de Saint-Blanquat, Romain. Interview avec le réalisateur de La Morsure

Bonjour Romain. Tout d’abord peux-tu te présenter en quelques lignes pour les visiteurs de vampirisme.com ?

de Saint-Blanquat, Romain. Interview avec le réalisateur de La MorsureBonjour, je suis le réalisateur et scénariste de La Morsure, qui est mon premier long-métrage. J’ai fait des études de cinéma à l’Université, à Bordeaux, Saint-Denis et Nanterre, pendant lesquelles j’ai réalisé un court-métrage de fin d’étude, Pin Ups, et écrit le scénario de La Morsure. J’ai en parallèle également travaillé comme décorateur sur des tournages, et ensuite comme scénariste.

La Morsure, qui sort en salle le 15 mai 2024 après quelques diffusions en festival, est ton premier long-métrage. C’est ton premier long et ta deuxième réalisation, après le court Pin-Ups en 2014. Comment est né ce projet ? Je sais que pour beaucoup de réalisateurs de films que j’ai pu interroger ces dernières années, il y a un effet réaction au COVID à l’origine de leur projet. Est-ce aussi ton cas ?

Ce n’est pas mon cas parce que le projet est bien plus ancien que ça. Il a mis plusieurs années avant de pouvoir se faire, parce qu’il est difficile de trouver suffisamment de financements pour le tourner. Le projet est d’abord né d’un désir de faire un film sur l’adolescence, en convoquant des sensations ou des sentiments que j’avais pu connaitre à cet âge, et que j’ai voulu retranscrire dans un univers fantasmatique, un imaginaire fantastique qui permette de rendre le bouleversement de cet âge palpable. D’autre part, il y avait la volonté de raconter un passage à l’âge adulte avec une angoisse diffuse, comme la fin d’un monde. Je souhaitais aussi que ce passage puisse s’opérer, de façon symbolique, dans un temps réduit (un jour et une nuit), et devienne de cette façon plus tangible et plus intense.

Ton film paraît hanté par le cinéma de genre européen des années 1960-1970. On pense à Jean Rollin, à Roger Vadim, à Harry Kümel, par l’approche esthétique et une omniprésence onirique. Est-ce là qu’il faut aller chercher tes influences ? Le fait que tu parles de « convoquer des motifs de photographies et films de l’époque » en interview ne peut en effet que ramener à ces films qui insistent énormément sur le côté pictural.

Le film, tout comme ma cinéphilie, sont hantés par le cinéma des années 1960-1970. Le désir du film a toujours été lié pour moi à la volonté de le situer à cette époque, de pouvoir recréer un univers visuel et musical ancré dans ce moment. C’est une période qui me passionne et que j’ai voulu m’approprier, dans une représentation que je souhaitais à la fois juste et fantasmée. La fin des années 60 me semblait pertinente pour inscrire les personnages et leur trajectoire dans un cadre qui fait écho à ce qui est en jeu pour eux dans le film : la peur du lendemain, le refus du conformisme, un désir de changement et de liberté.

de Saint-Blanquat, Romain. Interview avec le réalisateur de La MorsureJe pense que la volonté de convoquer un univers fantastique et onirique à cette époque précise, avec certains de ses motifs esthétiques et une identité française visible, font que l’on pense à ces films ou ces auteurs. Les Lèvres rouges m’avait fait une très forte impression quand je l’avais découvert à la fin de l’adolescence. C’était pour moi la découverte de Delphine Seyrig (qui a inspiré le prénom d’un de mes personnages), mais aussi du compositeur François de Roubaix, dont la musique originale est une de mes BO préférées. Je pense qu’il a inévitablement influencé La Morsure, mais ça fait très longtemps que je l’ai vu et il faut que je le revois pour pouvoir déterminer de quelle manière.

Le souvenir du film de Vadim est lointain également, mais j’en conserve surtout une mélancolie liée à l’état de vampire, qu’on retrouve aussi d’une certaine façon dans La Morsure. Et il y a, si je ne me trompe pas, un décor de serre qui a son importance et m’a surement inspiré.

de Saint-Blanquat, Romain. Interview avec le réalisateur de La MorsureEnfin, ce qui était intéressant chez Jean Rollin pour La Morsure, c’est que son univers fantastique et surréaliste prend place dans des territoires et des décors français, comme chez Franju, Feuillade ou Rivette, mais aussi qu’il y a une certaine connexion avec la jeunesse et la mode de l’époque. On peut y voir la rencontre d’une imagerie vampirique avec quelque chose de la contre-culture de l’époque, par la présence de personnages jeunes. D’ailleurs, dans cette réunion entre résonnances mythiques, fantastiques, et jeunesse 60’s (dans La Rose de fer par exemple), on peut presque tisser un lien avec d’autres films pourtant très différents, comme les premiers Philippe Garrel. (Garrel qui, en 67, a filmé un portrait d’Handa Humbert qui a également été modèle pour la BD Saga de Xam de Rollin et Nicolas Devil…). C’était en tout cas un de mes désirs, d’invoquer un peu de cet esprit de l’époque, qui peut mêler horreur gothique, pop stars blafardes et désir d’affranchissement.

Il y a une tension permanente dans le film. Entre l’onirisme et une toile de fond plus crue (la guerre d’Algérie), entre l’insouciance de Françoise et les hésitations de Delphine. Voire autour de la réalité même du vampire. Pour toi, cette idée d’un tiraillement permanent était incontournable ?

J’avais la volonté de chercher un équilibre entre une dimension atmosphérique et une dimension émotionnelle, au diapason de ce que vivent et ressentent les personnages, et qui passe aussi par la volonté de retranscrire quelque chose de la violence de l’époque. Ce tiraillement s’accorde à la perception du personnage, à son univers mental qui dit ses peurs tout en mettant une certaine distance avec sa réalité oppressante. Aussi, comme les personnages du film qui sont dans un état transitoire entre deux âges, le film s’articule autour de jeux de bascules, de ruptures, de glissements ou de passages. Françoise est comme poussée par une pulsion de mort, mais qui est en fait une pulsion de vie, qui témoigne de son désir de vivre des choses et de quitter le pensionnat où elle se sent enfermée. Le film est toujours à la frontière entre les genres, le jour et la nuit, la réalité́ et le rêve… Il se situe aussi en 67, à la charnière d’un monde à l’agonie, et d’un nouveau qui est en train d’apparaitre. Et plus précisément encore, le jour du mercredi des Cendres, qui sépare le Carnaval du Carême. C’est-à-dire entre une fête émancipatrice et le moment du jeûne chrétien, caractérisé par un retour à la rigueur qu’on pourrait symboliquement associer à l’âge adulte, à l’obéissance.

Enfin, l’indécision qui entoure le personnage du vampire amène un trouble qui est différent de si c’était plus affirmé. On ne sait pas comment se situer par rapport à lui, toujours à mi-chemin entre une part de ridicule et quelque chose d’imprévisible. Mais surtout, c’est pour ce que ça raconte du personnage que cette ambiguïté m’intéressait : un mal être, un rapport au monde et à soi qui est difficile.

La Morsure mêle film sur le passage adulte et thématique vampirique, tout comme le récent Vampire humaniste cherche suicidaire consentant d’Ariane Louis-Seize et En attendant la nuit de Céline Rouzet, dont la sortie est prévue cet été. Comment expliques-tu que cette approche thématique du sujet fasse boule de neige ?

de Saint-Blanquat, Romain. Interview avec le réalisateur de La MorsureJe ne sais pas si je peux l’expliquer, mais avec Ariane et Céline, nous avons à peu près le même âge et nous avons peut-être grandi avec des références communes. Mais en effet, c’est étonnant que trois films qui se sont fait au même moment soient des rencontres amoureuses entre adolescents, dont l’un est un vampire. Avec, à chaque fois, des vampires peu sûr d’eux, qui ont une fragilité et une angoisse. Les trois films jouent avec l’idée de l’exclusion et de la solitude, que porte la figure du vampire, et que les personnages essayent de combler. Pour un adolescent en plein bouleversement, il peut y avoir une séduction dans la dimension mortifère du vampire, idée qu’on retrouve aussi dans Morse, qui est peut-être un film qu’on a en commun.

Il y a au cœur du film une esthétique gothique assez présente. Déjà avec le pensionnat, avec ce manoir isolé où a lieu la soirée au cœur du film, avec la forêt et avec cette petite chapelle où se fait le final. Tu choisis d’ancrer le film à l’époque contemporaine, et pourtant tu convoques des espaces très codifiés ?

de Saint-Blanquat, Romain. Interview avec le réalisateur de La MorsureÇa faisait partie de la conception du film, je voulais qu’il puisse avancer par bloc de décors, traversant des espaces codifiés qui tiennent à la fois du film de genre, du récit initiatique et du teen movie. Tout comme il traverse aussi plusieurs strates de croyances, du christianisme au païen, qui jalonnent la recherche de Françoise de sa propre voie. J’utilise les stéréotypes des récits d’adolescences (les rivalités, les blousons noirs, faire le mur, la fête, la première fois), comme certaines conventions de films de genre et du film de vampire. On pourrait voir le pensionnat, le café, le trajet en voiture et le manoir comme une réactualisation des passages obligés de certains films de vampire comme ceux de la Hammer. C’est une part commune à tous, qui permet de mettre le récit sur des rails connus, pour pouvoir faire ensuite des décrochages, de pouvoir prendre des libertés ailleurs, dans la manière de les raconter, dans la sensibilité que j’instaure, dans la forme du film ou certaines déviations du récit. Comme pour le moment de la fête, que je voulais déployer sur un temps long. J’utilise le temps réduit du récit et la nuit un peu de la même façon : il y a une fin qui est annoncée et attendue (le film va jusqu’au matin) qui permet aussi de prendre quelques chemins de traverse sans se perdre totalement.

Difficile de dire que ton personnage de vampire est omniprésent, étant donné qu’on sait peu de choses sur lui, et qu’on le rencontre assez tard dans l’histoire. Et pourtant, via le titre du film, via l’importance que ce personnage va revêtir pour Françoise, c’est un rouage majeur de l’histoire. Comment expliques-tu cette opposition ?

Le film est l’histoire de Françoise en effet, mais Christophe le vampire se joint à sa trajectoire et y prend une part importante. Je joue avec l’idée que puisque le personnage de Françoise va mourir, elle peut se lier avec un garçon qui pourrait la tuer, et qui incarne le romantisme noir autodestructeur qui la caractérise. Étant elle-même au seuil de la mort, elle choisit un garçon à la frontière de la vie et de la mort. Et il y a un désir qui nait de ce trouble de ne pas savoir la nature exacte du personnage. Mais contrairement à ce qu’on pourrait d’abord croire, c’est en fait une étape essentielle dans son retour vers la vie, parce qu’il y a une rencontre qui se fait. Comme Françoise, une interprétation fantastique des choses aide Christophe à composer avec le monde tel qu’il est. Avec lui, elle se rend compte qu’elle n’est pas seule, qu’elle peut se lier et que d’autres lui ressemblent. À la fin du film, on quitte Françoise avec la reconnaissance d’avoir connu un semblable, d’avoir connu un sentiment de communion. Il y a maintenant pour elle l’espoir de vivre d’autres fêtes, d’autres rencontres, d’autres désirs et possibilités de se révolter.

Avec ton regard d’amateur du sujet et désormais de réalisateur, que représente le vampire pour toi ? Convoqué à outrance à l’écran, n’est-ce pas une créature appelée à perdre de plus en plus son sens ?

C’est une figure qu’il est toujours possible de réinventer, et qui est porteuse d’une symbolique puissante donc assez séduisante. D’ailleurs nos trois films, à Ariane, Céline et moi, en suivant un même élan, sont pourtant complètent différents.
Ce qui m’intéressait, c’était avant tout le rapport au corps que la figure pouvait évoquer, et que je pouvais relier à l’état d’adolescence. L’idée qu’à l’adolescence, le rapport à son propre corps ou à celui des autres, la rencontre avec l’autre, avec un désir, ne sont pas forcément des choses évidentes. Ça peut susciter des questionnements, de l’angoisse ou une incertitude. Ce sentiment peut prendre corps dans la figure du vampire, qui est déjà une incarnation du désir et des peurs que ça peut entrainer. Jusque-là, le personnage de Françoise, s’est vue empêché le contact avec les garçons. Et le premier garçon avec qui elle se lie, qu’elle peut côtoyer plus durablement, a quelque chose d’étranger, de potentiellement monstrueux ou d’anormal, c’est l’Autre par excellence. Même si finalement, c’est peut-être le moins monstrueux des hommes chez qui elle suscite de l’intérêt. D’autre part, comme on l’a déjà évoqué, l’état vampirique exclut, met à la marge et empêche d’appartenir au reste du monde, ce qui incarne bien ce que peuvent ressentir les personnages adolescents de La Morsure. Et dans cette connexion à l’adolescence, il y aussi l’idée de la fixité qui m’intéressait. La permanence du vampire, qui est coincé dans un corps qui ne change pas, un corps qui n’est pas forcément aimé, avec ce sentiment adolescent d’être bloqué dans un temps qui parait éternel.

Quelles sont tes premières et dernières rencontres avec le vampire en littérature et au cinéma ?

de Saint-Blanquat, Romain. Interview avec le réalisateur de La MorsureJe crois que ma première rencontre marquante de cinéma avec le vampire, c’est la bande annonce d’Entretien avec un vampire vu au cinéma avant une comédie familiale. Je n’ai vu le film que bien plus tard, mais ses images, surtout parce qu’elles étaient imprévues, presque déplacées dans ce contexte, m’ont marqué. Ensuite, c’est le Dracula de Coppola vu à l’adolescence.

Enfant, j’étais fasciné par les livres sur les créatures de cinéma, les maquillages, les effets spéciaux. Mais en littérature, une de mes premières lectures vampiriques marquantes est plus tardive. Ça a été Âmes perdues de Poppy Z. Brite, lu au sortir de l’adolescence sur les conseils de mon amie Morgane Caussarieu. C’est aussi à ce moment-là que j’ai découvert beaucoup de films de vampires qui m’ont marqué : Near Dark, Martin, Les lèvres rouges, les Prédateurs

Mes dernières rencontres au cinéma, ce sont Vampire Humaniste… et En Attendant la nuit, ainsi que les court-métrages Marinaleda de Louis Seguin et Transylvanie de Rodrigue Huart. En littérature, c’est Le clan des Poe, le beau manga de Moto Hagio, et Carmilla de Sheridan Le Fanu, que je viens de relire.

de Saint-Blanquat, Romain. Interview avec le réalisateur de La Morsure

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