adoré Let The right One In, qui a une approche extrêmement originale sur le thème. C’est un film qui a aussi une approche très existentielle du sujet. On commence dans une espèce de banlieue très déshumanisée, ou l’on peut presque se demander si la vie vaut la peine d’être vécue, et où au début, les pouvoirs « vampiriques », et le mystère sont presque glamourisés, mais au bout du compte, tout se retourne. Du côté plus obscur, je suis récemment tombé sur un drôle de petit film du nom de Byzantium, donc j’ai beaucoup aimé l’univers.
Pour vous, comment peut-on analyser le mythe du vampire ?
Qu’est-ce qui en fait la pérennité ? Pour moi, le mythe du vampire traite de nos thèmes et de nos angoisses les plus intimes – la vie, la mort, le sang, le sexe, la relation à l’autre, passionnelle, prédatrice ou transactionnelle. Il y a la tension entre le romantisme et le nihilisme, la place dans la société… bref… toutes les grandes dualités de l’existence humaine. Comme tel, le mythe du vampire se prête à tous les jeux, toutes les questions, et toutes les époques. Qui sait ce que le futur nous réserve, mais il faudrait une transformation profonde dans la nature même de l’existence humaine pour que le mythe du vampire perde sa pertinence.
Avez-vous encore des projets de livres ou séries sur ce même thème ? Quelle va être votre actualité dans les semaines et les mois à venir ?
Je viens de terminer Silver Volume 3, et je vais maintenant démarrer sur Volume 4, qui complète l’arc original du « Dragon D’argent ». Je viens aussi de finir Rosalynd, qui est une préquelel de Silver. Rosalynd fait référence à Rosalynd « Sledge » Van Helsing, que les lecteurs de Silver connaissent bien. Dans Rosalynd, on découvre son enfance, et on commence à lever le voile sur les mystères de la famille Van Helsing. C’est un livre qui est présenté comme le journal de Rosalynd, et on découvre des évènements extrêmement intenses, vus au travers du regard innocent et sans sentimentalité d’un enfant. Contrairement à Silver, qui est du « sequential art » traditionnel, Rosalynd se présente comme un graphic novel, ou texte et images se mélangent dans une sorte de poésie visuelle extraite des souvenirs d’enfance de Rosalynd.
Entre les 3 volumes de Silver et Rosalynd, c’est vraiment fun de voir les pièces du puzzle s’assembler, et l’Univers de Silver se révéler petit à petit.
D’autre part, il y a un élément de méta fiction où l’histoire de ma famille, réfugiés d’Europe de l’Est au début du XXe siècle, se mélange à l’histoire de la famille Van Helsing.