Bonjour Orlane. Pouvez-vous vous présenter pour les internautes de Vampirisme.com ?
Je m’appelle Orlane Escoffier, j’ai 32 ans, je travaille dans le secteur du livre et je vis à Paris depuis un moment déjà. J’ai commencé à écrire très jeune (si jeune que j’ai retrouvé des œuvres datant de mes 8 ou 9 ans, dédié à mes chats), mais Millarca est le premier roman que j’ai envoyé à un éditeur.
Millarca est votre premier roman publié. Quel a été la genèse de ce projet, et comment a-t-il abouti aux Editions du petit Caveau ?
J’ai commencé ce projet en 2014 (j’écris lentement). Je faisais un mémoire sur la représentation du fantastique au théâtre, du XIXe à nos jours, avec un passage obligé du côté du roman gothique anglais. J’avais lu Carmilla, étant grande fan de littérature vampirique, et je l’ai relu dans le cadre de ces recherches. Une tout autre dimension m’est alors apparue, celui d’un texte qui interrogeait d’une manière particulière la société victorienne en adoptant les codes du roman gothique anglais tout en s’aventurant sur des chemins dangereux puisqu’il traite de l’homosexualité féminine.
Quand j’ai voulu m’intéresser de plus près au personnage de Carmilla, je retrouvais toujours un peu le même type de vampire : jeune femme sensuelle, manipulatrice, séductrice, en bref, une figure vampirique un peu stéréotypée et qui proposait peu de variation sur ce personnage. L’idée est venue de là, je me suis demandée finalement, qui elle était. Comment était-elle devenue vampire, d’où venait-elle, quel impact avait eu son histoire d’amour dans sa longue éternité… Après plusieurs années (je n’écrivais pas de manière aussi régulière qu’aujourd’hui), j’ai fini par aboutir à une histoire qui me plaisait, une histoire que j’aurais aimé lire en tant que lectrice bien que je me doutais qu’elle s’adressait à un public de « niche ». J’ai donc cherché une maison d’édition spécialisée en littérature vampirique, une petite structure pour ne pas être noyée sous une tonne de manuscrits comme c’est le cas pour les « grosses » maisons, et j’ai eu la chance que le texte soit accepté tout de suite.
Qu’est-ce qui vous a motivé à proposer une relecture du roman de Le Fanu ?
Au tout début, mon souhait était vraiment de proposer un autre regard sur Carmilla, j’avais envie en tant que lectrice fan de vampires de trouver un Entretien avec vampire version Carmilla, et comme je n’en ai pas trouvé, je l’ai écrit. Du moins, j’ai essayé !
Le fait de faire de la littérature comparée à ce moment-là m’ai beaucoup aidé. Au fur et à mesure des recherches, j’en suis venue à me dire que l’époque avait un rôle vraiment important à jouer dans l’écriture de mon roman et que le texte originel, celui de Le Fanu, était vraiment ancré dans son temps. C’est une période fascinante, qui questionne la superstition et le règne de la raison, une époque de progrès qui s’accompagne d’une grande peur de régression… C’est un excellent observateur de son temps, un très bon écrivain. Le scandale qu’a provoqué le texte à sa sortie est bien la preuve qu’il a réussi à cerner les failles de son temps en mettant à jour ses tabous et ses craintes.
Ensuite, j’ai essayé de comprendre pourquoi ce texte, sorti un peu près 25 ans avant Dracula, n’avait pas eu autant de succès que le roman de Stoker. Pourtant, à l’époque, il avait fait parler de lui. Stoker appréciait beaucoup les œuvres de Le Fanu, le manuscrit original de Dracula commence d’ailleurs par un chapitre d’introduction où il est question d’une femme vampire. On dit souvent que le roman de Stoker, notamment via le personnage de Jonathan Harker, est un moyen de questionner la société bien pensante que le sulfureux comte Dracula vient chambouler. Certains théoriciens décèlent des rapports homosexuels entre Harker et Dracula, dans la première partie du roman. Alors pourquoi Dracula a-t-il éclipsé Carmilla ? Je cherche encore la réponse, mais proposer une relecture de Le Fanu était ma très, très modeste contribution à remettre Carmilla sur le devant de la scène. Je me suis dit qu’en racontant l’histoire du point de vue de Carmilla, c’était un moyen d’évoquer ces thématiques, et qui sait, d’encourager ceux qui ne connaissent pas le texte originel à le lire, car il est excellent.
Vous accordez une grande place à tes personnages féminins, et pas seulement à Laura et Millarca. Je pense notamment à l’accompagnatrice de Millarca, au personnage de l’accoucheuse… Pour vous, il y avait une certaine importance à revaloriser la place des femmes dans ce type de récits ?
Complètement. Déjà parce que je trouve que beaucoup des personnages de vampires célèbres sont des hommes, et aussi parce qu’en Asie notamment et même en Europe de l’Est, les créatures vampiriques qui peuplent les contes et légendes locales sont souvent des femmes comme les stryges, les lamias… Je ne sais pas pourquoi en Europe occidentale et aux États-Unis nous avons une vision plus masculine du vampire, sans doute un héritage de Dracula, des textes d’Anne Rice… J’ai voulu parler des femmes également parce qu’en pleine époque victorienne, le rôle dévolu aux femmes dans la société est très cadré avec au sommet de la pyramide sociale, le personnage de la femme victorienne par excellence : un peu chétive, virginale, toujours très pure, très chaste. Bref, la victime innocente dans son château isolé. En opposition, il y a ce qu’on appelle la femme hybride, souvent associée à l’animalité de par sa chevelure (détachée, très longue, foncé, comme celle de Carmilla dans le roman originel), de par le fait qu’elle assume ses instincts et ses pulsions. Ce type de femme, dont on peut rapprocher certains portraits d’hystériques, faisait très peur à l’époque, car une croyance était ancrée dans la communauté « scientifique » : celle que la désévolution de l’espèce humaine viendrait des instincts primaires de la femme qu’il fallait donc brider. En parallèle, les médium, très en vogue à l’époque, étaient souvent des femmes. Finalement, même à l’aube de la révolution industrielle, la figure de la sorcière n’est pas très loin.
Une autre figure féminine a été importante, celle de Lilith. Encore une fois, je voulais aller un peu plus loin dans ma vision de cette femme de l’Ancien Testament qui, après avoir été chassée du paradis et privée de sa capacité à enfanter par Dieu, est devenue la « mère de tous les démons ». Il y avait un sujet qu’on ne traite pas souvent dans la littérature vampirique à aborder selon moi, celui de la maternité. Je me suis demandé d’ailleurs si le fait d’avoir beaucoup moins de personnages vampiriques féminins n’était pas lié au fait justement qu’une femme vampire posait la question de la maternité : peut-elle enfanter ? Le veut-elle seulement ? Si oui, donnerait-elle naissance à des enfants vampires ? Bien qu’aujourd’hui l’injonction à la maternité et le regard que l’on porte sur les mères sont très différents qu’à l’époque de Le Fanu — et heureusement —, la maternité « hors norme », qu’elle soit liée à des difficultés pour avoir un enfant, qu’elle s’accompagne de drame ou encore qu’une femme décide simplement de ne jamais être mère, met encore mal à l’aise. Mes personnages féminins avaient pour but d’interroger aussi ce sujet qui, je trouve, est trop souvent évité quand on évoque les femmes vampires.
Quel regard portez-vous sur l’évolution du vampire ces dernières années ?
Je ne vais pas médire sur la profusion de titres de bit-lit qui sont sortis suite au succès de Twilight. Je ne suis pas lectrice de ce type de littérature, mais je trouve que chaque lecteur/lectrice a le droit d’avoir « son » vampire. C’est une figure cathartique, une expression de désirs souvent puissants et enfouis, donc c’est important que ce type de vampire existe. Ce que je note en revanche, c’est la parution de textes beaucoup plus littéraires, moins centrés sur la romance et davantage sur le vampire en tant que tel. Je pense à Vincent Tassy et Apostasie, au Chaines du Silence de Céline Chevet. Un courant d’auteurs, des auteurs français, questionnent la raison d’être du vampire, son rapport à l’éternité, à la création, à l’espèce humaine dont il ne fait plus du tout partie contrairement aux textes D’urban Fantasy où le vampire a tendance à évoluer dans le même univers que nous. Je trouve ces textes très réussis et très intéressants même s’ils peuvent sembler moins accessibles.
Pour vous, comment peut-on analyser le mythe du vampire ? Qu’est-ce qui en fait la pérennité ?
Pour moi, le vampire est l’être hors cadre. Il est animé autant par la faim que par la recherche du plaisir, les contraintes sociales sont largement secondaires pour lui. Il n’est ni mort ni vivant, c’est un être non binaire par essence. Le vampire représente une double force d’attraction, à la fois sexuelle — il séduit sa victime, lui procure du plaisir même quand il la mord — et métaphysique, dans le sens où il peut nous offrir l’immortalité. La recherche de plaisir et l’espoir de vaincre la mort, c’est ce qui fait partie des fondements pulsionnels de notre humanité. Par contre, je ne pense pas que le vampire soit un être de pures pulsions, il a été humain, il garde en lui ces grandes interrogations métaphysiques que l’être humain se pose tout au long de son existence. Sauf que lui a toute l’éternité pour y songer… Finalement, je dirais que le vampire est une sorte de « monstre sublime ». Il questionne notre rapport à la mort, au temps, à la mémoire… Ce sont des thèmes universels qui sont propres à l’espèce humaine, ce qui explique que nous parlons toujours de vampire aujourd’hui.
Quelles sont vos premières et dernières rencontres avec un vampire (littéraire et/ou cinématographique) ?
Ma première rencontre cinématographique avec un vampire était le Dracula de Coppola, mes premiers vampires littéraires ont été ceux d’Anne Rice : Lestat, Louis et Claudia. Dernièrement, je me suis frottée à la Carmilla de Crazy, dans « Ceux qui vivent du sang versé » — une Carmilla qui n’a rien à voir avec celle que je dépeins, c’était très drôle finalement de lire un texte aussi différent — et les vampires vaporeux, quasi mystiques, de Céline Chevet.
8/ Avez-vous encore des projets de livres sur ce même thème ? Quelle va être votre actualité dans les semaines et les mois à venir ?
J’ai un projet de livre vampirique, en effet, mais je ne suis pas encore prête à l’attaquer. C’est un très gros morceau, il me fait peur donc je l’apprivoise doucement. Côté écriture, j’écris actuellement un tout autre type de roman, une uchronie autour de la catastrophe de Tchernobyl. Une fois ce texte terminé — en espérant qu’il trouve un éditeur —, je m’attaquerai à ce (gros) projet vampirique qui me trotte dans la tête depuis de nombreuses années.
En ce qui concerne mon actualité à plus court terme, je serais présente aux Aventuriales, car Millarca fait partie des finalistes du prix.