Bonjour Aurélien. Peux-tu te présenter pour les internautes de Vampirisme.com ?
Je suis auteur de bande dessinée, né en 1982 et je vis à Lyon. J’ai publié 4 albums : le dernier Cosmonaute (2011), Egg (2015), Achevé d’imprimer (2018) et tout récemment Oh, Lenny (2024) le tout chez Tanibis, maison d’édition dont je suis un des fondateurs. J’ai aussi illustré une poignée de livres jeunesses et je travaille comme réalisateur de films d’animation.
Oh, Lenny est sorti en mars 2024. Peux-tu nous raconter la genèse de cet album (ton deuxième ouvrage pour lequel tu signes seul scénario et dessin) ?
Au départ, il y avait un projet pour un petit album qui mettait en scène un couple et une étrange créature amorphe qui déboulait sans prévenir dans leur salon. C’était plus une suite de sketchs qu’une véritable histoire et ça n’a pas abouti. Quelques années plus tard, je n’avais plus envie de faire une comédie, j’avais plus envie de m’aventurer dans le domaine du fantastique et je me suis souvenu de ce point de départ. J’ai situé l’intrigue dans une maison sur une île. Il y avait la plupart des situations qu’on retrouve dans la version finale de l’album pour les scènes qui se passent dans la maison et la créature exerçait une influence sur l’un des personnages. Mais ceux-ci n’étaient pas encore au point, ils n’étaient que des archétypes peu incarnés. Il a fallu les reprendre complètement pour leur donner plus de personnalité, de la profondeur, un passé… Surtout le protagoniste, June. A cette étape j’ai été très accompagné par mon éditeur, Claude Amauger. Nous avons beaucoup discuté de l’histoire, des personnages, des enjeux, de la symbolique… ça été assez laborieux car je procède de façon intuitive et sans grande méthode au départ. J’aime bien explorer et ne pas tout savoir de l’histoire que je vais raconter. Je peux avoir un crayonné assez avancé du cœur de mon histoire sans savoir quelle en sera la fin, voire modifier le début, ajouter ou retirer des scènes… Donc tout cela prend du temps, se fait à tâtons, en se trompant souvent, en recommençant beaucoup. Mais m’a permis de garder suffisamment d’excitation jusqu’au bout du processus.
Au cœur de l’histoire, il y a les rapports fusionnels entre June et la créature qu’elle baptise rapidement Lenny. Avais-tu l’impression de flirter avec le thème du vampire en mettant en image cette relation ?
Ça n’était pas évident dans les versions préliminaires. Je pensais plus au parasitage qu’au vampirisme « pur ». Par exemple le comportement du coucou qui pond ses œufs dans le nid des autres oiseaux qui vont le nourrir comme leur propre petit, tout en s’épuisant. La créature de mon histoire arrivait à maintenir un lien particulier avec la protagoniste pour qu’elle la soigne, la nourrisse et en l’accaparant totalement.
En cours de route, il m’a semblé intéressant que la créature demande plus et boive le sang de son hôte… à partir de ces morsures, qui dévitalisent June et l’intoxique pour la maintenir sous influence, il était clair qu’on était en prise avec une créature vampirique. La créature évoluant, son comportement change aussi, sa relation avec June devient plus charnelle et plus ambivalente. C’est clairement un vampire (d’ailleurs elle est qualifiée comme telle par le compagnon de June), pour autant j’ai évité de la considérer trop directement comme un vampire pendant l’élaboration de l’histoire, peut-être pour me focaliser sur June et ne pas donner encore plus d’importance à la créature qui aurait pu prendre toute la place. Je l’ai plutôt vu comme une parabole de l’addiction (alcool, drogue, amant violent,…) mais ça nous ramène de toute façon au vampire d’une certaine façon…
En découvrant tes choix graphiques pour Lenny, j’ai immédiatement pensé au film Possession d’Andrzej Zulawski. Est-ce que c’est une influence pour ce projet ? Matière à souligner qu’au cœur de l’histoire, il y a aussi les divergences d’un couple ?
C’est très bien vu. Ce film a été, parmi quelques autres, au cœur de nos discussions avec l’éditeur. Effectivement, Oh, Lenny parle aussi d’un couple qui se déchire avec l’arrivée d’un amant, qui se trouve être d’une autre espèce, d’origine surnaturelle qui exerce une forte influence sur son héroïne…
J’aime dans Possession l’utilisation du fantastique, qui survient de façon très déconcertante et le symbolisme un peu cryptique qui offre plusieux pistes de lectures possible.
Mais cerner le sujet de Oh, Lenny apparaît complexe. Parce qu’il y a aussi le rapport à la nature préservée, la solitude, la normalisation imposée par la société ?
Il y a en effet plusieurs thèmes qui émergent, un peu d’eux-mêmes, finalement. Car je n’aime pas me lancer dans un projet d’histoire avec un sujet bien cerné. J’aime mieux me laisser guider par une envie d’ambiance, des idées de situations… et laisser venir.
Je découvre à mesure que l’histoire prend corps les thèmes qui vont se dégager : le rapport aux animaux, le désir de retour à la nature, et ceux que tu cites. Mais je ne tiens pas à les « traiter » vraiment, je préfère me focaliser sur ce que vivent les personnages. C’est eux finalement qui amènent les sujets, je crois. Je les aborde pas nécessairement frontalement, ça peut rester assez nébuleux aussi. De toute façon, je n’aime pas tout comprendre de mes histoires.
Graphiquement, tu es nettement ancré dans la ligne claire, un style peu habitué à des récits à dimension horrifique. Pour toi, il y a un intérêt à bouger les lignes, à sortir de l’attendu ?
Absolument. J’adore ce style que, quelque part, je fétichise. Mon crédo c’est qu’on peut tout aborder avec, de l’horreur à la sexualité, même si ça été peu fait il est vrai. Il reste encore associé à un certain classicisme je crois : avec ce dessin on s’attend à des récits d’aventures à la Tintin, à de l’humour… Mais c’est idéal pour piéger le lecteur qui s’attendra moins à glisser dans un cauchemar peut-être, à partir d’un dessin lisse aux couleurs douces et presque naïf. Cela dit, je passe après Charles Burns pour l’horreur, Roberto Baldazzini pour l’érotisme bizarre ou dans un registre moins « de genre », la ligne claire post-moderne de Ted Benoït, Yves Chaland, Floc’h…
Quelles ont été tes premières et dernières rencontres avec un vampire (en littérature et au cinéma) ?
Mon premier vampire, celui qui m’a vraiment hérissé les poils, c’était dans un épisode de Téléchat : Lola l’autruche se faisait mordre par Grocha. Je montre cette série à ma fille de deux ans en ce moment et nous n’avons pas encore revu cet épisode, j’en viens à me demander si je l’ai rêvé… ?
Un peu plus tard, Nosferatu de Murnau, vu assez jeune. Mes parents sont très cinéphiles et m’avaient permis de le voir avec eux. Le célèbre plan avec l’ombre du vampire en haut d’un escalier m’a longtemps hanté…
La dernière fois, ça devait être un re-visionnage de Morse, que je trouve magnifique.
Comment expliques-tu la pérennité et l’omniprésence du vampire dans la fiction contemporaine ?
Je suppose que la figure du vampire est beaucoup plus polyvalente que celle d’autres figures du fantastique, comme la momie, les zombis qui me semblent plus limitées, plus monolithiques… On peut plus facilement la réinventer peut-être selon le contexte. Les vampires de la série True Blood par exemple permettent de parler de la marginalité, du communautarisme, quand les vampires de Only Lovers Left Alive me semblent parler de la nostalgie d’un monde qui n’est plus. Le vampire est plastique on peut le rendre très romantique comme revenir à une force brute, presque primale… Il peut convoquer un imaginaire gothique ou s’ouvrir à la science fiction. les possibilités sont illimitées. Et il y a quelque chose de toujours très sensuel avec le vampire, avec le sang qui coule et qu’on avale, qui évoque à la fois le sexe, la mort, la maladie… autant de thèmes universels inépuisables, je crois.
Quels sont tes prochains projets ?
Je réfléchis à un prochain projet d’histoire mais rien n’est vraiment commencé à ce stade…
Rien autour du vampire pour l’instant hélas, mais qui vivra verra !