L’idée d’adapter Dracula en bande dessinée ne date pas d’hier. Sans même parler du comics américain, qui aura été le premier à s’y essayer, la bande dessinée dite « franco-belge » a produit au fil des années de nombreuses relectures et interprétations du roman de Bram Stoker. Parmi les plus marquantes, mentionnons celle d’Hippolyte, qui fait appel à la technique de la carte à gratter, ou celle de Pascal Croci, plutôt constituée de morceaux choisis. Au vu de l’ampleur de l’ouvrage (208 pages), difficile d’imaginer que Georges Bess ait tranché dans le vif, et la lecture le confirme rapidement : on est bien face à une adaptation fidèle (même s’il y a quelques retouches personnelles) du roman.
Le dessinateur, qu’on avait eu l’occasion de voir s’essayer à la thématique avec le triptyque Le Vampire de Bénarès, s’attaque cette-fois ci à une des trois œuvres fondatrices du vampire de fiction. Il se concentre sur le cœur du roman de Stoker, laissant de côté « L’invitée de Dracula » (qui n’a ceci dit jamais réellement été réintégré au texte d’origine, dont elle constituait une sorte d’introduction). Et force est de constater qu’il respecte de près à la fois la trame et les dialogues. Bien évidemment, il s’essaie à quelques ajustements personnels, ne serait-ce qu’en convoquant les noms de Nosferatu et de Vlad III dans la bouche même de Dracula, faisant le lien autant avec la descendance fictionnelle du personnage qu’avec ses sources historique. De même, la fin est sujette à quelques modifications, même si le rideau retombe sur un dénouement identique : la mort du vampire.
Mais la force de cette adaptation, c’est à n’en pas douter le style graphique de Georges Bess. Le dessinateur, qui s’est fait la main dans les pays nordiques avant de se faire un nom en France aux côtés d’Alejandro Jodorowsky, expose ici son incroyable maitrise du noir et blanc incroyable. Dans des séries comme La Légende du Lama Blanc, voir dans Le Vampire de Bénarès, on sentait la maîtrise du découpage du dessinateur, et sa capacité à jouer avec les ombrages. Délesté de la couleur, on ne peut qu’être subjugué par le résultat de cet album. La mise en page et les cadrages sont inventifs et dynamiques, jouant sur les close-up des visages et l’intégration des décors à la thématique. On pense au Andreas de Rork, à Battaglia, voire aux jeux de superposition de Francis Ford Coppola dans son Bram Stoker’s Dracula. Mais retour au texte original oblige, la romance est expurgée : Jonathan, Mina et les membres de leur petit groupe devront affronter ici un monstre aussi rusé que dangereux. En jouant sur la représentation du comte, qui prend l’apparence de Nosferatu à partir du moment où il est découvert, c’est bien vers toute l’horreur du personnage que nous entraîne l’auteur. Ce qu’on ressent également dans sa représentation des femmes vampires, dont l’horreur s’impose plus rapidement au jeune avoué. Le jeu des apparences est au cœur du récit, s’imposant en filigrane dans les échanges qu’ont Mina et Lucy avec le trio de vieux pêcheurs, dans les ruines de Whitby. Mais on retrouve également son amour de l’architecture, quand il s’attèle à représenter les déambulations de Jonathan dans le château cyclopéen de Dracula.
Un album que j’attendais avec impatience et qui ne m’aura aucunement déçu. Georges Bess signe avec cette adaptation une œuvre à la fois fidèle et personnelle qui offre à Dracula une nouvelle réinterprétation pour les amateurs. Graphiquement incroyable, c’est une version du roman de Stoker à côté de laquelle il est impossible de passer.
Si vous me le permettez, une petite mise au point personnelle.
Depuis pas mal d’années, je m’aperçois que dès qu’une nouveauté apparait au rayon des BD sur le personnage de Stoker on passe immédiatement au superlatifs, du style « adaptation ultime » (comme j’ai pu le lire dernièrement) et j’en passe.
Je comprends bien qu’il faut attirer le chaland à travers des titres accrocheurs, mais tout de même…
Une fois de plus si l’album en lui-même est une jolie réussite, la figure de Dracula n’est pas quant à elle (dans sa restitution) à la hauteur de ce qui l’on est en droit d’attendre pour un tel personnage.
A mon sens, seul gene Colan dans son « Tomb of Dracula » (1972-1979) a réussi à lui conférer une véritable consistance, à le doter à la fois d’une épaisseur physique ET psychologique : un Dracula méphistophélique à souhait, complexe et terrible à la fois.
D’ailleurs, si vous voulez voir l’aboutissement de son oeuvre, je ne peux que vous conseiller de lire
le superbe « Tomb Of Dracula – Day Of Blood ! Night Of Redemption ! » (1991 en 4 volumes).
Il demeure à mes yeux (et de loin) comme la plus impressionnante composition originale du Prince des ténèbres en BD.
Et même si Colan n’a pas eu dans son carnet de commandes la chance de pouvoir s’attaquer directement à l’oeuvre majeure de Stoker, l’empreinte qu’il a laissé auprès de ma génération (quadras) est suffisamment significative pour inspirer le respect.
Il me fallait donc le dire de vive voix, ce qui est fait.
Mais je ne boude pas pour autant mon plaisir avec cette superbe adaptation du roman par georges Bess, comme avec d’autres de la même veine (sans jeux de mots).