Bonjour Guillaume. Pouvez-vous vous présenter pour les internautes de Vampirisme.com
Je suis compositeur et trompettiste. Je fais partie d’un collectif d’artistes lyonnais, l’ARFI (Association à la Recherche d’un Folklore Imaginaire) qui a pour objectif de développer une musique libre et singulière en décloisonnant les différentes esthétiques. Nous piochons dans le jazz, le rock, les musiques contemporaines, traditionnelles ou improvisées. Le collectif s’amuse aussi à marier sa musique à d’autres disciplines: au théâtre, à la cuisine, à la magie et de manière plus continue et régulière au ciné-concert.
L’ARFI vient de sortir Nosferatu : une symphonie de l’horreur, basé sur la partition que vous avez écrit pour le Nosferatu de Murnau. Pouvez-vous nous raconter la genèse de ce projet ?
L’ARFI existe depuis plus de 45 ans et a écrit de la musique sur un nombre trés important de films muets. Par chance, dans l’équipe, personne ne s’était attaqué à Nosferatu (le film n’est devenu disponible que dans les années 80 et quand mes ainés du collectif s’y sont interessés, un autre groupe français les avait devancés. Ils ont donc abandonné le projet). Je suis un mordu de la culture vampire depuis l’enfance et il se trouve que Christophe Gauvert, contrebassiste à l’ARFI, est lui aussi un fan absolu du film. 2022 marquait son centenaire (du film, pas de Christophe Gauvert), j’avais par ailleurs envie de composer pour un ensemble à cordes. Toutes les planètes étaient alignées!
Les compositions proposées ici sont plus dépouillées que celles qu’on connaît déjà pour le film, de Jill Tracy à Jozef van Wissem. Pour autant, avez-vous écouté d’autres propositions sonores autour du film ou êtes-vous parti directement de votre propre lecture du long-métrage de Murnau ?
Je me suis délibérement abstenu d’écouter le travail d’autres compositeurs sur ce film en particulier. Je ne voulais pas me faire influencer, ni en copiant une partition que j’aurais aimé, ni en réagissant en contre par rapport à une musique que je n’aurais pas apprécié. En revanche j’avais d’autres références dans la tête, absolument fondatrices pour moi, auxquelles je ne pouvais échapper. La B.O. de Wojciech Kilar pour le Dracula de Francis Ford Coppola, celle de Philip Glass pour celui de Tod Browning. Je leur fait des clins d’oeil dans ma partition.
A ce titre, comment fonctionnez-vous au cours du ciné-concert, pour décider quelle partie sonoriser et quelles parties laisser silencieuse ?
Une musique de ciné-concert est assez différente d’une B.O. de film. Dans le premier, il n’y a ni dialogues, ni ambiance sonore pour habiller l’image. Les silences y sont donc naturellement beaucoup plus rares. Les moments où j’ai choisi de ne pas mettre de musique correspondent donc à des climax de tension: quand Thomas se coupe le doigt devant Orlock, quand il rentre dans l’auberge et annonce qu’il va visiter le comte, quand le soleil se lève et surprend le vampire à la fin du film.
Les personnages paraissent être associés chacun à un thème, voire à un instrument. Comment se décide cette association durant la phase de composition ?
Effectivement, chacun des personnages principaux a une esthétique musicale et un instrument qui lui sont rattachés.
Le comte Orlock est la contrebasse. Son thème est écrit dans un style « musique répétitive » qui figure son rapport au temps, son éternité. Cette mélodie est d’ailleurs construite comme un jeu autour du chiffre de la bête (666). Une mesure à 6 temps, le violon joue 3 fois 6 notes à l’interieur de chaque mesure.
Helen est le violoncelle. Ecrite avec des outils dodécaphoniques (aucune note du thème n’étant jouée plus qu’une autre, il n’y a pas de centre tonal), la mélodie figure son absence de choix entre Thomas et Orlock.
Thomas est le violon. Comme c’est un peu le benêt du film, à l’inverse de celles d’Helen, ses mélodies sont simples, chantantes et enjouées.
C’est ensuite la combinaison de ces esthétiques entre elles suivant les interactions entre les personnages qui rend le travail de composition le plus intéressant.
J’ai noté que les titres des morceaux du CD reprennent des titres de nouvelles de HP Lovecraft. Pourquoi ce choix ?
Bien vu! Le disque est divisé en cinq morceaux qui correspondent aux actes du film. Il fallait bien les nommer. Les appeler « acte 1 », « acte 2 »… figurait beaucoup trop opéra pour moi (je déteste l’opéra). J’ai donc trouvé des correspondances entre des titres de nouvelles de Lovecraft (que j’adore et auquel je rends hommage ici de cette manière) et ce que raconte chacun des actes du film.
Quel regard portez-vous sur l’évolution de la figure du vampire ces dernières années ? Qu’est-ce que représente cette créature pour vous ?
J’ai bien peur d’être un peu réactionnaire en la matière. Je prête toujours attention à l’évolution du mythe – et c’est super qu’il évolue, qu’il gagne en richesse – mais certaines visions ou traitements plus ou moins récents ne me parlent pas : le rattachement aux problématiques adolescentes, la faiblesse des vampires qu’on dégomme comme de vulgaires zombis, le fait que la créature évolue maintenant presque toujours en meute, le mélange avec la culture gothique-punk (même si Dracula est probablement anarchiste individualiste).
Le vampire doit pour moi rester surpuissant, terrifiant et dans le même temps attirant. Il est l’incarnation de la solitude, de la dualité passion/indifférence.
Quelles ont été vos premières rencontres avec un vampire de fiction, en musique, au cinéma ou en littérature ?
J’avais 8 ou 10 ans et radio-France diffusait tous les soirs à 20 heures pendant dix minutes un feuilleton radiophonique du Dracula de Stoker. J’étais fasciné et terrifié. Je dormais le soir avec un crucifix sous mon oreiller. J’ai enchainé avec la lecture du roman de Stoker, le Bal des Vampires de Polanski, les films de la Hammer, Anne Rice … pour ne plus jamais m’arrêter. Mes découvertes de ces derniers mois sont le Dracula 3D de Dario Argento (pas si mal finalement), le film néo-zélandais Vampires en toute intimité et Morgane Caussarieu.
Le CD sorti, quelle va être l’actualité associée ces prochains mois ? Avez-vous déjà de nouveaux projets en ligne de mire ?
Le trio a déjà joué en ciné-concert cette année une douzaine de fois et va probablement continuer à tourner dans les prochains mois. Vous pourrez guetter les dates sur le site arfi.org.
Concernant la branche « fantastique » de mon travail, je débute un projet de longue haleine qui mélera concert et cérémonie spirite. Il verra le jour d’ici deux à trois ans.