Alors qu’il est encore enfant, Vlad, fils de Vlad Dracul, est retenu en otage avec son frère Radu par le sultan Mehmed I. Le leader ottoman entend par là s’assurer la fidélité du prince de Wallachie, alors que ce dernier, en acceptant de porter l’ordre du Dragon, a juré de protéger la chrétienté contre les païens. Le père et son fils ainé finissent contre toute attente par périr sous le coup de leurs propres hommes, lors d’une révolte dans leur rang menée par le clan rival des Dănești. Le jeune Vlad se retrouve dès lors prétendant au trône, et entend se venger autant de ceux qui ont tué les siens que de recouvrer le pouvoir qu’il estime lui être dû.
Le scénariste Roy Thomas n’en est pas à sa première histoire autour de Dracula, voire de la figure du vampire. L’auteur — avec l’illustrateur Gil Kane — est ainsi le créateur du personnage de Morbius (The Amazing Spider-Man, 1971), le premier antagoniste estampillé Marvel à profiter d’un allégement du Comics Code au début des années 1970 (à ce sujet, vous pouvez lire ici une interview de l’auteur où il revient sur la genèse du personnage). Mais Thomas a aussi travaillé à une adaptation du Dracula de Bram Stoker, initié en 1974 dans la continuité de la série Tomb of Dracula, et qui ne s’achèvera qu’en 2004, toujours aux côtés du dessinateur Dick Giordano. On doit aussi au scénariste l’arc What if… Wolverine was a lord of the vampires (1991), dessiné par Tom Morgan, qui imagine Wolverine devenir le leader des vampires suite à une confrontation des X-Men avec Dracula. Vlad the Impaler, initialement publié chez Topps Comics, s’inscrit sans nul doute dans la continuité du Bram Stoker’s Dracula (1992) de Francis Ford Coppola, en proposant une histoire ancrée majoritairement dans la réalité historique du personnage.
De fait, le récit est remarquablement documenté, et retrace avec une certaine fidélité les hauts faits de Dracula, depuis son enfance en tant qu’otage auprès de Mehmed I, jusqu’à sa mort en 1476. Le scénariste suit le personnage au cours de ses trois règnes, au gré des alliances avec l’Empire ottoman et les royaumes chrétiens. Difficile d’imaginer que Roy Thomas ne se base pas, à ce niveau, sur la A la recherche de Dracula de Raymond McNally et Radu Florescu, dont une review avait été publiée au sein des pages du premier Dracula Lives ! (1974). Thomas parvient à donner à l’Histoire le sel d’une épopée, avec au centre ce personnage de Dracula, qui peut autant s’avérer cruel et vindicatif face à ses ennemis qu’aimant avec les siens. Les lecteurs habitués à Tomb of Dracula ou aux premiers Vampirella ne risquent en tout cas pas d’être déstabilisés, tant ce récit paraît tout droit sorti des années 1970. De fait, énormément d’information passe par le texte, que ce soit dans les bulles ou les encarts, mais l’histoire est bien racontée, se cristallisant autour de ce personnage fascinant qu’est Vlad Dracula.
La touche graphique apportée par Esteban Maroto n’est pas sans peser dans l’impression de lire un récit qui aurait pu être publié dans Dracula Lives ! ou Vampirella. De fait, le dessinateur a publié dans Vampire Tales, puis dans Creepie, Eerie et Vampirella. Son style en noir et blanc est sans surprise dans la lignée d’un José Gonzales. Il partage avec ce dernier le fait d’avoir pu travailler pour Warren Publishing au travers de l’agence espagnole Selecciones Ilustradas. À ce sujet, je ne peux que conseiller le visionnage du documentaire El Arte de Vampirella.
Si Roy Thomas est fidèle à la réalité historique derrière le personnage de Dracula, il n’en joue pas moins également avec la figure du vampire. Ainsi, l’idée est distillée tout au fil du récit que la mort humaine de Vlad n’est pas pour autant une mort définitive. Le personnage renaîtra vampire dans un final qui n’aurait pas dépareillé dans les pages de Tomb of Dracula. Pour ce faire, le scénariste utilise une scène antérieure du récit, quand la première compagne de Vlad se suicide en se jetant dans la rivière. Les suicidés sont en effet considérés comme particulièrement disposés à devenir vampires. Et si la tête de Vlad est censée avoir été ramenée à Constantinople comme preuve de sa mort, il y a l’idée qu’elle ait pu se transmettre entre les mains de ses descendants, jusqu’à être rassemblée avec son corps. La résurrection du personnage ayant lieu à Snagov, la fiction s’ancre donc dans une certaine réalité. D’autant que cette scène permet à Thomas d’expliquer à sa façon l’état dans lequel a été retrouvée la tombe de Vlad à son ouverture, en 1932.
Ce Vlad the Impaler est à ranger aux côtés du manga Vlad Draculea, en cela qu’il s’attache à rester au plus près de l’Histoire pour raconter les règnes troublés du personnage. Mais Roy Thomas ne peut s’empêcher de glisser en conclusion une scène qui établit le lien avec le Dracula de fiction. Au final, l’histoire est efficacement racontée et graphiquement réussie, même si le style de son illustrateur porte la marque des années 1970.