Le père de Mary Land a perdu la tête depuis que la mère de celle-ci est décédée. Couturière de son état, Mary vit seule dans un village isolé dans la montagne. George, son fiancé, est l’unique personne à apporter un peu de chaleur à son existence. À Noël, alors que tous deux achèvent de décorer le chalet de la jeune femme, cette dernière reçoit un courrier en provenance de l’établissement où son père est interné. La condition de celui-ci vient subitement de s’aggraver. Après la messe de minuit, George conduit sa compagne en ville, et la dépose devant l’asile. C’est entre les murs de la bâtisse, tandis qu’on l’emmène auprès de son père en fin de vie, que Mary croisera la route de celui qui se fait appeler Dracula. La jeune femme voit en lui un ancien professeur de musique, mais le fou n’en démord pas : il est immortel.
Réalisé par Károly Lajthay, Dracula’s Death, en hongrois Drakula halála, est considéré comme la première apparition sur grand écran du célèbre vampire. Le personnage était incarné par Paul Askonas, connu pour avoir également joué dans Trilby (1912) de Jacob et Luise Fleck et Les Mains d’Orlac (1924) de Robert Wiene. Projeté pour la première fois en 1921, le métrage fait parti des films perdus de l’ère du muet. Au fil des années, on a néanmoins pu retrouver quelques clichés de l’œuvre, et plus récemment une novélisation. C’est cette dernière qui constitue le cœur de Dracula’s Death, transposé pour la première fois en anglais.
La traduction hongroise du roman de Bram Stoker est sans doute la plus ancienne : elle remonte à 1898, publiée sous forme de feuilleton dans le Budapesti Hírlap, avant d’être reliée sous le titre Drakula : Angol Regény – Harker Jonathan Naplója (English Novel — The Journal of Jonathon Harker). Partant du principe que la novélisation suit de près la trame du film, on mesure l’écart qui sépare le livre de Stoker du long-métrage de Károly Lajthay. Le personnage de Dracula est incarné par un aliéné qui est persuadé d’être le comte immortel. De fait, la fin de l’histoire montrera de quel côté penche la balance : le fou semble incapable de survivre à une balle de pistolet tiré en plein cœur. Pour autant, le texte porte en lui l’influence indéniable du récit de Stoker. Tandis que l’héroïne passe la nuit à l’asile, elle est propulsée dans un étrange rêve. Là, elle se retrouve dans le château de Dracula, ce dernier paraissant décidé à faire d’elle l’une de ses femmes. C’est lui-même qui annonce que son baiser peut conférer l’immortalité à ses victimes. Dans le délire onirique de Mary Land, Dracula est repoussé plusieurs fois par sa croix (en vérité, elle le repousse déjà avec lors de leur première rencontre), et il dit lui-même ne pas supporter la lumière du soleil. Le texte convoque quelques-unes des phrases emblématiques de Stoker, à commencer par le « I bid you welcome » qui accueille Harker au château. À ce titre, la scène du rêve est sans nul doute influencée par la première partie du roman.
Très courte, la novélisation du métrage de Károly Lajthay permet de découvrir la teneur de Drakula halála au-delà des quelques photos et affiches qui subsistent. L’auteur-traducteur, Laszlo Tamasfi, fait suivre le récit d’un article assez intéressant, qui détaille autant la genèse compliquée de Drakula halála que celle du livre. Ce dernier ne mentionnant pas de nom d’auteur, on ne peut que conjecturer quant à la plume qui lui a donné le jour. Le scénario du film était signé de Mihály Kertész (Michael Curtis dans sa forme américanisé, scénariste — notamment — de Casablanca) et du réalisateur. Pour le texte publié, que ce soit en feuilleton ou en version reliée, le seul nom qui est associé est celui de Pánczél Lajos. mais celui-ci était le rédacteur en chef du journal Budapesti Hírlap à l’époque… Pour ceux que le sujet intéresse, il est également possible de lire l’article de Gary D. Rhodes (Drakula halála (1921): The Cinema’s First Dracula), ainsi que l’enquête à laquelle s’était livré Lokke Heiss, un éminent chercheur spécialiste de la figure du vampire.
Au final, un texte court mais passionnant sur le plan historique. La trame permet de s’imaginer ce à quoi pouvait ressembler le film, d’autant que cette version est illustrée par Jozsef Svab. A l’instar du remontage de London After Midnight sur quelques photos d’exploitation, ce court roman est sans doute la seule manière qu’il nous reste pour lever le voile qui recouvre Drakula halála.