Bonjour. Pouvez-vous vous présenter pour les internautes de Vampirisme.com ?
D – Bonjour et merci infiniment de votre intérêt pour notre travail. Je m’appelle Dominique Marion – Peredone, je suis Parisien, né à Versailles, mais d’origine bretonne où réside d’ailleurs toute ma famille. J’ai 40 ans et j’écris depuis l’enfance. Je suis également photographe, producteur, réalisateur et chef opérateur pour la publicité, l’audiovisuel, le secteur musical et le cinéma. Et bien entendu j’écris et coécris des scénarios. Ce qui est amusant d’ailleurs, c’est que je viens de recevoir un projet sur une version moderne de Van Helsing pour un court métrage tout récemment.
J -Bonjour aux passionnés de vampires que vous êtes ! Je m’appelle Jérémie Fleury, j’ai 25 ans, j’habite à Lyon et je suis originaire de Bourgogne. Je suis illustrateur / concept artist, quelqu’un qui met les mots en images et qui crée des univers, en quelque sorte. J’ai toujours adoré faire ça et ce, depuis mon plus jeune âge. J’ai été bercé par les chefs d’œuvre de l’animation, comme ceux de Disney, mais également par le jeu vidéo. En plus d’illustrer des couvertures de romans et des albums, je réalise également des visuels pour des jeux vidéo et des jeux de société. Il m’arrive parfois d’écrire des histoires que j’illustre, j’en ai d’ailleurs une sous le coude que j’aimerais beaucoup faire éditer.
Vous venez de sortir une adaptation jeunesse du Dracula de Stoker aux Editions Auzou. Pouvez-vous nous raconter la genèse de ce projet ?
D – Il y a quelques années j’avais déjà travaillé sur un texte « adulte », à savoir Roméo & Juliette pour les éditions Auzou à la demande d’Aude qui est une amie. Maya qui est l’une des autres chefs de projet de chez Auzou m’a appelé pour me demander si j’étais intéressé par le même travail sur Dracula, en précisant qu’elle voulait une adaptation du texte original de Bram Stoker publié en 1897. J’ai dit oui de suite, avant d’aller acheter le roman dans une librairie. C’est là que je me suis rendu compte que le volume faisait 500 pages ! Comme il fallait travailler assez rapidement, j’y ai passé quelques nuits. Mais je pense que c’est le moment propice à un travail sur les vampires. Cela favorise l’inspiration d’être dans la pénombre sans un bruit. En tout cas ça me convient bien, j’ai toujours préféré écrire la nuit je ne sais pas pourquoi. Je crois que Jérémie est lui aussi un oiseau de nuit.
J – Je connais les éditions Auzou depuis quelques années et j’ai eu l’occasion de rencontrer Aude lors du Salon du Livre de et de la Presse Jeunesse de Montreuil. Mais contrairement à Dominique, ce n’est pas elle qui m’a contacté pour me proposer de travailler sur ce projet. C’est par le biais d’une amie d’enfance qui travaille chez Auzou que je me suis fait connaître de Maya, une autre éditrice. Adorant le style de la fin du 19ème siècle et les histoires de vampires, je me faisais une joie de travailler sur l’adaptation de Dracula comme premier album. J’ai immédiatement accepté. Il y a eu un gros travail de recherches, notamment sur les styles vestimentaires de l’époque. J’ai dû me procurer des livres sur l’histoire de la mode au cours des siècles et des journaux du 19è..
Comment avez-vous abordé la problématique de l’adaptation du style littéraire d’origine à un public jeunesse ?
D – J’ai repris tout le texte en résumant en même temps que je lisais afin de conserver le style du XIXème (je suis assez facilement caméléon en procédant comme ça) pour un premier jet… de 400 000 signes. Soit dix fois ce que je devais produire pour le livre. Il a fallut recommencer l’opération sur ce premier texte pour le réduire à 80 000 mille environ, ce que j’ai livré pour une première lecture. Ensuite ça été une demi bataille contre moi-même pour le diviser par deux avec la grande aide de Maya, parce qu’à ce stade on a l’impression que chaque coupe détruit le texte et que l’on perd « l’âme » de ce que l’on a écrit, en particulier le style. Mais voilà, il faut bien le faire. Et sans elle j’aurais réellement eu du mal, on s’accroche à ce que l’on a produit comme à un enfant quelque part.
Pour ce qui est du style, cela mérite une parenthèse, puisque le roman d’origine est un roman épistolaire, donc uniquement constitué des lettres et journaux intimes des différents personnages. Nous avons décidé communément que ce style particulier qui effraie déjà pas mal les adultes n’était pas adapté pour un livre d’enfant. Donc, pour ne pas sacrifier l’idée d’origine qui était de reprendre ce texte et non de le réinventer, nous avons mêlé des lettres avec une narration plus classique suivant ce qui semblait le plus intéressant, le plus équilibré ou le plus joli à chaque instant.
De même, comment avez-vous sélectionné les scènes du roman de Bram Stoker qui sont utilisées dans votre adaptation, aussi bien d’un point de vue du scénario que graphique ?
D – Il ne faut pas oublier que l’on n’écrit pas un roman, mais que cela doit « parler » à l’illustrateur. Il fallait que cela inspire Jérémie, même si le concernant il lui en faut peu pour se lancer dans de grandes planches magnifiques. Pour mon précédent livre, j’avais dessiné moi même certaines planches à grand traits parce que pour une scène ou deux je voulais un effet « grand angle » (mon côté technicien du cinéma et je venais de lire HK avec gourmandise, une bande dessinée écrite par Morvan que je connais via Facebook et avec qui nous avons des échanges de temps à autres) pour accroitre l’effet dramatique. Comme je ne suis pas un grand dessinateur, c’était plutôt risible, mais Martina étant italienne c’était plus facile de lui montrer que de l’expliquer en italien. Là je dois avouer que je n’ai rien fait ni rien préconisé. Jérémie a énormément d’idées, je n’aurais jamais eu le temps d’imaginer plus vite que lui je crois, ou nous aurions fait une belle compétition. En tout cas, je suis très fier d’avoir partagé la création de ce livre avec lui. Et ça n’est pas pour lui lancer des fleurs.
J – Le découpage qu’on m’avait proposé et l’histoire de Dominique m’ont permis de réaliser rapidement un storyboard de l’album. Dominique a su trouver les mots pour que je sois inspiré. J’ai joué sur plusieurs gammes colorées, mais nous retrouverons principalement des teintes rouge-orangées qui contrastent avec des tons bleu-verts. Le bleu est une couleur froide, presque fantomatique, qui correspond bien aux passages ou la présence du vampire est très forte (La scène du carrosse, Mina et Lucy dans les jardins, Lucy avec le Dr Helsing, Lucy dans son cercueil …). Dracula intervient rarement directement, mais si vous regardez bien, il est omniprésent dans les illustrations de l’album. Parfois sous une forme de chauve-souris, ou encore, un regard dans un tableau.
Jérémie, on sent dans vos planches l’influence du Dracula de Coppola. Faut-il voir ça comme une forme d’hommage ou comme un besoin d’ancrer le travail de cet album dans un référentiel connu ?
J – Je suis quelqu’un de très visuel, mes inspirations se nourrissent de mes expériences personnelles, mais aussi d’images, que ce soit des peintures, illustrations, photos, lithographies, films, jeux vidéos ou dessins animés. Dracula de Coppola est la référence ultime en terme d’adaptation cinématographique de l’œuvre de Bram Stoker. Je l’ai regardé avant de commencer l’album. Certaines couleurs, certains personnages et scènes m’ont profondément marquées, il fallait que je transmette un petit quelque chose de ce film dans certaines illustrations. Notamment la scène du repas avec le Comte et son ombre qui circule de manière indépendante contre le mur. On peut y voir une sorte d’hommage, et j’espère que les enfants qui liront cet album auront envie de redécouvrir le Comte au travers le film de Coppola quand ils seront plus grands. Je tiens à faire une parenthèse sur le compositeur du film, Wojciech Kilar, qui est de loin un de mes préférés depuis que j’ai vu le Roi et l’Oiseau pour la première fois quand j’étais gamin.
Le vampire est une créature fortement reliée à la mort et aux tabous moraux (sexuel notamment). Comment aborder ces éléments dans un ouvrage destiné à la jeunesse ?
De nombreux problèmes se posent sur ce type de roman, que nous avions déjà rencontrés avec Roméo & Juliette : quand et comment parler de la mort (dans les deux romans c’est une vraie hécatombe) ? Comment transformer un texte au langage complexe pour un enfant et suranné ? Nous avons alors eu exactement la même conversation avec Maya que nous avions eu auparavant avec Aude : Disney a de tout temps parlé de la mort dans ses dessins animés. Ca n’a jamais empêché ses films d’être vus par des bébés. Mais on n’y voit jamais de sang, ce qui pour le cas de Dracula aurait pu représenter un souci, mais plus pour Jérémie que pour moi.
J – Cette problématique n’a pas été évidente pour moi. J’ai beaucoup illustré pour les adolescents et les adultes, mais peu pour les enfants. Adapter l’histoire de Bram Stoker pour la jeunesse à travers mes illustrations a été un vrai défi. Tout d’abord, j’ai globalement utilisé des couleurs douces, et des expressions peu effrayantes. Je voulais raconter l’histoire avec poésie et suggestion. Globalement, on retrouve beaucoup de formes arrondies, des décorations et des motifs inspirés du mouvement Art Nouveau. J’avais envie de faire de belles images qui dans le fond sont inquiétantes, mais reposantes dans la forme.
Il n’y a pas de contact direct entre Dracula et les autres personnages, bien que l’envie m’ait plusieurs fois traversé l’esprit ! Pendant la création de l’ album, j’avais la très belle affiche de Nosferatu de Werner Herzog au-dessus de mon bureau.
L’absence totale de sang a été chose la plus difficile à concevoir. J’ai illustré la « soif de sang » du vampire seulement au travers du regard rougeoyant que l’on retrouve un peu partout dans l’album.
Quel regard portez-vous sur l’évolution du vampire en littérature ces dernières années ?
Alors, pour Jérémie je ne sais pas, mais pour moi c’est l’évolution de l’œuvre cinématographique qui m’a le plus marqué. On est passé d’un certain « respect », je dirais, du monstre (je pense ici à l’image que l’on a du requin blanc par exemple, que l’on respecte parce qu’on le craint) qu’est le vampire dans Dracula de Bram Stoker à une certaine banalisation. Je crois que cela lié au progrès technologique et Halloween également : le vampire fait moins peur parce que l’on n’y croit plus trop. Du coup c’est le côté burlesque qui est ressorti pendant pas mal d’années, la cape rouge, les dents, etc… Il y a eu une longue période ou écrire sur les vampires tenait de la farce. Comme sur les loups-garous.
Puis est venu Coppola avec son film qui redonnait un caractère « sérieux » au personnage, teinté de romantisme baudelairien. J’ai adoré ce film pour ma part, et plus encore Entretien avec un vampire, d’autant que je connaissais et que j’avais dévoré tous les romans d’Anne Rice auparavant.
Je pense qu’aujourd’hui le personnage du vampire est redevenu plus proche de celui d’origine, plus beau, plus ténébreux, même s’il a perdu de son mystère. Entre Blade et Twilight on a toute une gamme d’écritures sur ces êtres surnaturels. Pour ma part, mes trois préférés restent ceux d’Anne Rice : Entretien avec un vampire, Lestat et La reine des damnés (le roman, pas le film).
J – Dominique a bien résumé les choses, et je pense comme lui. Ce n’est pas pour rien que nous-nous sommes bien entendus sur la création de l’album.
Toute la littérature s’est emparé du thème du vampire au fil des siècles ainsi que le monde du cinéma, à qui on doit quelques chefs d’œuvres comme Nosferatu de Murnau ou le Bal des Vampires de Polanski.
Le vampire, créature jadis détestée, apparait maintenant comme un être d’une beauté fascinante. Il est devenu plus humain, on le retrouve aujourd’hui avec une conscience, le suceur de sang dépasse sa condition de créature de la nuit. Sa malédiction s’est transformée en une source de pouvoir attirant pour les mortels. Il fascine un public de plus en plus large qui s’identifie à lui, car il symbolise un surhomme beau, intelligent et immortel, une sorte d’idéal…
Quelles sont vos premières et dernières rencontres avec un vampire (littéraire et / ou cinématographique) ?
Du coup, ça été le roman d’origine et ce projet tout récent de court métrage. En fait je relis souvent les romans que j’ai aimés jusqu’à en épuiser les pages. Puis je les rachète. Mes livres de chevets sont la série des Lestat, celle de Dune, La nuit des temps et Des fleurs pour Algernon. Et plein d’autres, bien sûr. J’ai apprécié la série Blade aussi pour son côté déjanté et plus récemment
Les deux derniers films en date que j’ai vus sur le sujet sont Daybreakers et Priest. Pas mal du tout.
J – Je ne me souviens plus quelle a été ma première rencontre avec un vampire, il y en a eu tellement ! Dans tous les cas, j’ai toujours été fasciné par le mythe du vampire. Je trouve regrettable qu’il n’y ait jamais eu un vrai et beau dessin animé de vampire pour les enfants, à la manière de ceux de Disney à l’époque. Il va bientôt il y avoir Hôtel Transilvania en 2013, mais ce sera davantage axé sur l’humour.
C’est au cinéma que j’ai eu mes dernières rencontres avec un vampire, avec le dernier Twilight, Dark Shadows et Abraham Lincoln Chasseur de Vampires.
Pour vous, comment peut-on analyser le mythe du vampire? Qu’est ce qui en fait la pérennité ?
Je pense que la vie éternelle est le plus grand rêve de l’humanité et en même temps on ne se cache pas que cela aurait un côté monstrueux de ne plus vieillir. Sans parler de la surpopulation. Je travaille en ce moment sur un roman qui traite de cela d’ailleurs. C’est dans les romans d’Anne Rice que l’on retrouve le mieux cette dernière notion. Passer du rêve à la réalité comment ? Pourquoi ? Et au bout d’un certain que se passe t il ? La lassitude dans ses romans prend une dimension extraordinaire, avec des personnages presque bipolaires.
J – Le vampire ne cesse de faire parler de lui. Au cours des années, le personnage monstrueux qu’il était s’est transformé en un vampire romantique, un être solitaire, incompris et fascinant. Sa vie éternelle est à la fois un rêve mais aussi un fardeau. Anne Rice nous présente un Lestat qui traverse les âges et qui développe de nombreux talents, plus qu’un simple humain pourrait le faire dans sa courte vie. Le vampire incarne le mythe de l’amour impossible, immortalisé par la passion qu’il va ressentir pour une simple mortelle, lui qui ne connait pas les douleurs causées par le temps qui passe. Cette rencontre amoureuse réveille en nous cette soif de sentiments qui ne meurent jamais.
Le mythe du vampire est paradoxal car il inspire attraction et répulsion, de même que le personnage est à la fois puissant et fragile, ce qui ne cesse de nous interpeler.
Avez-vous encore des projets de livres sur ce même thème ? Quelle va être votre actualité dans les semaines et les mois à venir ?
Pour ma part l’actualité est dense au vu de mes nombreuses activités. Comme je l’ai dit peut être un court métrage sur le genre. Je tourne fréquemment autour des thèmes de l’éternité, et je vois que je ne suis d’ailleurs pas le seul. Pas de projet d’écriture précisément sur les vampires en ce moment, mais ça vite parfois : aujourd’hui n’est pas demain. Merci encore à vous de votre intérêt dans tous les cas.
J – En 2013, vous pourrez découvrir un nouvel album jeunesse sur lequel je travaille en ce moment. Je peux juste vous dire que l’histoire se déroule en 1900 et que graphiquement, il y aura beaucoup d’influence Art Nouveau. Il y aura aussi un autre album jeunesse, une histoire de dragon et également plusieurs romans illustrés dont un qui se déroule en Egypte Ancienne. Bien sûr, je continue à illustrer la série Gregor de Suzanne Collins, aux éditions Hachette Romans. En parallèle, je travaille toujours sur du jeu, par exemple sur la nouvelle extension du jeu de cartes Drakerz qui va bientôt voir le jour. Pas d’actualité sur des vampires pour l’instant, mais j’espère que ça ne saurait tarder. Merci beaucoup de nous avoir sollicités pour cette interview, j’ai eu beaucoup de plaisir à répondre à vos questions.