Alors que la tempête se déchaîne sur la ville de Whitby, une goélette s’approche des récifs. Malgré les obstacles, elle finit par s’immobiliser dans le petit port. Monsieur Holm est le premier à monter à bord, accompagné d’un gendarme. Ils se retrouvent tous deux à contempler un sinistre spectacle : il ne reste sur le pont qu’un cadavre, attaché à la barre. Aucune trace des autres membres de l’équipage. Après avoir dû faire face à un loup de grande taille qui quitte précipitamment le bateau, le douanier commence la lecture du journal de bord.
L’épisode du Déméter ne cesse de faire bouillonner l’imagination des romanciers, scénaristes et réalisateurs. The Last Voyage of Demeter, un film auquel ont été attaché les noms de Robert Schwentke, Marcus Nispel, Stefan Ruzowitsky, David Slade et Neil Marshall, est dans les tuyaux depuis au moins 2003. Cette partie de l’oeuvre de Stoker a par ailleurs déjà été adaptée en comics, sous le titre Death Ship, sur un récit arrangé par Gary Gerani et dessiné par Stuart Gayger en 2010. Plus récemment (2017), La glace et le sel, roman de l’écrivain mexicain José Luis Zarate, sortait en français (le livre a été originellement publié en 1998).
Le scénario de Jok joue la carte du récit enchâssé. Monsieur Holm, parmi les premiers à monter sur le bateau après son échouage, commence la lecture du journal. À ce moment-là, la trame se déporte à Varna, alors que le Déméter vient de quitter le quai à direction de l’Angleterre. La suite de l’histoire reproduit assez fidèlement la portion du roman de Bram Stoker concernée, même si certains personnages sont plus détaillés (à commencer par le second, Mr Lepes, qui est présenté comme le seul roumain du bord). À l’image de ce qui se passe dans l’histoire originale, l’équipage sent peu à peu qu’une étrange ambiance s’installe, qui s’accroît de plus belle une fois les formalités réglées en Turquie.
Pour ce qui est du dessin de Rodolfo Santullo, je serais plus nuancé. Il y a plusieurs cases assez superbes au fil de l’album, notamment quand le navire subit de plein fouet une tempête. Mais je trouve que les traits des différents protagonistes manquent d’homogénéité, et que la couleur est bien souvent très sombre.
Les auteurs ont choisi de mettre en retrait le personnage de Dracula, à l’image de ce qui se passe dans le roman (où il n’intervient pas en tant que narrateur, et où ses échanges avec les protagonistes restent assez sporadiques). Il faudra un certain temps à L’équipage pour comprendre la situation, et suspecter la présence d’une tierce personne cachée dans la cargaison. Pour le reste, il semble que c’est à la fois le rosaire qu’il tient à la main jusqu’à sa mort que l’intérêt qu’il a pour Dracula qui vaut au capitaine de ne mourir qu’à la toute fin du voyage. C’est, comme dans l’histoire d’origine, le dernier survivant, qui ne porte pas de traces de morsures. Concernant les caractéristiques propres au vampire, Dracula est ici présenté comme commandant aux éléments, et capable de se dématérialiser. Mais on ne le voit finalement que très peu en personne. Le titre de l’album parle par ailleurs pour lui : ce qui va être au centre du récit, ce sont ces quarante cercueils, contenant la terre d’origine du vampire, qui vont lui permettre de restaurer ses pouvoirs la nuit venue.
Une adaptation relativement intéressante d’un chapitre parmi les plus emblématiques du roman de Stoker. Le scénariste, de manière à donner corps à son récit, choisit en effet de davantage gonfler la psychologie de ses personnages. Si je ne suis pas convaincu par le dessin outre mesure, l’ensemble n’en reste pas moins une variation réussie.