Bonjour Marion et merci d’avoir accepté de répondre à mes questions. Tout d’abord pouvez-vous vous présenter et détailler votre cursus ?
Bonjour Adrien, merci de vous intéresser à mon travail ! Je suis journaliste, spécialisée dans la culture depuis une dizaine d’années. J’ai notamment travaillé comme rédactrice en cheffe de Biiinge, la verticale série de Konbini, de 2015 à 2022. Depuis un an et demi, je suis journaliste indépendante, pour des médias comme Mademoizelle, Têtu ou Elle. J’écris en particulier sur la pop culture, que j’aime analyser à travers un prisme féministe et LGBTQ+.
Octobre 2023 voit la sortie de Buffy ou la révolte à coups de pieu (Playlist Society), votre premier ouvrage. Pouvez-vous nous raconter la genèse de ce projet ?
J’ai réalisé la majorité de ma carrière de journaliste sur le web, dans la réactivité. J’avais envie de me confronter à un travail analytique au long cours. J’en ai eu l’opportunité à la suite d’une rencontre avec mon éditeur, Benjamin Fogel, de Playlist Society. Cette maison d’édition indépendante publie des essais sur des phénomènes culturels avec un ton qui me parle, une volonté d’analyse accessible. On a discuté de quelle série mériterait un essai poussé, et Buffy s’est rapidement imposée à moi. Parce que c’est la série qui m’a construite adolescente, qu’elle possède un nombre impressionnant de lectures possibles et qu’elle est encore incroyablement pertinente de nos jours.
Buffy a suscité un volume abondant d’études anglophones, pourtant le nombre de propositions francophones sur la série est très réduit. Comment l’expliquez-vous ?
Je pense qu’il y a plusieurs raisons qui s’accumulent, une sorte de triple mépris en France : Buffy n’a pas été prise au sérieux au pays du cinéma d’auteur et de la littérature toute puissante, parce qu’elle est une série, un art populaire venu des Etats-Unis, que certains éditorialistes français comparent encore de nos jours à une « addiction ». Et puis elle parle de l’adolescence et appartient au genre fantastique ! Les « cultural studies », le fait d’étudier à l’université des oeuvres de pop culture, est une discipline qui nous vient également des Etats-Unis. Si quelques universitaires françaises comme Sandra Laugier se sont penchées avec brio sur Buffy, elles n’était pas bien nombreuses effectivement.
Dans quelles circonstances avez-vous vous-même découvert la série et qu’elle a été son impact sur vous ?
J’ai découvert Buffy à l’âge de 14 ans, alors que la diffusion commençait sur M6, dans la fameuse Trilogie du Samedi Soir. Je suis vite devenue très fan, au point d’enregistrer les épisodes sur des cassettes VHS (avec les titres des épisodes soigneusement notés sur la tranche, comme il se doit !) ! Je vivais des hauts et des bas au collège, je subissais du harcèlement scolaire, et Buffy a été une grande soeur, une bouée de sauvetage qui me permettait de me sentir moins seule. Elle m’a accompagné durant tout mon passage à l’âge adulte. Elle m’a montré que les femmes pouvaient être fortes et avoir de l’humour ! Buffy est aussi bourrée de conseils éthiques sur comment bien vivre, c’est un manuel de vie à destination des ados, et je l’ai appris par coeur !
De votre point de vue, qu’est-ce qui explique que la série fascine encore autant à l’heure actuelle ? peut-on parler de série intemporelle ou est-ce une question d’impact sur la manière même d’aborder le média ?
Le passage à l’âge adulte est une expérience universelle. L’époque a beau changé, une ado des années 2020 ressentira à peu près la même chose qu’une ado des années 1990 lors de ses premières fois. Les effets spéciaux ont pris un coup de vieux, mais le réalisme émotionnel de Buffy n’a pas pris une ride. Buffy a aussi eu un fort impact sur l’histoire des séries américaines. Elle a crée un sous-genre, le teen drama fantastique, et sa qualité d’écriture reste inégalée. Formellement, les réussites éclatantes d’épisodes comme « Hush » (muet à 80%) ou le musical « Once more with feelings » ont ouvert le champ des possibles aux showrunners arrivés après. Bien avant des séries comme Lost ou Game of Thrones, Buffy avait aussi un sens du rebondissement dévastateur, avec des personnages qui meurent brutalement (Buffy en saison 1, Jenny Calendar en saison 2 etc), l’apparition d’une soeur surprise en saison 5… Damon Lindelof (co-créateur de Lost) cite Buffy parmi ses influences. Son héritage est partout dans sur le petit écran.
Vous avez choisi de vous focaliser sur la série en elle-même, en laissant de côté les romans, les comics, les jeux… Pourtant l’aspect media-mix de Buffy n’est sans doute pas pour rien dans son succès ?
C’est certain que l’univers étendu de Buffy lui a permis de se renouveler et de continuer de nourrir les fans durant toutes ces années. Encore ce mois-ci, l’annonce d’un podcast avec le cast original a été largement repris par les médias français. Très honnêtement, la deuxième partie de mon livre était à l’origine deux fois plus importante, j’y évoquais davantage le Buffyverse, mais la politique de Playlist Society est de publier des essais courts et percutants. Et il y a tellement de choses à dire juste avec Buffy et Angel ! Donc il y a eu un manque de place certain pour aborder tous les aspects de Buffy que j’aurais souhaité, mais je pense aussi que je serai un peu sortie de mon angle spécifique sur l’essai qui est « le pouvoir au féminin ». J’ai du faire des arbitrages.
Pour vous, comment peut-on analyser le mythe du vampire ? Qu’est-ce qui en fait la pérennité ?
Ah le vampire, cette merveille ! Je l’analyse dans un des chapitres de l’essai. Ce qui est fabuleux avec cette créature, c’est qu’on peut y plaquer tous types d’obsession en rapport avec une époque et une société particulière. C’est une figure protéiforme, que l’on humanise de plus en plus. Il y a aussi tout un folklore très divertissant avec lequel on peut jouer (ses pouvoirs, ses faiblesses). Dans Buffy, le vampire représente à la fois un catalyseur des pulsions sexuelles, le patriarcat (la soif de dominer l’autre, en particulier les femmes quand le vampire est masculin), mais aussi la possibilité d’évoluer (Spike et Angel le prouvent) au contact des autres. La figure du vampire se transforme pour coller à nos peurs et à nos pulsions les plus inavouables. Car le vampire est une part de nous-mêmes.
Quelles sont vos premières et dernières rencontres avec un vampire (littéraire et/ou cinématographiques) ?
Je crois que la première, sans grande originalité, fut avec Dracula lui-même ! J’ai lu le roman de Bram Stoker adolescente, et j’ai commencé à développer une passion pour toute cette mythologie vampirique, qui n’a fait que s’accroître avec Buffy ! Ma dernière rencontre est un peu anachronique. C’est avec Miriam, une vampire fascinante et fatale des années 80, incarnée par Catherine Deneuve dans le film The Hunger, que je n’ai pas encore vu en entier mais dont j’ai visionné des extraits pour un article. Je me suis rendue compte qu’il manque à ma culture vampirique des films comme celui-là ou We are the night (2010). Je m’intéresse beaucoup à la figure de la vampire sapphique, moins mise en avant que ses congénères masculins et toute aussi fascinante.
Quels sont vos prochains projets éditoriaux ?
En tant que pigiste, je poursuis mon travail de décryptage de la pop culture sur divers médias. Et pour le reste, je me laisse le temps de la réflexion et je me concentre sur la sortie de Buffy, la révolte à coups de pieu. Mais pourquoi pas un essai sur la représentation des vampires dans la pop culture ? Il y aurait tellement à dire ! Je me lance aussi dans la fiction, mais tout ça est très nouveau.