En 1877, la Roumanie se retrouve impliquée dans la guerre russo-turque, aux côtés de l’Empire russe, de la Serbie et du Monténégro. Les hommes en âge de combattre doivent partir sur le front, malgré l’attitude hautaine que leur réserve l’armée du Tsar. Isasesco est un Dorobanț, un soldat d’infanterie. Fils d’un petit propriétaire qui peine à faire vivre sa terre, il n’en est pas moins amoureux de la belle Mariora. Celle-ci appartient à une des familles plus aisées du village. Le frère de cette dernière est quant à lui épris de Zamfira, une pauvrette d’origine tsigane. Alors que le conflit voit basculer leur quotidien, ils vont croiser la route d’un officier russe au sinistre surnom. Car Boris Liatoukine est connu parmi ses troupes sous le nom du Capitaine Vampire.
Sorti en 1879, Le Capitaine Vampire est un ouvrage signé par Marie Nizet, poétesse et femme de lettre belge. La production de cette dernière est marquée par un certain attachement à la Roumanie, qu’on retrouve déjà dans ses premiers textes, tout particulièrement dans le recueil România (chants de la Roumanie), publié en 1878. Le Capitaine Vampire est le premier roman de l’autrice, dans lequel elle convoque un des sujets qui lui tient à cœur : la place de la Roumanie, qui bascule de son antagonisme historique avec la Turquie vers un assujettissement aux autres puissances du continent, notamment la Russie.
Dans son livre Dracula (Tallandier, 2007), Matei Cazacu souligne les nombreuses similitudes qui existent entre la trame de l’histoire imaginée par Marie Nizet et le Dracula de Stoker. Si on ne dispose d’aucune certitude quant à la connaissance du français écrit par l’homme de lettres derrière Dracula, il est vrai que certains éléments du récit rappellent le grand jalon de la littérature ès vampire. À commencer par ces deux figures de femme, La Mariora et Zamfira, leurs deux amants Isasesco et Mitica, et les trajectoires opposées des deux couples, avec en toile de fond le personnage de Boris Liatoukine. D’autres éléments en ajoutent au doute, comme ce rappel de la maxime tirée de « La Lénore » de Bürger : « Les morts vont vite ». C’est pour autant un livre qui parle de l’amour face à la guerre, et qui cristallise le devenir pleins de doutes d’un pays qui ne semble plus maître de lui-même.
Le vampire du récit, c’est bien sûr Boris Liatoukine, le Capitaine Vampire. Un protagoniste mystérieux et inquiétant, craint par ses hommes, qui paraît dominer tous ceux qui croisent sa route. De lui, ceux qui le voient retiennent en premier lieu sa pâleur, et son curieux regard jaunâtre. Mais il y a aussi les rumeurs qui entourent son passé. Comme ces deux précédentes femmes qu’on dit avoir été retrouvées morte, peu de temps après la noce. Dans le livre, il suscite déjà la rage de Isasesco pour le manque de respect dont le russe a fait preuve face à son père. Mais quand l’un des officiers russes, ivre, essaie de le confronter en rappelant ses méfaits, la mort mystérieuse de celui-ci plonge les présents dans un certain effroi. Assassiné par Isasesco, qui profitera du chaos de la bataille pour lui enfoncer un couteau dans le ventre (de quoi faire penser à la fin de Dracula), il revient malgré tout à la fin du récit. Comme pour prouver que les racontars le concernant sont plus réels qu’il n’y paraît.
Le Capitaine Vampire est un ouvrage méconnu de la littérature francophone, qui montre s’il en était besoin que le lien entre les vampires et la Roumanie n’a pas attendu le roman de Stoker pour voir le jour. Certaines similitudes avec le texte de l’écrivain irlandais suscitent le doute quant à son influence. Mais à l’heure actuelle, rien ne permet de démontrer que Stoker ait pu avoir connaissance de ce livre ni avoir été en mesure de le lire.