Le personnage de Dracula a connu, depuis son apparition dans le roman de Bram Stoker en 1897, un parcours unique dans l’histoire de la littérature. Robin Nègre nous propose donc, dans cet ouvrage sous-titré Voyage à travers les ténèbres, d’appréhender ce parcours.
Cela commence, bien sûr, par la construction du roman de l’écrivain irlandais, de ce qu’on en sait en l’état actuel des recherches, en évoquant la figure historique de Vlad Tepes, de la dimension diabolique du personnage. L’auteur analyse le roman par différents biais, les pouvoirs du Comte, la lutte du savoir contre l’obscurantisme, la solitude du vampire contre la solidarité de ceux qui le chassent. Curieusement Robin Nègre choisit de faire un énorme bond dans le temps puisqu’il parle de Dracula l’Immortel et Dracula : les origines, les suites « officielles » écrites par Dacre Stoker et des collaborateurs, datant respectivement de 2009 et de 2018, basés sur les notes de Bram. En ne négligeant pas leurs piètres qualités.
Mais bientôt s’avancent, alors que Stoker est décédé, les premières adaptations de son œuvre-phare. Au théâtre d’abord, puis dès que le cinéma offre des capacités techniques, sur grand écran. La première grosse partie de l’ouvrage passe donc en revue les adaptations laissant le Comte dans son époque. Drakula halála (La Mort de Dracula) qui est a priori la première adaptation du roman en dépit d’énormes libertés, est un film hongrois muet réalisé par Károly Lajthay en 1921. Hélas, hormis des coupures de presse, quelques images et les déclarations du réalisateur, il n’en reste rien, les bobines ayant été perdues ou endommagées, d’après l’auteur. Une assertion un peu légère, puisqu’une novélisation du film a été retrouvée il y a quelques années déjà, et traduite en anglais sous le titre Dracula’s Death, par les soins de Laszlo Tamasfi. Une traduction sans mention de l’auteur du texte hongrois original, mais suivie d’un article indiquant tout de même la genèse du film et celle du livre. Une large place est accordée au Nosferatu de F. W. Murnau, œuvre expressionniste allemande qui marque de son sceau le genre ainsi que le cinéma lui-même. En parallèle Robin Nègre évoque la vie de Max Schreck, l’interprète du Comte dans cette adaptation, comme il va le faire pour chaque acteur emblématique du personnage par la suite.
Le troisième chapitre aborde ainsi la carrière de Bela Lugosi, dont le nom va être étroitement lié au personnage, alors qu’il ne l’a au total joué que deux fois à l’écran. La carrière de l’acteur, d’abord émaillée de succès au théâtre, est d’ailleurs liée à la montée en puissance des films mettant en scène des monstres dans la firme Universal. Le monstre sacré suivant est Christopher Lee, qui entame en 1958 son idylle cinématographique avec le personnage, notamment chez la Hammer. La carrière du monument britannique est là encore passée en revue en parallèle de cette fusion artistique presque unique. Lee a tout de même une carrière immense par ailleurs.
Nouveau saut dans le temps puisque le règne de Lee sur le personnage s’arrête dans les années 1970 et qu’on arrive au Bram Stoker’s Dracula de Coppola en 1992, choc visuel et nouveau canon du genre sur grand écran. Au-delà de la prestation envoûtante de Gary Oldman, l’auteur passe en revue la direction artistique résolument moderne et la dimension romantique assumée par le scénariste-réalisateur visionnaire.
Les différentes itérations sur grand écran passées en revue, enfin les principales, Robin Nègre a choisi de s’intéresser aux autres. La deuxième grande partie de l’ouvrage s’ouvre donc sur les adaptations télévisuelles. Et met en avant le Count Dracula de Philip Saville, téléfilm britannique diffusé en 1977 sur BBC Two et mettant en scène Louis Jourdan dans le rôle-titre. Une adaptation aussi fidèle que possible, portée par un acteur sobre et malicieux. Dans les années 2013-2014, une nouvelle série, toujours produite par la BBC, propose un Dracula (dans une série sobrement intitulée… Dracula) en phase avec les productions du genre en vogue à l’époque (le film de Coppola, la saga Twilight ou encore Entretien avec un vampire) : on n’a plus le monstre assoiffé de sang imaginé par Stoker, mais un personnage torturé, qui se pose des questions sur ses actes passés et mène une double vie ; entrepreneur le jour, vampire la nuit. C’est une vision romantique du personnage, certains diront aseptisée. Un petit détour du côté de Penny Dreadful, où le Comte est utilisé dans un cadre très différent de celui imaginé par Stoker, et bénéficie d’une écriture de qualité. Les libertés prises avec le récit d’origine sont ainsi souvent salvatrices pour redonner de la vigueur au mythe.
Curieusement Robin Nègre revient ensuite au cinéma, listant les longs métrages qui placent Dracula dans un cadre contemporain (Dracula 3D, Dracula 2001…) et la tentative – ratée – d’Universal de (re-)lancer un Monsters Cinematic Universe à partir du film La Momie avec Tom Cruise, en 2017. Il s’attarde nettement sur la quadrilogie des films d’animation initiée par Genndy Tartakovsky, Hotel Transylvania, une vraie réussite dans sa manière de traiter le thème draculien dans un cadre humoristique, sans tomber dans le burlesque.
Passage obligé, le chapitre jeux video s’attarde sur la franchise Castlevania, dans laquelle on incarne un chasseur de vampires qui pénètre dans le château du Comte pour le tuer, en devant au préalable se débarrasser de sa garde rapprochée, constituée de différentes créatures macabres (zombies, loups-garous, etc.). Une franchise, éditée par le studio japonais Konami, dont le succès a perduré pendant près de trente ans et une vingtaine d’épisodes. D’autres jeux où le Comte fait une simple apparition, comme Bloodborne, sont également cités. A noter le projet de création d’un parc à thème dont une partie serait consacrée aux fameux monstres Universal, dont Dracula, pour cette année 2025.
La partie suivante concerne des adaptations de l’œuvre de Stoker au sein du 9ème Art. Avec Tomb of Dracula en 1972, l’éditeur Marvel lance une mode qui n’avait pas vraiment eu de précurseur dans ce media, et qui va perdurer longtemps. A noter que Disney a fait également une adaptation à découvrir dans son univers graphique autour de Mickey. En franco-belge, sont cités la belle adaptation éponyme du Dracula original par Georges Bess et la série Requiem Chevalier vampire, mais pas un mot de la version réalisée par l’Italien Guido Crepax, celle d’Alberto Breccia ou celle d’Hippolyte, pour n’en citer qu’une partie. Les autres titres où le Comte apparaît sont survolés, même si on remarque l’attention particulière au manga #DRCL : Midnight Children, de Shin’ichi Sakamoto (Editions Ki-oon), où l’auteur fait totalement voler les conventions victoriennes pour faire de ses personnages des adolescents d’aujourd’hui, aux pensées et sexualités difficiles à définir. Mais il est gênant que la présence du personnage dans le manga se réduise à deux titres, celui-ci et Vlad Draculea (qui aborde le côté historique et traite de Vlad III), alors que l’un des plus grands noms du medium, Osamu Tezuka, y a dédié une série, Don Dracula.
Le dernier chapitre se concentre sur les autres adaptations : radiophonique, pièces de théâtre, comédie musicale et ballet. Et en bonus, l’évocation de la lecture audio du roman de Stoker par… Christopher Lee, qui prête sa voix profonde à l’ampleur et l’atmosphère angoissante du roman.
Finalement ce guide permet d’avoir une idée assez précise -mais non exhaustive- de la place que prend Dracula dans l’imaginaire collectif, avec l’infinité d’adaptations qu’ pu connaître le roman de Bram Stoker en cent vingt-cinq ans d’existence. Et l’incroyable vitalité qu’ont réussi à lui donner certains de ses adaptateurs, en respectant son œuvre ou en la trahissant, parfois avec talent. On peut être un peu circonspect quant au découpage de ces adaptations parfois, mais l’ensemble se révèle très intéressant pour qui souhaite saisir l’ampleur de cet héritage artistique, à un niveau basique. Un lectorat plus informé déplorera quant à lui les impasses faites sur certaines adaptations, et certaines erreurs factuelles.