Alors qu’il est seul chez lui, par une nuit d’hiver où tombe la neige, Albin Grau reçoit une curieuse enveloppe, glissée sous sa porte. Prenant connaissance de son contenu, l’artiste découvre quelques lignes qui lui remettent en mémoire la genèse d’un film dont il est l’un des géniteurs. Un métrage, et la créature qui en est l’élément central, qui paraît bien décidé à embrasser l’immortalité. Nosferatu, le vampire, aurait-il pris vie, et serait-il en train d’arpenter le monde ?
Marco Fontanili est un jeune dessinateur et scénariste italien, déjà auteurs de plusieurs albums en noir et blanc, principalement sans paroles. Graphiquement, ses premiers livres montrent son appétence pour l’horreur, entre hommage aux Contes de la Crypte (Tales from the Grave, 2020) ou à Godzilla (Kingzilla, 2021). Nosferatu est clairement son projet le plus ambitieux à ce jour, sur lequel il a travaillé plus d’un an. Une entreprise de longue haleine, qui a vu l’artiste se confronter à de nombreuses recherches, avant de trouver comment aborder son sujet. Tournant le dos à l’idée d’une adaptation, peu intéressante à son goût, Fontanili choisit de s’imprégner de la matière du film et de son histoire houleuse, depuis les procès intentés contre Murnau, Grau et Cie jusqu’à la disparition de la tête embaumée de Murnau.
Difficile de raconter la trame de ce Nosferatu tant la lecture en est immersive. Une partie importante du livre ne contient pas de texte : Fontanili donne vie à Nosferatu, qui échappe au feu de ses bandes, préserve celles-ci, pour finalement trouver le repos dans le cercueil niché au fond de sa crypte. Avec un trait qui en appelle aux cadrages et effets expressionnistes, le dessinateur joue de la métaphore pour expliciter la survie du film et celle de sa créature, devenue une incarnation vampirique à part entière. De façon à faciliter la lecture des néophytes qui seraient intéressés avant tout par l’objet graphique, Fontanili parsème son album des conclusions de ses recherches. Il donne ainsi des clés pour comprendre comment et pourquoi le métrage de Murnau a failli disparaître dans les flammes, et comment cette fin qui aurait dû être inéluctable s’est transformée en renaissance.
L’auteur convoque l’essentiel de la matière vampirique du long-métrage de 1922. La morsure du vampire, les rats qui l’accompagnent, son incapacité à supporter la lumière du jour sont intégrés au récit. Mais le dessinateur-scénariste puise dans l’ensemble de la genèse du film, exploitant le vol de la tête de Murnau en conclusion à son histoire. D’éléments disparates, d’idées et ressenti sur Nosferatu et son immortalité, Fontanili fait un une longue métaphore autant qu’une œuvre occulte.
Si Philippe Druillet avait choisi d’extraire Nosferatu de son film pour en faire une représentation de l’artiste incompris, Marco Fontanili opte quant à lui pour une exploration esthétique. Une approche toute en métaphore d’un long-métrage incontournable du cinéma fantastique, appelé à la même immortalité que le personnage dont il porte le nom.