Quel est ton parcours d’auteur ? Que s’est-il passé pour Sire Cédric entre Religere et De fièvre et de sang ?
Dix ans se sont écoulés entre Religere et Fièvre. J’ai parfois du mal à le réaliser ! C’est mon chemin personnel, en quelque sorte. Chaque histoire que j’ai écrite a marqué une étape. Pour en revenir à 1998, j’avais juste envie que mes histoires soient lues. Ne connaissant rien au monde de l’édition, j’avais sorti Religere directement à l’imprimante, et je l’envoyais par la poste, contre un timbre. C’était une expérience à la fois excitante, formatrice et indispensable, car cela m’a permis d’avoir mes tout premiers lecteurs. Au fil des années qui ont suivi, j’ai continué à écrire, et j’ai commencé à envoyer mes histoires aux magazines, aux éditeurs… J’apprenais sur le tas. Certaines revues m’ont répondu de manière positive. Elles publiaient mes textes dans leurs pages, et moi j’étais aux anges. Jusqu’à ce que les éditions Nuit d’Avril me proposent de sortir mon premier livre, Déchirures, en 2005. C’était ma première publication professionnelle. Et c’est aussi grâce à cet éditeur que j’ai pu devenir écrivain à temps complet !
Comment as-tu fini par trouver ta place chez Pré aux Clercs après la fin des éditions Nuit d’Avril ?
En 2008, quand Nuit d’Avril a fermé ses portes, ce sont les éditions du Pré aux Clercs qui ont pris l’initiative de me contacter. C’est arrivé grâce à Édouard Brasey, auteur de best-sellers chez le Pré aux Clercs, que j’avais croisé à diverses manifestations et qui connaissait bien mon travail. Il leur avait parlé de moi, et du fait que je cherchais un nouvel éditeur. À cette époque, de leur côté, ils étaient en quête de nouveaux auteurs sortant des sentiers battus. Je leur ai donc parlé de mon projet en cours, l’Enfant des cimetières, on a pris rendez-vous… et voilà comment l’aventure a commencé ! En tout cas, avec le recul, je trouve qu’il y a une vraie logique, si on considère que Religere regroupait des nouvelles ayant pour thème la religion, dans le sens de « relier » un monde à l’autre : le monde des dieux et le monde de la chair, le sang comme passerelle. Dix ans plus tard, c’est la même thématique que j’ai développée dans De fièvre et de sang !
Parle-nous un peu de De fièvre et de sang. Qu’est-ce qui t’a donné envie de te pencher sur l’histoire de la comtesse Bathory pour ce nouveau roman ?
J’avais envie d’écrire une histoire vampirique, à ma manière. Le personnage de Bathory était une figure que je rêvais d’approcher depuis longtemps, je n’ai donc pas hésité à me lancer sur ses traces. Je souhaitais également retrouver un personnage de flic albinos que j’avais créé pour une nouvelle policière, deux ans auparavant. Il s’agit d’Eva Svärta, commandant à la brigade criminelle. Ce personnage avait un passé trouble que je rêvais d’approfondir. Tout est parti de là.
Était-ce prévu de reprendre le commandant Vauvert, issu de l’Enfant des cimetières ?
La rencontre, entre Eva et Alexandre, m’est apparue comme une évidence. Ils étaient faits l’un pour l’autre, si je puis dire…
Comment as-tu eu l’idée de relier l’histoire de Bathory aux mythes abordés par Mircea Eliade dans De Zalmoxis à Ganghis Khan, qui est cité dans le roman ?
Je souhaitais aborder tous les thèmes qui font le mythe du vampire : c’est-à-dire les miroirs, l’image du double, les loups passeurs d’âmes, la soif de sang, les dieux de la mort… Tout cela puise ses racines dans le folklore européen, et principalement les croyances du peuple dace. La comtesse Bathory et le voïvode Vlad Tepes illustrent d’ailleurs à merveille cet héritage, avec le loup comme emblème et la mort pour obsession. L’empalement cher à Dracula, c’était un rituel en l’honneur de Zalmoxis, qui a lui aussi réellement existé et qui, selon le mythe, avait trouvé le moyen de triompher de la mort. Ce n’est donc pas moi qui relie tous ces personnages. Ils le sont déjà, réellement ! À partir de là, c’était un pur plaisir de les placer, les uns après les autres, dans le déroulement de cette histoire.
La musique semble tenir une place importante dans ta vie, en même temps que la littérature. Écoutes-tu de la musique en écrivant et si oui qu’écoutais-tu en écrivant De fièvre et de sang ?
La musique a toujours été une source d’inspiration et de motivation. Que ce soit un mouvement de musique classique, une mélodie électronique clash, une explosion de death métal ou une gigue endiablée. La liste serait trop longue. Durant l’écriture de Fièvre, j’ai beaucoup écouté de sons naturels, aussi : des chants d’oiseaux, des enregistrements d’orages… Cela m’aide à me concentrer.
Ton style a quelque chose de très cinématographique, pour ne pas dire américain, notamment dans la manière dont tu poses les différentes scènes au fil du récit ainsi que dans ta gestion du suspense.
C’est vrai. Cela vient du fait que je suis un visuel. Quand j’écris une scène, je la vois très précisément, dans ma tête. J’essaie de rendre cette impression au travers de ma prose, pour que cette image arrive jusque dans la tête du lecteur. Pour en revenir aux Américains, ce sont eux qui ont le plus expérimenté en termes de découpage, de rythme. La comparaison est donc inévitable. Mais cela ne veut pas dire qu’ils sont toujours les meilleurs ! (Rires.)
Alors, est-ce que ton objectif, à travers tes différentes œuvres, serait de proposer un contre-pied français à la littérature de genre américaine, tout en assimilant les composantes de celle-ci ?
Un contre-pied, je ne sais pas. L’ombre de Poe, Hitchcock ou King planera toujours, car ces génies ont posé les bases du genre. Mais une vision européenne, certainement ! Il y a eu un renouveau complet dans le thriller, ces dernières années, grâce à des auteurs comme Grangé, Loevenbruck, Thilliez… La preuve qu’on peut tout à fait situer des histoires passionnantes et originales en France, dans notre propre culture, sans rien enlever au dynamisme ou au besoin d’évasion. En tout cas, c’est ce que j’essaie de faire.
Quelles ont été ta première et ta dernière rencontre avec un vampire (littéraire et/ou cinématographique) ?
La première rencontre qui m’a marqué, en tout cas, c’était le film Les prédateurs. On peut dire que ce film a, totalement, changé ma vision de la vie ! (Rires.) Ma toute dernière rencontre ? Eh bien, je suis en plein dedans ! Je lis Petits arrangements avec l’éternité, d’Éric Holstein.
La figure du vampire revient souvent dans tes nouvelles et tes romans. Pour toi, comment peut-on analyser le mythe ? Qu’est-ce qui en fait la pérennité ?
Je crois que le vampire est notre reflet, tout simplement. Mais attention, je parle de notre reflet à nu, à vif, dépourvu de notre masque d’être humain. Il est toutes nos pulsions, que la société nous interdit d’extérioriser dans la vie quotidienne. Il représente les turpitudes de notre âme, toutes nos angoisses vis-à-vis de la mort et de la morale, et tous nos désirs refoulés, interdits. Ce qui fait qu’il évolue sans cesse avec notre civilisation, mais
qu’il restera éternellement là. De l’autre côté du miroir. La cristallisation de tous les fantasmes qu’on ne peut pas avouer, mais dont on éprouve le besoin vital de voir mis en scène. Cela nous aide à porter notre masque. (Sourire.)
Ton dernier roman est donc en librairie depuis quelques semaines. Quelle va être ton actualité littéraire (et artistique au sens large) dans les mois à venir ?
Je vais profiter de l’été pour travailler sur mon prochain thriller. Je serai aussi présent à quelques manifestations littéraires, comme « Étonnants Voyageurs », à Saint-Malo, ou les incontournables « Imaginales » à Épinal, qui est à mes yeux le plus sympathique festival français dédié à l’imaginaire.