Pouvez-vous vous présenter pour les internautes de Vampirisme.com ?
Je suis Nicolas Lebel, auteur de romans policiers, notamment de la série du « capitaine Mehrlicht » qui comprend cinq enquêtes, et plus récemment d’un thriller sorti aux Éditions du Masque, Le Gibier. Je sortirai en mars 2022 mon neuvième roman.
En 2019, vous publiez Dans la Brume Ecarlate, cinquième volet de la série Capitaine Mehrlicht. Pouvez-vous nous raconter la genèse de cet opus ?
Chacun de mes polars est un hommage à un genre littéraire ou à un auteur. L’un d’eux est par exemple une digression sur Notre Dame de Paris, un autre est une chasse au trésor construite sur Les Fleurs du Mal. Avec Dans la Brume écarlate, cinquième enquête du Capitaine Mehrlicht, je voulais écrire un roman gothique agrégeant tous les clichés du genre : Paris se trouve plongé dans un brouillard opaque depuis plusieurs jours lorsqu’on retrouve un matin le corps nu et exsangue d’une jeune femme au cimetière du Père-Lachaise. Elle a deux trous rouges au cou. Au long du récit, on croisera un scientifique fou, son serviteur monstrueux, une jeune femme en détresse, un vieux monastère avec des cryptes sombres, une tireuse de tarot… Autant de références au genre par pur plaisir de le redécouvrir et de le faire découvrir !
L’auteur de polar est poreux ! Des femmes mortes victimes d’hommes tueurs ? En 2019, à l’heure de l’écriture, on est clairement dans le sillage de MeToo avec une telle problématique. Le gothique met aussi en évidence des femmes victimes d’hommes violents, monstrueux ou fous.
Enfin , on fêtait en 2019, les trente années de la Révolution Roumaine. Un autre élément de la fondation de ce roman, tout comme l’arrivée de réfugiés syriens à Paris.
Sans pour autant tomber dans le fantastique, vous flirtez avec ce dernier au fil du roman. On ressent particulièrement les influences de Bram Stoker (la narration à multiples point de vue, notamment). Pour vous, y a-t-il une certaine filiation entre cette littérature et le récit policier ? Car on aurait tendance à penser que le récit d’enquête est une littérature du réel, qui se marie mal avec l’imaginaire (et les éléments gothiques).
J’ai toujours un fil fantastique dans mes polars, même si, in fine, la solution est toujours réaliste. L’humain a un tel besoin d’explication face à la mort, à son inéluctabilité, à sa brutalité (dans les polars), qu’il en vient nécessairement à évoquer une solution irrationnelle, surnaturelle. Je pioche dans les contes, dans la littérature, dans le folklore local… Le roman gothique est aussi en soi une enquête qui amène le héros vers la vérité, en l’occurrence une vérité nécessairement en lien avec le combat symbolique que se livrent la vie et la mort, la lumière et l’obscurité. Le fait que mon personnage s’appelle Mehrlicht (« plus de lumière en allemand ») n’est pas anodin.
Quant à la forme, la multiplicité des points de vue et le journal intime d’Yvan renvoient effectivement à la forme épistolaire utilisée par Bram Stoker.
Dans la Brume Ecarlate est un roman qui joue avec la figure du vampire. Très vite, il y a cette idée que les cadavres retrouvés ont perdu du sang, puis le lien se fait avec l’Europe de l’Est. Qu’est-ce qui vous a amené à convoquer cette figure fantastique ? Que symbolise-t-elle à vos yeux ?
Le « Vampire des Carpates » est le surnom qu’on a donné au dictateur roumain Ceausescu qui a massacré son peuple pendant des décennies, sous la houlette soviétique. La figure du monstre n’est donc pas très loin de celle du dictateur, d’autant qu’une rumeur à l’époque accusait Ceausescu de régénérer son sang avec du sang de vierges, pour préserver sa jeunesse et -qui sait- vivre éternellement… Dans la Brume écarlate, on court après ce vampire-là. Il n’est pas mort(-vivant), mais bien vivant. Il a une réalité historique ce qui le rend bien plus effroyable que son alter ego buveur de sang.
Quelles sont vos premières et dernières rencontres avec un vampire, qu’elles soient littéraires et cinématographiques ?
La première, je ne sais pas. Peut-être le film Entretien avec un vampire que j’avais beaucoup aimé, surtout la partie à la Nouvelle-Orléans.
La dernière en date, je dirais que c’est la figure de Cassidy dans Preacher. J’avais adoré le comics, j’ai adoré la série. Le personnage de vampire punk déjanté et alcoolique, dévoré par sa condition, flirtant souvent avec le suicide, est une réelle redécouverte de la figure du monstre « vampire ».
Quel regard portez-vous sur l’évolution de la figure du vampire ces dernières années. En 2019, quand vous choisissez de les utiliser pour votre propre ouvrage, les vampires ont connu une mise en avant culturelle forte : Twilight, True Blood, etc. Même dans le polar, avec des auteurs comme Chattam ou Thilliez, qui ont eux aussi joué sur ce créneau. Est-ce là aussi une manière d’intégrer votre roman dans une certaine contemporanéité (à la manière de ce que vous faites en intégrant le sujet des migrants au roman) ? Vous sentez-vous proche des auteurs précités, et de leur manière d’aborder le thème ?
Je n’écris pas de fantastique et ne m’inscris pas dans cette lignée qui met en scène des vampires parce que mon vampire… n’en est pas un, même s’il en a certaines caractéristiques : il semble immortel, vit dans une sorte de château, draine le sang de ses victimes. Il y a certes une comparaison par jeu de miroir littéraire. Mais le tueur de Dans la brume écarlate est un homme, un homme monstrueux certes.
Quels ont été les retours sur Dans la Brume Ecarlate ? Quelle direction ont pris depuis les enquêtes de Mehrlicht ?
Cette cinquième enquête de Mehrlicht a connu un vif succès notamment depuis sa sortie en poche en mai 2021. Les lecteurs ont apprécié de lire un « roman d’angoisse », comme on appelait aussi ce roman gothique à l’époque, un roman où l’on tremble pour les victimes parce que l’on sait que le monstre est là, tapi dans la brume / forêt / crypte / nuit… En tant que tel, l’ambiance de cet opus a été perçu comme nouvelle et différente, ce que l’on souhaite à chacun de ses bouquins !
Au terme de cette enquête qui est une longue traînée de sang -le sang des victimes, le sang des vainqueurs, le sang des malades, le sang des migrants, le droit du sol et le droit du sang…- Mehrlicht tousse du sang, ce que les lecteurs soupçonnaient depuis un moment. À son tour, il est malade.
Aujourd’hui, il est au repos, il s’est mis au vert pour laisser la place à d’autres enquêteurs et d’autres histoires. Il m’a dit qu’il reviendrait certainement à l’horizon 2023-2024 pour peu que son auteur lui prête vie.
Je vais voir ce que je peux faire pour lui.