Sylvana et Jean, le frère du narrateur, viennent de mourir. Celui-ci a appris à cette occasion quel lien entretenaient les deux personnes centrales de sa vie. Les derniers mots laissés par celle qui fut sa femme lui révèlent dans le même temps que celle-ci était un vampire. Toute son existence lui revient en mémoire, et avec lui un écheveau de fils qu’il ne parvient à dénouer que maintenant. Et tout commence voilà bien des années, alors que les jumeaux Michel et Jean se sont habitués aux étés passés à la Rougemûrière, petit village perdu en Vendée. Le lien qui unit les deux frères semble inaltérable, malgré leurs différences. Jusqu’au jour où la famille Sauvage décide de réhabiliter une vieille maison en ruine du bourg, et d’y passer leurs vacances. C’est à ce moment-là que Sylvana débarque dans la vie des deux frères, et change à jamais leur destin.
Sylvana fait parti de ces opus que j’ai dans ma bibliothèque depuis des années, le roman de Michel Pagel étant présent sur la liste de Sparks depuis que j’ai commencé a consulter celle-ci, dans le milieu des années 1990. À l’époque, les livres français s’intéressant à la figure du vampire ne sont pas nombreux, et c’est davantage le cas au moment où le texte a été publié pour la première fois (1989). Le texte s’intègre dans le cycle de La comédie inhumaine, dont il est chronologiquement la quatrième itération, après deux nouvelles et un roman.
Les premiers chapitres me renvoient à de très anciennes lectures, principalement aux Souvenirs d’Enfance de Marcel Pagnol. Car passé les premières pages tragiques, la suite est relativement lumineuse, mélange de récit d’enfance et de terroir. Ça, c’est la part George Coulonges de l’histoire, une des inspirations avouées par l’auteur en exergue du livre. Puis, il y a le moment de basculement, là où la part vampirique du texte s’impose dans le récit enchâssé, suite à un événement qui se veut dans le même temps un tournant. On a d’ailleurs l’impression que ce basculement est général : il ne touche pas que les personnages principaux. Tous les protagonistes croisés dès le début du récit, et qui vivent à la Rougemûrière, connaissent un certain bouleversement. Jusqu’à cette chute, noire, qui nous emmènera une dernière fois dans ce petit village, laissant seul le narrateur.
Sylvana n’est pas une histoire de vampire au sens classique du terme. Si le mot apparaît rapidement dans le texte, ce que renferme celui-ci ne s’impose que dans le dernier tiers au lecteur. L’approche qu’à Michel Pagel du sujet le voit se débarrasser des oripeaux gothiques : la « créature » n’a rien d’un Dracula ou d’une Carmilla. On est davantage face à un personnage qui doute quant à son statut de vampire, confrontant justement les caractéristiques cinématographies et littéraires avec sa propre réalité. Martin de Georges A. Romero n’est pas loin, d’autant qu’il y a, dans la manière dont Sylvana appréhende ce qu’elle est, des idées assez proches. Sylvana trouvera son équilibre dans la relation qui s’installe entre elle et les deux jumeaux. L’un devient victime régulière et consentante de la vampire, tandis que l’autre est appelé à partager sa vie. Du vampire de fiction (et ses excroissances médiatiques), on ne garde que cette soif de sang, qui ne fera que croitre au fil des années. Sylvana ne montre en effet aucun pouvoir surnaturel ni aucune des limites habituelles du vampire. Mais pouvait-on vraiment être surpris quand l’autre référence de l’auteur en exergue du livre est La mante au fil des jours de Christine Renard ? Un roman qui abordait lui aussi le sujet en le sortant des poncifs, et reste à ce jour un des textes qui m’aura le plus happé sur le thème dans la production française. Sylvana ne sera pas très loin, à partir de maintenant.
Sylvana fait parti de ces livres rangés depuis des éons dans la bibliothèque dont on se demande, après lecture, pourquoi on aura finalement mis autant de temps à le lire. Un mélange des genres particulièrement réussi — on en vient même à oublier la noirceur des premières lignes passés quelques chapitres — qui sait vous faire plonger brutalement. En tout cas, une lecture qui laisse une trace durable.