En 1962, Les Éditions du Terrain Vague — à la tête desquelles on trouve l’incontournable Eric Losfeld — publient Les Vampires de Tony Faivre. Depuis Montague Summers, personne ne s’était essayé à dresser un historique détaillé du fait vampirique, depuis ses racines mythologiques jusqu’à son intronisation comme une figure culturelle. Antoine Faivre, derrière ce pseudonyme, réalise ici un travail de fond, retournant aux sources latines, allemandes, etc. pour tenter de démêler certains écheveaux. À commencer par la propension de ses prédécesseurs (dont un certain Dom Calmet) à aborder de manière conjointe vampires, loups-garous et autres fantômes. Alors que la suite de sa carrière le verra s’orienter vers l’étude de l’Ésotérisme et son histoire, Faivre ouvre le bal par un ouvrage qui fera date dans la genèse de la recherche vampirique.
Les Vampires est publié en 1962, il précède donc de près de 10 ans l’essai qui donnera par rebond naissance aux Vampires Studies : In Search of Dracula de Raymond McNally et Radu Florescu. Si le duo d’universitaires s’intéresse davantage à Dracula, le roman comme le personnage, Faivre se pose comme un continuateur plus rigoureux de Montague Summers. Il exclut de fait tout ce qui ne traite pas directement du vampire, comme il s’en ouvre au lecteur dans l’introduction, et structure son essai en neuf chapitres principaux. Le livre s’achève sur une sélection de textes importants sur le sujet (donc un morceau de la première traduction française de Dracula, par Eve et Lucie Paul-Margueritte).
Plus courts, les deux premiers chapitres ont essentiellement pour vocation de montrer que les récits et témoignages qui se font jour en Europe à partir de la fin du XVIe siècle n’apparaissent pas par hasard. Il faut aller en chercher l’origine dans les croyances des peuples et les figures mythologies qui existent dans les anciennes religions. Le catholicisme a beau s’imposer en Europe, le terreau païen persiste des siècles durant, sans même parler des époques troublées (par les guerres et les maladies comme la Peste) qui jouent sur la résurgence de ces croyances. Faivre cite peu de cas pour la période médiévale (mais en recense malgré tout une dizaine) avant de passer à l’époque charnière, de la fin du XVIIe à la première moitié du XVIIIe siècle, où on retrouve des noms connus des amateurs, comme Arnold Paole et Peter Plogojowitz. Mais Faivre va plus loin : il installe en ouverture de cette époque le personnage de Giure Grando, premier cas documenté qu’on a par trop tendance à occulter. Et il décrit d’autres affaires similaires, exhumant tout un pan de l’histoire folklorique de cette période qu’on a réduit depuis à deux ou trois noms. C’est un vrai travail de fourmi, qui revient là aussi aux sources plutôt que de s’appuyer sur des recensions intermédiaires.
En montrant l’existence de tous ces cas, l’auteur a toute la latitude pour faire basculer son propos vers ce qui constitue les premières recherches sur les vampires, d’un côté ceux qui tentent d’y trouver une cause ésotérique, comme le Magia Posthuma de Ferdinand de Schertz, de l’autre ceux qui vont tenter de déconstruire le problème en lui donnant des raisons plus scientifiques ou médicales, comme le De Masticatione Mortuorum in Tumulis de Michael Ranft. Sans même parler de la Dissertation de Dom Augustin Calmet, réponse de la religion catholique à cette « hystérie » vampirique. De fait, l’analyse du vampire n’attend pas l’avènement de la créature comme figure culturelle pour émerger : elle a lieu alors que celui-ci est un fait folklorique devenu une réalité pour une partie de l’Europe. Jusqu’à susciter l’intérêt de la classe régnante et de la Religion, qui vont y mettre un terme.
Finalement, c’est dans sa dernière partie, qui aborde le vampire après sa récupération par la littérature puis le cinéma, que Faivre est le moins à l’aise. Il a certes un vrai rôle de défricheur à ce niveau, une large part des œuvres évoquées étant alors récemment traduites (ou en passe de l’être, pour Dracula, que Faivre préfacera en 1963), voire pas encore. Le texte n’est cependant pas exempt d’erreurs, comme cette confusion entre «La Maison Maudite» et «Je Suis d’Ailleurs», ou entre «Le Giaour» de Byron et Le Vampire de Polidori. Mais il y a un réel intérêt à parcourir ces chapitres, notamment pour certaines références cinéma qui vont au-delà des jalons de la Universal. Faivre cite ainsi plusieurs films antérieurs à Nosferatu qu’on serait bien en peine de retrouver aujourd’hui, et décrit plusieurs métrages contemporains du Browning. Forcément, l’essai date de 1962, une époque où le seul film vampirique de la Hammer est le Cauchemar de Dracula de Terence Fisher, il y a donc un intérêt certain à se replonger dans la perception qu’on pouvait avoir il y a maintenant 60 ans du phénomène culturel qu’étaient les vampires, encore engoncés dans les capes du théâtre de boulevard (et l’interprétation de Lugosi et ses suiveurs).
Les Vampires de Tony Faivre est un jalon dans l’histoire de la recherche vampirique. Si c’est le premier essai du genre en langue française, il coiffe de quelques années les auteurs d’In Search of Dracula, devenant le premier exégète de la matière vampirique, principalement pour sa part folklorique, mais ébauchant aussi l’exploration de son remodelage culturel. Le travail de recherche effectué en amont, le nombre de cas passés au crible — et cette volonté de s’intéresser au vampire et à lui seul — tout cela justifie sans nul doute la lecture de ce livre. À noter que des illustrations de Jean Boullet — le même qui travaillera à une version en ombre chinoise de Dracula et qui sera l’un des créateurs de Midi-Minuit Fantastique — viennent enrichir hors-texte les propos de l’auteur, et que l’ensemble bénéficie d’une iconographie certes limitée, mais bien choisie.
Une réédition serait (enfin) la bienvenue pour un tel ouvrage.
Il m’a fallu pour ma part débourser 95 euros pour en acquérir un exemplaire (frais de port en sus).
Et je l’ai obtenu à un bon prix !!!
Bon, en même temps il faut avouer que ce dernier ne se trouve pas facilement sous le sabot d’un cheval…