Les incroyables aventures de Van Helsing. Un jeu dans lequel nous incarnons le fils d’Abraham Van Helsing, lui aussi chasseur de vampires et de monstres en général. À première vue, cela peut paraître kitch, voire franchement idiot. Eh bien, en fait, c’est parce que ça l’est. Et très franchement, c’est probablement la principale qualité de ce jeu.
Ce jeu, au singulier, en effet : car, si le premier volet sort en 2013, une première suite en 2014, et un troisième opus en 2015, non seulement la version final cut a permis de regrouper les trois titres en un, mais de plus l’équipe de développement, le studio hongrois NeocoreGames, dit avoir pensé ces trois épisodes comme un unique jeu divisé en chapitres. Légitimement, il semble permis de nous pencher sur cette série de hack ‘n’ slash en tir groupé.
Si le synopsis n’est pas le point fort de cette trilogie, parcourons-le malgré tout rapidement : nous incarnons donc Van Helsing junior qui, bien entendu, a repris le flambeau paternel et officie comme chasseur de monstres, vampires, loup-garous, fantômes et tout un bestiaire. Oublions Bram Stoker ou Antony Hopkins : ce Van Helsing est un ténébreux à large chapeau, voix rauque, charisme bien trempé, arsenal offensif conséquent. Il s’agit bien d’une référence plus ou moins explicite au personnage incarné par Hugh Jackman dans la comédie éponyme de 2004. Ah, on me fait savoir qu’il n’était pas prévu que ce soit une comédie. Diantre.
À ses côtés, et c’est l’une des caractéristiques du gameplay, Lady Katarina, une fantôme à la langue bien pendue qui, asservie par Van Helsing senior, nous servira d’utile partenaire tout le long d’une aventure somme toute assez longue : quinze à vingt heures par opus, selon votre appétence pour l’exploration et la découverte. Précisons-le dès maintenant : nous ne parlerons ici que de la version solo du jeu, mais il est intéressant de garder en tête qu’un mode multijoueurs existe, et constitue un élément important pour les amateurs du genre.
Une fois l’une des six classes de personnage choisie (mécanisme qui n’apparaissait originellement qu’à partir du deuxième opus), nous contrôlons donc Van Helsing, appelé à la rescousse par un mystérieux groupe de rebelles en Borgovie. Située quelque part grosso modo en Bulgarie, ce royaume (à moins qu’il ne s’agisse d’une république ?) à l’esthétique gothique steampunk servira avantageusement de cadre à l’ensemble de l’action. Avantageusement, parce que la Borgovie regroupe tout ce qu’il faut pour nous mettre dans l’ambiance: loups-garous et vampires, savants fous et serviteurs bossus (tous appelés Igor), campements de gitans à la main légère sur les malédictions, soldats mécaniques, vieux tunnels et laboratoires secrets, et, surtout, les effluves de l’Encre, sorte de monde parallèle et onirique très esthétique (et qui évoquera à n’en pas douter bien des choses aux amateurs de la franchise Dishonored). Un maître-mot de ce décors : « cliché ». De la campagne borgovienne jusqu’à la capitale (Borgovia, car pourquoi se compliquer la vie ?), titanesque cité-machine steampunk, on découvrira dans le premier chapitre la résistance, composée de vampires, dirigée par le comte (forcément) Vlados (si, si, avec une cape et un accent de circonstance). Les vampires, anciens maîtres des lieux, sont à présent opprimés par un savant fou de bon aloi, le Professeur Fulmigati, grand amateur d’expérimentations contre-nature et despote de facto, ce qui nous règle le problème du système politique du pays. Il sera, bien entendu, le premier antagoniste, jusqu’à la confrontation finale, menée à grand renfort de répliques cultes honteusement assumées.
Le savant et son inévitable machine d’apocalypse vaincus, on entame le second chapitre (donc second jeu), depuis le refuge de la résistance, sorte de hub central, avec l’apparition d’un nouvel adversaire, tout aussi téléphoné : le général Harker (qui d’autre?), génie militaire estropié, qui va plonger le pays dans une guerre civile dont l’issue dépend, bien entendu, de vous. Pour ce faire, un nouvel allié vous épaulera : le mystérieux Prisonnier 7, qui mettra en place un audacieux plan consistant à vaincre la puissance technologique d’Harker en puisant dans les ressources mystiques de l’ancienne divinité des terres de Borgovia, le dieu de la foudre Perun. Harker à terre, il est nécessaire de recourir au spoiler. Mais franchement, vous devriez avoir senti la chose arriver : Van Helsing, c’est avant tout un marathon de poncifs : si on ne s’y attend pas, on est presque déçu. Le Prisonnier 7 vous a donc trahi, et c’est la moindre des politesses de sa part. Oui, vous voyez, ce mystérieux allié masqué au passé trouble, qui a surgit de nulle part pour offrir son aide. Si l’on ne peut même plus faire confiance à un gars aussi visiblement innocent… Il sera donc la némésis du troisième et dernier chapitre, se révélant n’être rien moins que Kochtcheï l’Immortel (pour les amateurs de folklore slave), furieux de voir sa terre déformée par les outrages de la technologie, puisant dans les profondeurs de l’Encre pour lever des hordes de créatures improbables et arriver à ses fins. Révélation : à la fin, c’est vous qui vous gagnez.
Maigre synopsis à part, que retenir de ces Incroyables Aventures ?
Dans un premier temps, parlons gameplay : il s’agit d’un hack n’ slash des plus communs. Clone de Diablo, ce qui implique fatalement un aspect répétitif et parfois franchement lassant et fastidieux, il peut être considéré, selon les opinions et les habitudes de jeux, soit comme un système simple mais bien huilé (ce qui est l’opinion du présent rédacteur), soit comme nouvel ersatz moins compétent que ces prédécesseurs (ce qui est visiblement l’opinion des amateurs du genre). De cela, chacun sera juge. Rien de bien neuf donc de ce côté-ci : on clique comme un abruti sur des hordes d’ennemis en ajoutant une part de micro-management pour utiliser des compétences, pour, au final, parcourir des zones de jeu assez linéaires ; on orientera ses capacités (bien entendu largement fonction du choix de la classe de personnage) selon un arbre de compétence assez conséquent et, au final, on passera le plus clair de son temps à gérer un inventaire gargantuesque. Un élément rafraîchissant reste la gestion, un peu plus réduite, de notre partenaire spectral, Lady Katarina, qu’on peut utiliser comme soutien défensif ou binôme agressif.
S’ajoutent une bonne dose de crafting, conséquence logique de la multitude d’équipement disponible (création, enchantement, modification… À nouveau, on aime ou l’on déteste, la chose reste facultative en tout état de cause.) ; ainsi que quelques éléments de gameplay optionnels, sortes de mini-jeux imbriqués : gestion des missions de la résistance confiées à divers capitaines, gestion de sa chimère apprivoisée (elle s’appelle Fluffy. Ne riez pas.) ou défense du refuge de la rébellion (sous forme de tower defense). Le tout oscille entre l’anecdotique et le bienvenu, selon les goûts.
Néanmoins, à mon humble avis, le système de jeu n’est guère l’élément principal de ce titre. N’étant à titre personnel que peu amateur du genre, le plaisir fut issu d’autres éléments. Parlons donc de ceux-là.
Tout d’abord, ce jeu est beau. Vraiment. Osons dire : chiadé. Certes, d’un point de vue purement technique, sans doute y a-t-il à redire sur les textures ou les animations, mais la direction artistique tire très largement son épingle du jeu. Les décors surtout, mais aussi les personnages et monstruosités diverses, sont tous superbes. À mi-chemin entre une ambiance victorienne noire parfaitement assumée comme cliché et référence et un steampunk canonique au point d’être caricatural (à propos des notions de canon et de caricature en steampunk, je vous prie de m’envoyer directement vos lettres d’insultes en poste restante), chaque niveau est absolument superbe, et tous dégagent une ambiance remarquable, à quoi s’ajoutent quelques vraies idées d’esthétiques originales qui permettent de se sentir évoluer dans un univers singulier et cohérent, tour de force paradoxal si l’on considère que tout cela ne repose sciemment que sur des thèmes déjà vus et revus. En bref, chez Neocore, il semble qu’on ait voulu faire quelque chose de classieux, de créatif et qu’on ait refusé de se contenter d’à-peu-près. Et ça, j’aime bien.
Si l’on peut s’extasier face à une direction artistique de qualité qui nous promet une ville-machine gothique, un monde parallèle aux îlots en suspension dans le néant, des laboratoires souterrains, des bas-fonds toxiques de la métropole, une forteresse de glace et de verre, des cimetières d’aéroplanes, et j’en passe, tout cela n’est pas gratuit : bien que fait de bric et de broc, référence empilée sur référence, le résultat final est étonnement cohérent, quand bien même cette cohérence reposerait-elle parfois sur le joker « Ta gueule, c’est cliché ». Or cet univers improbablement cohérent ne prend justement son sens que dans le cliché référentiel. Et le résultat est hilarant.
L’écriture des Incredible Adventures est en effet remarquablement intelligente. On l’a vu, le scénario est réduit à sa plus simple expression, et la cohésion du contexte repose sur l’utilisation référentielle de thèmes connus, ou plus précisément de l’usage de la référence comme méta-référence, ce qui est beaucoup plus subtil. Ce n’est pas clair ? Non, ça ne l’est pas. Mieux vaut prendre un exemple : Igor, serviteur bossu du docteur Frankenstein, est une création tardive (1823) et ne devient stéréotypique qu’avec la version cinématographique de 1931. Utiliser cette figure en éclipsant volontairement cet aspect et en prenant comme référence tacite le roman de Shelley revient donc à faire une référence au carré, en imbriquant une référence dans une référence. Manié avec soin, c’est aisément brillant. Si vous vous posiez des questions sur la phrase en début de chronique sur le film de Stephen Sommers, cela devrait y répondre. Mais l’emploi systématique à la référence dans le but de créer un méta-monde n’est pas la seule à l’œuvre : une seconde couche s’ajoute, la référence inter-média. Si les renvois peuvent être historisants (un certain Nikola Telsa…), littéraires (des contes de Grimm à Douglas Addams), cinématographiques (beaucoup trop nombreux pour être recensés), ils sont aussi très largement issu du même medium, le jeu vidéo. À première vue totalement gratuits, ils en viennent en réalité à faire sens parce qu’ils sont du même medium. Autrement dit : les Incroyables Aventures sont, à mon sens, un jeu vidéo qui parle de jeu vidéo, à la manière qu’un film des frères Cohen parle de cinéma et qu’une nouvelle de Borgès parle de littérature.
Pour le dire à nouveau, l’humour et la référence sont les qualités premières des Incredible Adventures. Les divers protagonistes n’hésiterons donc pas à émettre leurs points de vue, quitte à briser violemment le quatrième mur ; Lady Katarina entre deux violents combats, se plaindra d’être reléguée au rôle de bonniche, ou fera un quelconque sous-entendu sur les compétences du personnage, du joueur ou de la fainéantise des concepteurs. Surtout, les références pleuvent : un quelconque domovoï lâchera un « anneau unique » à sa mort ; un « Lambda » jaune, peint sur un mur, amènera la réflexion que « ce ne sont pas nos rebelles » ; on discutera d’un type aux cheveux blancs qui porte deux épées : « Celui qui chasse les monstres ? – Non, plutôt un elfe noir ». Bref, il s’agit bien d’un festival de références que certains, sans nul doute sauront apprécier. Pour le dire autrement : un festival pour geek.
Outre cet aspect farcesque, on appréciera le recours à un folklore est-européen allant bien au-delà de la culture hongroise des développeurs : outre Kochtcheï l’Immortel ou Perun, déjà cités, on croisera, généralement pour leur plus grand malheur, Domovye, Rusalki, vrykolakas, leshis, vodianye, et j’en passe, ce qui ajoute une couleur locale bienvenue à la Borgovie.
Concluons. The Incredible Adventures of Van Helsing est-il un bon jeu ? La réponse est malheureusement sans appel : pas franchement. Il s’agit d’un hack n’ slash peu mémorable, que les quelques éléments positifs de gameplay ne suffiraient pas à sauver. C’est répétitif et assez ennuyeux. Pourtant, de façon improbable, c’est un plaisir. Entre la qualité artistique de l’ensemble, et le plaisir provoqué par un flot ininterrompu de références et d’intertextualité, The Incredible Adventures se situe dans une zone d’ombre assez peu représentée d’un objet qui fait preuve de ses qualités, paradoxalement, sur ce qui ne touche pas à sa spécificité : un jeu médiocre au sens strict mais pourtant, un très bon objet culturel, faute d’avoir pensé à meilleure appellation…