Alors qu’il n’a que huit ans, John Gravestone assiste à la mort de sa mère, attaquée par une meute de loups. Son père, Lord Luther Gravestone la rejoindra quelques années plus tard, tué par une vampire qu’il traquait sans relâche. John est dès lors élevé sur les terres de sa famille, par un ami de son géniteur. Celui-ci l’initie à la traque des créatures surnaturelles, même si ces dernières semblent avoir déserté l’Angleterre. Ce qu’ignore John, c’est que celle qui a tué son père a juré de s’en prendre à ses descendants, jusqu’à la disparition des Graveston. Les projets du jeune homme, qui commence à se sentir à l’étroit, risquent fort de peser comme une épée de Damoclès sur son futur.
Habitué des séries historiques (Malicorne, Les Âges Perdus), Jérôme le Gris a déjà près de cinq séries à son actif, qui évoluent entre l’Italie du XVIIe siècle, l’épopée viking et l’an mil. Pour Lord Gravestone, il retrouve le dessinateur Nicolas Siner, avec qui il avait travaillé pour sa première saga : Horacio Alba. L’éditeur, Glénat, n’est pas un nouveau venu dans la cour des histoires de vampire. C’est au sein des collections de la maison que des séries emblématiques comme Le Prince de la Nuit et Le Roman de Malemort ont vu le jour. La première, qui mettait en scène la lutte d’une famille de chasseurs contre un puissant vampire, a d’ailleurs quelques points communs avec Lord Gravestone.
L’Angleterre du XIXe siècle est définitivement le lieu de naissance du vampire littéraire, même si la poésie romantique allemande est passée par là. Reste qu’entre le Vampyre de Polidori, Varney de Rymer, Carmilla de Le Fanu et Dracula de Stoker, les époques georgiennes et victoriennes sont des berceaux du roman ès vampire. Quand il s’agit de poser un cadre historique pour une histoire de vampire, c’est donc le contexte parfait. C’est celui de Lord Gravestone, dont le récit se déroule entre les années 1803 et 1823 (pour ce premier tome, du moins). On y suit la destinée du dernier Lord Gravestone, John, à la fois au moment de la mort de sa mère, mais principalement alors qu’il a atteint l’âge adulte.
Dès les premières planches, alors que John et sa mère prient pour leur père et mari, on comprend que la famille est impliquée dans un combat difficile. Progressivement, l’album lève le voile sur les liens entre les Gravestone et les créatures surnaturelles. Deux frères, lancés dans une lutte commune malgré des croyances différentes, se retrouvent opposés à un duo de buveurs de sang qu’ils ont contribué à engendrer. L’ensemble est intelligemment construit, les personnages principaux étant introduits au fil du récit. Certains protagonistes sont des archétypes qui manquent encore un peu de relief, et ce n’est pas forcément dans l’intrigue que l’histoire trouve sa plus grande force. Reste que pour l’instant, on est sur une dynamique de premier tome, avec un rebondissement de premier plan à la dernière page.
Au niveau dessin, je découvre avec ce premier opus le travail de Nicolas Siner. En dehors des trois albums d’Horacio d’Alba, sa bibliographie indique qu’il a travaillé sur les couvertures de nombreuses séries connues, de Travis à Carmen McCallum, en passant par M.O.R.I.A.R.T.Y et Jour J. Des univers plutôt contemporains (voire futuristes), ce qui ne l’empêche pas d’être à l’aise avec un ancrage plus historique. Son trait réaliste est de très bonne facture, qu’il s’agisse de poser une ambiance avec des architectures gothiques ou de se focaliser sur les visages des personnages. Sa mise en page est dans le même temps efficace, assurant le dynamisme de l’action. Enfin, la colorisation n’enlève rien à l’ensemble, en rehaussant les moments forts du récit, tout en soulignant la dualité Éros/Tanathos qui traverse l’histoire.
Au niveau du folklore vampirique, Jérôme Le Gris intègre à la fois sa trame dans les codes du genre, mais parvient néanmoins à insuffler des éléments nouveaux. D’un côté, on retrouve l’Angleterre du XIXe, et l’opposition Éros et Tanathos, centrale dans la fiction vampirique. Pour autant, il y a une différence dans la manière dont fonctionne la morsure des créatures. Seule elle est létale, que la victime soit vidée de son sang ou qu’elle subisse les effets du poison contenu dans les crocs du vampire. Lequel semble reposer la nuit dans un cercueil, baignant dans le sang. De fait, pour devenir vampire, il faut avoir connu le baiser rouge, qui doit survenir quand que la victime est aux portes de la mort. Transformé en incube, cette dernière pourra alors recevoir la morsure du vampire (à qui elle est désormais liée), et renaître lui-même comme vampire. Les créatures paraissent dotées de certains pouvoirs : elles possèdent une grande force physique et disposent d’ailes, qui leur permettent de volet. Enfin, il semble que les objets religieux (crucifix) et le recours aux prières permettent de lutter efficacement contre elles, ce qui offre d’opposer les instances religieuses (Le Vatican et ses inquisiteurs) aux buveurs de sang. À noter, le clin d’œil à Carmilla dans le nom de Camilla, la vampire au cœur de l’histoire.
Un premier opus pas inintéressant, qui pose les bases de l’intrigue et introduit les différents protagonistes. J’attends de voir où tout cela va nous mener, car au final on retrouve plutôt des éléments récurrents dans ce type d’histoire. Reste que comme je le mentionne plus haut, il y a un travail effectué autour du folklore vampirique, et un dessin de bonne facture qui donne envie d’en savoir davantage.