L’histoire commence au moment où Jonathan Harker quitte l’Angleterre pour la Transylvanie. Il y est attendu par son client, le comte Dracula. Après un long voyage de plusieurs jours, il est abandonné par la diligence au col de Borgo. Alors que les cris des loups résonnent dans la nuit, une calèche apparaît pour le conduire au château. Il y fait la connaissance de Dracula, un aristocrate accueillant, bien qu’un peu sinistre. Harker se retrouve invité à rester plus de temps que prévu auprès de ce dernier. Bientôt, des événements étranges surviennent, et le jeune avoué réalise qu’il est prisonnier de son hôte. Celui-ci est-il seulement humain ?
Produite par la BBC, la minisérie Count Dracula est diffusée pour la première fois en 1977. Gerald Savory, qui scénarise à partir du roman de Stoker, vient du monde du théâtre et a déjà une longue carrière derrière lui, principalement la télévision. Plus connu dans le registre du mélodrame, il n’en a pas moins également travaillé sur la série Hammer La Maison de Tous les Cauchemars (1980, épisode « Rude Awakening », réalisé par Peter Sasdy) et adapté Dr. Jekyll et Mr. Hyde (en 1980, dirigé par Alastair Read). Il en va de même pour Philip Saville, le réalisateur. La carrière de ce dernier derrière la caméra commence en 1960, et il s’attaque de manière récurrente à des adaptations théâtrales pour le petit écran. On lui doit notamment Hamlet at Elsinore (1964), basé sur la pièce de Shakespeare, et qui possède des caractéristiques que l’on retrouve dans Count Dracula. Il s’agit de l’idée de tourner sur les lieux réels de l’intrigue (Helsingør, ou Elseneur en français, une ville du Danemark) et de faire appel au format vidéo. Il réitérera avec son Oedipus the King (1968), filmé dans le théâtre antique de Dodone, en Grèce.
Les premières minutes de la minisérie Count Dracula sont d’emblée placées sous le signe de la fidélité au texte : pour la première fois, il est donné au spectateur de suivre l’intégralité du périple de Jonathan Harker. Les dialogues reprennent autant que possible ceux du roman, ne se limitant pas aux seules scènes emblématiques. Les fiancées de Dracula sont également beaucoup plus présentes, depuis leur rencontre avec Harker jusqu’à leur élimination par Van Helsing. C’est un des passages où l’on mesure le mieux l’influence que cela a pu avoir sur Coppola, qui joue comme Saville sur l’opposition entre séduction et monstruosité qu’incarne le trio. Appuyant ce respect du livre, il y a enfin cette idée de tourner à Whitby. Sachant que Stoker avait écrit une partie du roman sur place, et qu’un portion non négligeable de ce dernier s’y déroule. De fait, un sens de l’authenticité rare se dégage de ses scènes, notamment celles du cimetière de l’abbaye.
Tout en restant fidèles au texte, le scénariste, le réalisateur et les acteurs donnent une identité propre au film. Louis Jourdan peut se targuer d’avoir joué pour Hitchock, Ophüls, Tourneur… Personnification du french lover, il propose une incarnation du comte qui souligne sa noirceur et son arrogance. Le vampire est ainsi vêtu à la manière d’un ecclésiastique, quand il accueille Harker, offrant à ce dernier un visage aussi affable que distant. Un choix qui ne peut que renforcer son statut démoniaque : derrière l’habit de prêtre et la beauté des traits se dissimule le mal à l’état pur. Après que Harker lui a porté un coup de pelle sans effet, le sourire qui se dessine sur sa bouche révèle toute la malignité du comte, qui se sait invulnérable. Quand il s’oppose à Van Helsing, désormais découvert, il se fait grinçant : « Ah oui, ça semble toujours plus impressionnant en Latin », dit-il, se moquant des rituels auxquels se livre le docteur. Il y a enfin l’importance de l’âme, centrale dans tout le métrage, qui renvoie aux racines romantiques du vampire. Ce thème, on le retrouve à travers la scène entre Renfield et Mina, mais aussi en filigrane durant le passage où Swales raconte l’histoire du suicidé à celle-ci et à Lucy. Dracula est en dehors de ce questionnement : les effets graphiques psychédéliques qui s’imposent à l’écran quand les instincts vampiriques de ce dernier prennent le pas ne font que renforcer son caractère inhumain. Ce qui lui permet d’être sûr de lui lorsqu’il compare ses besoins nutritifs à ceux des vivants : pour lui, il n’y a là rien de répréhensible. Le personnage va plus loin, en soulignant qu’à ses yeux, les vampires se nourrissent de leur existence respective. Dans son esprit, il y a une dimension altruiste à ses actions : le baiser de sang est un partage. Ce qui va de pair avec les sous-tendus sexuels associés, et s’oppose à la morale très rigoriste de l’époque victorienne.
Face à Dracula, Franck Finley incarne un Van Helsing pour le moins convaincant, et plus conforme aux descriptions du livre que ses prédécesseurs. Il intègre ainsi à son jeu les difficultés du personnage à s’exprimer dans un anglais correct. En définitive, il campe un Van Helsing moins sûr de lui que celui de Peter Cushing, qui a imposé sa marque sur le savant hollandais (et ce jusqu’aux 7 Vampires d’Or en 1974). Il est dans le même temps moins extrême qu’Anthony Hopkins, dont l’interprétation puise malgré tout dans celle de Finlay. Ce dernier n’a pas à rougir de sa carrière, comparativement à Jourdan. On a ainsi pu le voir dans le rôle de Iago pour le Othello (1965) de Laurence Olivier, voire celui de Porthos dans la trilogie des Mousquetaires de Richard Lester. Sous ses traits, Van Helsing prend la tête du petit groupe de chasseurs qui va s’opposer au vampire.
Si la fidélité est le maître mot de cette adaptation, elle n’est pour autant pas exempte de différences avec le roman. La première est énoncée dès les premières minutes du film : Lucy et Mina sont sœurs. Il y a également la fusion entre Quincey Morris et Arthur Holmwood, qui deviennent Quincey Holmwood, attaché à l’ambassade américaine (campé par Richard Barnes, un musicien, qui surjoue l’accent texan du protagoniste). Certains apports participent à la caractérisation des personnages, comme l’idée que Harker n’arrête pas son geste et blesse Dracula… en vain. En regard de ces divergences, qui impactent ponctuellement l’intrigue, il y a aussi l’envie de faire évoluer – dans la mesure du possible – les acteurs dans un cadre crédible. Si la partie transylvaine rappelle fortement la campagne anglaise – on pense immédiatement à la Hammer Films – la production choisit de tourner à Whitby les scènes qui s’y déroulent effectivement dans le roman. L’entrée de Highgate, le cimetière qui inspire à Stoker celui où est enterrée Lucy, est quant à elle utilisée pour figurer Carfax, la demeure achetée par le comte.
Les années 1970, pour les films de vampires, sont marquées par la volonté de débarrasser la créature du passif des productions Universal, tout en l’ancrant dans le moderne. Dracula 1973 (1972) et Dracula vit toujours à Londres (1973) d’Alan Gibson en sont de bons exemples pour ce qui est de Dracula. Des films comme Count Yorga, Vampire (1970), The Return of Count Yorga (1972) et Grave of the Vampire (1972) montrent quant à eux que l’ambition de moderniser le vampire est une tendance de fond. Elle ne se limite pas au seul personnage imaginé par Stoker. La télévision, de son côté, semble n’avoir de cesse de revenir aux sources du texte. C’est finalement avec cette production estampillée BBC qu’elle y parviendra. Coppola saura s’en rappeler, son Bram Stoker’s Dracula ne négligeant pas de convoquer l’ombre de celui de Saville. Mark Gatiss a également en tête la série de 1977 quand il s’attaque, avec Steven Moffat, à sa propre adaptation du roman.