Clavel, Fabien. Interview avec l’auteur de Buffy, baroque épopée

Fabien Clavel n’est pas un inconnu dans les pages de Vampirisme.com. Nous avions déjà interviewé l’auteur en 2011, alors qu’il venait de sortir le premier volet du Miroir aux Vampires. Le temps a passé, la production de l’auteur s’est densifiée, et il nous a semblé opportun de profiter de la sortie de son premier essai – sur une série incontournable – pour le soumettre une nouvelle fois à la question.

Clavel, Fabien. Interview avec l'auteur de Buffy, baroque épopéeBonjour Fabien. On te connait plutôt – pour ce qui est de l’imaginaire – pour ta fiction. Qu’est-ce qui t’a amené à proposer un essai autour de Buffy ?

L’idée d’écrire un essai sur Buffy me trotte dans la tête depuis plus de dix ans. J’ai beaucoup revu la série au cours des années en prenant à chaque fois un angle d’attaque différent. Comme les vingt ans de la fin de la série arrivaient, je me suis lancé en profitant de l’occasion pour me motiver à aller jusqu’au bout. En fait, c’était aussi une manière de faire le point sur ce que Buffy m’avait apporté dans ma démarche d’écriture. En écrivant sur la série, je me suis rendu compte que son influence sur moi était encore plus profonde que ce que je croyais. Notamment en proposant très souvent des héroïnes et en pratiquant une forme de baroque moderne ; je me reconnais dans une bonne partie des analyses que je donne sur Buffy.

La série semble imprégner ton imaginaire depuis un moment. Le miroir aux vampires, c’était déjà une lettre d’amour à l’univers de Joss Whedon ?

Clavel, Fabien. Interview avec l'auteur de Buffy, baroque épopéeJ’ai commencé à écrire au moment où la série allait sur sa fin, en 2001. Et, en effet, une trilogie comme celle du Miroir aux vampires doit beaucoup à Buffy. En fait, je me souviens avoir conçu le tome 1 comme un anti-Twilight (les vampires sont vraiment des ordures), le tome 2 comme un hommage à Buffy (des vampires au lycée) et le tome 3 comme un hommage à Angel (on enquête sur le paranormal et le monde devient plus ambigu). Mais on peut retrouver des traces de la série dans mon cycle Nixi Turner et les Croquemitaines (Le Chat noir, 2019-2020) ou plus récemment Salicornia (Gulf Stream, 2023-…) où les personnages sont directement fans de la série. Je les représente même en train de visionner des épisodes. J’essaie de garder cette manière de traiter l’imaginaire, non pas seulement comme une évasion (qui en est un aspect très important à mes yeux), mais aussi comme une métaphore du réel qui permet, par un détour, de revenir au réel sans se traumatiser ni se complaire dans un « réalisme » désespéré. Un monstre imaginaire, c’est toujours l’incarnation d’une angoisse bien réelle.

Comment as-tu approché un matériau aussi dense (7 saisons, 144 épisodes) pour ne pas t’y perdre ? Comment as-tu établi ta grille d’analyse ?

Clavel, Fabien. Interview avec l'auteur de Buffy, baroque épopéeÉtrangement, la grille d’analyse est arrivée tout à la fin. J’avais déjà le contenu ou presque. Je savais que je ne voulais pas insister sur des thèmes qui ont déjà été creusés par les Buffy Studies, notamment sur l’adolescence, le féminisme, l’approche sociologique ou philosophique. Pour moi, il fallait l’aborder en tant qu’œuvre littéraire. Je me suis rendu compte que Buffy reposait sur une tension entre une approche assez classique du héros épique (ici, héroïne) et une esthétique baroque (travail sur le vertige, le masque, le décentrement, la métamorphose, le « mauvais goût », …) susceptible d’exprimer métaphoriquement l’adolescence. Paradoxalement, cette esthétique est responsable, selon moi, de la réception double de la série, adulée ou méprisée. En fait, je voulais faire une synthèse de toutes les analyses de Buffy en montrant que sa cohérence est créée par le choc entre épique et baroque. C’est pour cela que je ne propose pas d’analyse spécifique d’épisode. Mes remarques valent pour toute la série et j’ai pris soin de citer au moins une fois chaque épisode dans mon travail.

Dans ton analyse, tu convoques notamment les recherches de Joseph Campbell. Si ses travaux de mythologue ont été décriés, il n’en est pas moins devenu la base de tout un pan de l’écriture scénaristique moderne. C’est donc aussi un moyen de montrer que Buffy témoigne d’une évolution dans la manière de construire la narration à l’écran ?

Clavel, Fabien. Interview avec l'auteur de Buffy, baroque épopéeIl est plus facile de mentionner Campbell qui est maintenant assez connu. Pourtant, plus le temps passe, plus je me rends compte que ses travaux sont tributaires d’autres travaux souvent plus clairs et plus sérieux. La lecture du Héros aux mille et un visages n’est pas une expérience très satisfaisante intellectuellement. On peut citer plutôt Propp avec Morphologie du conte et les structuralistes. En tout cas, Buffy montre un art consommé du récit qui en connaît intimement les ficelles et en joue constamment. Les innovations introduites par la narration dans Buffy sont nombreuses : d’abord un passage du sériel (chaque épisode est un tout autonome) au feuilletonnant (les arcs narratifs se poursuivent sur plusieurs épisodes, voire plusieurs saisons) ; une prise au sérieux des matériaux merveilleux et adolescent ; un goût pour le mélange des genres.

Angel est un spin-off, mais avec une approche très différente. Penses-tu que cette série puisse aussi être considérée comme une épopée baroque ou les enjeux sont-ils très différents ?

Clavel, Fabien. Interview avec l'auteur de Buffy, baroque épopéeOn retrouve de nombreux éléments similaires dans Angel. On retrouve à la fois le champion du bien qui agit comme un héros épique traditionnel mais aussi les éléments baroques que j’ai dégagés dans Buffy : l’instabilité (« There’s a hole in the world », S5E15 ; Angel peut redevenir Angelus à tout moment) ; la mobilité (on a au moins un épisode décrivant ce qu’il se passerait si Angel devenait humain) ; la métamorphose (Angel toujours habité par son double ; Cordelia devenant un démon ; Fred devient Illyria) ; la domination du décor (les visions de Cordelia ; le travail sur le langage et sur les nombreuses créatures). Cependant, il me semble que, sur tous ces points, la série va moins loin que Buffy. Notamment, le fait de mettre en scène un héros masculin qui sauve les jeunes femmes en détresse apparaît comme un retour en arrière. Néanmoins, là où la série innove, c’est sur l’ambiguïté du monde des démons : le bien et le mal sont encore plus troublés. Je pense que le spin-off a eu un effet en retour sur Buffy. Le personnage de Clem dans les saisons 6 et 7 est à mon avis une conséquence d’Angel. On a ainsi de très beaux personnages dans Angel, comme Lorne, le démon vert empathique et chanteur ou même Illyria qui rejoue le motif de la vampirisation. Personnellement, je trouve que la saison 5 est le véritable sommet de la série. Elle répond vraiment à la question posée par la dernière saison Buffy : que faire une fois qu’on a le pouvoir ?

A tes yeux, Buffy a-t-elle eu une descendance ? Ou tout a plus n’a-t-elle donné lieu qu’à des imitations qui ne dépassent pas leur inspiration (je pense à Vampire Diaries) ?

Clavel, Fabien. Interview avec l'auteur de Buffy, baroque épopéeJ’ai l’impression que les leçons de Buffy ont infusé un peu partout. Non seulement les scénaristes qui ont écrit sur Buffy travaillent toujours (il suffit de suivre la carrière de Jane Espenson) mais de nombreux auteurs saluent la série comme un jalon. Vampire Diaries est à mes yeux ratée parce que la série tente de pousser tous les curseurs à fond tout le temps. L’histoire oublie complètement de laisser aux spectateurices le temps de réfléchir et de s’émouvoir. On cite souvent Veronica Mars comme héritière de Buffy. Je trouve que le rapprochement n’est pas si évident. Je citerais deux séries qui, selon moi, ont su s’approprier intelligemment l’héritage buffyesque. D’abord Supernatural par son développement sur le temps long, sa mythologie, son goût des épisodes spéciaux et métas. Mais cela manque de personnages féminins importants pour moi. L’autre série qui a su jouer sur le brillant des dialogues, c’est Gilmore Girls. C’est une série où il ne se passe presque rien, où les enjeux sont souvent mineurs. Et pourtant, les épisodes sont passionnants grâce à une écriture des dialogues ciselée et inventive, des personnages pittoresques et l’abattage de ses deux actrices principales.

Quelles sont tes prochains projets éditoriaux ? Te verra t’on revenir à l’analyse, ou tu te sens davantage à l’aise avec la fiction ?

Écrire sur Buffy a été un véritable plaisir et, malgré mes craintes, c’est venu assez facilement sous la plume. Je n’exclus pas de travailler sur d’autres œuvres qui m’ont inspiré, par exemple celle de Thiéfaine (qui est aussi assez baroque). Ou bien sur la structure du récit. Mais pour l’instant, j’ai surtout des fictions à écrire. J’ai les prochains tomes de Salicornia. Et puis j’aimerais proposer une suite des enquêtes de Ragon dans Feuillets de cuivre. Etc.

Clavel, Fabien. Interview avec l'auteur de Buffy, baroque épopée

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