Après une anthologie sur le sujet parue au premier trimestre 2017, Jacques Finné revient quelques mois plus tard (juin 2017) sur la figure de la goule, au travers d’un essai unique en son genre. Si l’auteur a depuis longtemps (la triple anthologie Trois saigneurs de la nuit en atteste) donné à la créature nécrophage une place de choix aux côtés des fantômes, vampires et autres loups-garous, il n’existait pas jusque-là d’ouvrage de référence sur la goule, ses premiers pas en littérature (et sa genèse folklorique), et son évolution depuis.
On pourrait raisonnablement se demander ce qu’un essai sur la figure de la goule vient faire dans ces pages. Mais la lecture de la précédente anthologie de l’auteur – et de son paratexte – ainsi que du présent essai justifient à elles seules ce choix : la figure de la goule a été trop souvent gommée de l’histoire littéraire, pour être rattachée (abusivement) à la fortune littéraire du vampire. Jacques Finné revient ici aux sources de cette créature mal-aimée, de manière à bien poser les différences qui existent entre elle et les autres figures de proues de la littérature fantastique, dont nos chers hématophages. C’est ainsi à travers deux textes des Mille et Une Nuits maintes fois convoqués dans les essais sur le vampire que la nécrophage venue d’orient fait son apparition en fiction. Une apparition qui pose d’emblée une rupture avec la figure de folklore, l’apport de Galland (autant traducteur qu’auteur) donnant vie à une créature unique, qui diffère du démon des sables original.
Finné pose rapidement les trois caractéristiques fondamentales de la créature, qui vont lui servir à établir le corpus des textes (romans, mais surtout nouvelles) associés à la goule, pour peu que la créature mise en scène utilise a minima deux d’entre elles. D’origine orientale, il s’agit d’une entité surnaturelle qui vit dans les cimetières et se nourrit de la chair des vivants, se rabattant sur les cadavres en cas de besoin. L’auteur convoque bien évidemment les textes choisis dans sa récente anthologie sur le sujet, mais incorpore également plusieurs nouvelles et différents romans publiés tout au long des XIXe et XXe siècles. On y croisera autant les noms de Guy de Maupassant, H. P. Lovecraft, Clark Ashton Smith que ceux de R.L. Stine, Hugh B. Cave, Ray Garton, Neil Gaiman, J.K. Rowling… L’auteur confronte également la goule avec certaines variations sur le thème de la nécrophagie, telles que l’ogre, le wendigo, et surtout le zombie, qui tend à effacer du paysage la créature nécrophage, s’appropriant une partie non négligeable de ses caractéristiques, convoquant son nom, quitte à créer le doute dans l’esprit du lecteur et du cinéphile.
Le seul bémol de l’ensemble est, à mon sens, la tendance de l’auteur à déprécier certaines formes littéraires récentes, majoritairement le manga. S’il cite la série Tokyo Ghoul, Finné n’en insiste pas moins sur les très faibles qualités de ce médium. Certes, l’auteur se justifie sur le corpus des textes qui ont trouvé grâce à ses yeux comme base d’examen (en les confrontant aux caractéristiques précitées), mais je trouve que l’ensemble aurait gagné à moins d’attaques contre une forme narrative qui ne trouve pas grâce à ses yeux. Même remarque pour le gore ainsi que pour l’urban fantasy. L’auteur mentionne et intègre certains des textes subordonnés à ces différents genres dans son examen, mais on sent bien que ce n’est pas de gaieté de cœur.
N’en demeure pas moins que cet essai est réellement passionnant, Finné faisant preuve d’un travail d’érudition remarquable, et structure autour d’une créature qu’on juge souvent secondaire un nombre confortable de textes, à défaut d’être pléthorique (Le corpus est au final assez mince, comparativement à ce qu’ont pu produire les romanciers et nouvellistes sur les fantômes, vampires et autres garous). Comme il le détaille lui-même, l’une des problématiques de la goule est souvent d’être une créature de second plan dans le récit, souvent aux ordres d’autres entités. Et les ouvrages dont le titre incorpore le terme se révèlent souvent trompeurs quant à l’importance que la créature a dans la résolution de l’intrigue, ne prenant jamais l’ascendant sur les autres protagonistes.
Un essai unique en son genre, sur une créature que son utilisation a dénaturée au point de la voir confondue avec le vampire et le zombie. Jacques Finné, poursuivant le travail initié en 1986 avec Trois saigneurs de la nuit, achève de redorer le blason d’une entité mal aimée qui méritait sans nul doute qu’on lui redonne un tant soit peu de visibilité.