Au sein d’un triptyque de 1963, Mario Bava, maître du film d’angoisse italien, s’est attaqué au film de vampires avec en guest star Boris Karloff, connu avant tout pour son rôle de la momie dans les films du studio Universal. le résultat est médiocre…
Troisième volet des Trois visages de la peur, « Les Wurdalaks », du surnom que l’on donne à des vampires dans un pays slave non identifié, dure environ une demie-heure. C’est une adaptation d’une nouvelle de Tchekhov.
Un comte en balade tombe sur un corps sans tête. Il le ramène dans une ferme voisine, et tombe sur une famille terrifiée à l’idée du retour prochain du patriarche, parti à la poursuite d’un voleur turc qui dévaste la région.
Ce segment met en vedette Boris Karloff, visiblement fatigué (il avait plus de 75 ans à l’époque), en chef de famille à la fois très aimant, mais aussi fort rude. Le mythe du vampire est ici mis en scène de façon très simple, la terreur passant dans les irruptions, certains jeux de lumière et le faciès anciennement inquiétant de la star. Il n’y a aucun trucage, si ce n’est l’air parfois surjoué de certains acteurs. Les Wurdalaks sucent le sang de ceux qu’ils aiment le plus au monde, ce qui explique la terreur de cette famille. L’histoire d’amour entre le touriste (on peut l’appeler comme ça, vu l’air absent de l’acteur qui l’incarne) et la fille du patriarche ajoute un peu de rebondissement à l’histoire.
Quelques plans bien éclairés et appuyés viennent sauver l’ensemble de la médiocrité.
Les trois visages de la peur est un film à sketches réalisé par Mario Bava en 1963. C’est une œuvre de commande dont la finalité est avant tout de surfer sur le succès de certains métrages de Roger Corman, tout particulièrement Tales of Terror (1962), un film à sketches où jouait déjà Boris Karloff. Pour autant, Bava ajoute sa touche personnelle, choisissant de s’appuyer sur des auteurs fantastiques classiques, les sources (d’après le générique) étant à aller chercher du côté de Guy de Maupassant (pour le segment « Le téléphone », d’Alexei Tolstoï (segment « Les Wurdalaks ») et Tchekov (segment « La Goutte »). En réalité, seule la référence à Tolstoï est réelle, « Les Wurdalaks » étant une adaptation de « La Famille du Vourdalak ». Les mentions de Tchekov et de Maupassant sont donc totalement factices, même si elles permettent de donner un certain vernis au projet.
Le premier segment (l’ordre est celui de la version italienne) « Le Téléphone » n’intègre pas d’éléments vampiriques. On serait qui plus est bien en peine d’y trouver des recours au fantastique. Bava y poursuit ce qu’il a ébauché dans La Fille qui en savait trop, sorti quelques mois plus tôt. La tension sexuelle, la présence d’un couteau, de gants en cuir et d’une scène d’étranglement, tout cela contribue un peu plus à fixer les codes du Giallo, dont Bava est un des maîtres et instigateurs.
Le second segment, « Les Wurdalaks » est celui qui va intéresser l’amateur de vampires. Il s’agit donc de l’adaptation d’un texte d’Alexei Tolstoï, auteur qui aura écrit plusieurs fois autour de cette figure fantastique (on lui doit également la nouvelle « Oupyr »). « La Famille du Vourdalak » est l’un des textes russes (mais rédigé en français) sur le sujet les plus exploités à l’écran. On compte ainsi cinq adaptations du récit, les trois dernières étant russes, précédées du film La Nuit des Diables de Giorgio Ferroni. Le métrage est plutôt fidèle à la nouvelle (sauf la fin), et met en scène le Marquis d’Urfé, alors que celui-ci arrive au sein d’une famille, dont le père à disparu, voilà cinq jours. On est ici dans une vision russe de la figure du vampire, plus proche de la créature du folklore que de la figure littéraire, que des auteurs comme Polidori, Le Fanu et Dracula ont érigé en modèle.
Le segment à une approche très Hammer, qui transparaît au niveau des décors et des couleurs (lesquelles sont néanmoins une des marques de fabrique de Bava). Comme les autres parties des trois visages de la peur, il y a là toute la démonstration du fantastique Européen, qui naît sous l’impulsion de la firme anglaise. Le casting reflète bien l’idée qu’il s’agit d’une production à cheval entre Italie, France et États-Unis. Ici, Boris Karloff campe le père de famille qui revient sur la corde raide de sa chasse aux vampires. Face à lui, Mark Damon, qui s’est fait un nom dans la Maison Usher de Poe et qu’on retrouvera ultérieurement dans d’autres films de vampires, tels que Crypt of the Living Dead (1973) et Les Vierges de la pleine lune (1973). Le reste du casting de ce segment est essentiellement italien, comme Glauco Onorato et Susy Andersen.
On est clairement ici dans une ambiance d’horreur gothique, qui tranche avec la modernité du premier segment des Trois visages. Une sorte de retour aux sources, qu’amplifie la présence de Karloff au casting. Ce dernier, qui incarne le basculement dans l’horreur du récit, crève littéralement l’écran.
Si « La Famille du Vourdalak » (1839) n’est pas influencé par la figure du vampire aristocrate, on retrouve néanmoins quelques caractéristiques qui perdureront par la suite dans la fiction sur le sujet. À commencer par le recours à la décapitation (et à un pieu enfoncé en plein cœur) pour s’assurer que le monstre ne reviendra pas. Il y a également cette idée que le vampire doit être invité pour pénétrer un lieu habité (l’enfant qui appelle sa mère pour qu’elle lui ouvre la porte est à ce titre très significatif). Adaptation à l’écran oblige, la morsure symbolise l’acte vampirique, lequel ne semble pouvoir se faire que si la victime et son tortionnaire entretiennent un lien d’amour fort, qu’il s’agisse d’amour filial ou d’attirance amoureuse.
Le dernier segment du film, « La goutte d’eau » reste dans un registre surnaturel, mais exploite un contexte contemporain du film (comme le premier segment). On suit une infirmière qui, appelée en pleine nuit pour procéder à une toilette mortuaire, dérobe une bague au cadavre de la vieille femme dont elle s’occupe. C’est un récit de possession autant que de vengeance par de-là la tombe, qui se termine sur l’idée d’un cycle appelé à se répéter. À l’image de Karloff dans le segment précédent, l’horreur est incarnée par cette vieille femme, une comtesse passionnée de spiritisme décédée durant une séance. Un film qui sait également jouer sur les effets du son, son titre étant une des références à un élément qui fait basculer la protagoniste dans la folie.
De fait, Les Trois Visages de la Peur est un des classiques de Mario Bava que je n’avais pas encore vu. Une très bonne surprise au final (mon avis ‘inscrit donc en totale opposition avec celui de mon prédécesseur), pour un film qui mérite clairement d’être vu. La dernière édition en date, un Blu-Ray edité par Le Chat qui Fume, offre à la fois les montages italien et français et plusieurs bonus, pour mieux cerner la genèse du film et sa place dans la filmographie de Bava.