Il y a quelques années, tu as initié le Club Van Helsing, eu duo avec Xavier Mauméjean. Comment est né cette initiative ? Comment avez-vous contacté les différents auteurs qui se sont succédés sur la série, à la manière du Poulpe ?
J’ai contacté Xavier avec l’idée de réactualiser certains mythes monstrueux et avec l’idée qu’un personnage, un descendant d’Abraham Van Helsing, a créé aujourd’hui une société secrète pour chasser ces même monstres dans notre société. A partir de là Xavier a eu l’idée de créer un club, à la manière des clubs anglais du XIXe, une sorte de ligue de gentlemen extraordinaires. Pas exclusivement de gentlemen d’ailleurs, vu que certains des chasseurs sont un peu plus déjantés, voire borderline. A partir de là on s’est dit, toi Xavier tu es plus dans le domaine de la fantasy, moi davantage dans celui du polar, répartissons-nous les tâches et trouvons des auteurs de polar et de fantasy. On a chacun fait marcher nos connaissances, les auteurs qu’on aimait bien et avec qui on avait envie de travailler.
On a donc contacté différents auteurs en leur soumettant une bible, qui était un document de travail sur lequel chaque auteur s’engageait à travailler, et sur lequel chaque auteur s’engageait à respecter les grandes lignes. C’est une vraie bible avec les personnages définis, les limites, le cadre, sachant que certains auteurs ont complètement explosé ce cadre-là. On savait très bien qu’une bible est faite pour être transgressée, c’est ce qui fait la valeur d’un cahier des charges. Mais il y avait cette ligne-là pour qu’on ait toujours un fil. Ce qui nous intéressé ce n’était pas seulement d’avoir une succession de livres mais d’avoir une espèce de fil conducteur dans tous les livres, qu’il soit parfois plus ténu ou plus grossier, mais qu’on ait pas l’impression à chaque fois d’avoir un épisode différent. On voulait développer une vraie mythologie à travers l’ensemble de la collection. Xavier à donc contacté certains auteurs, qui ont accepté ou refusé, on en a discuté et avons retenu une sorte de short-list et on s’est lancé avec les auteurs qui étaient d’accord avec les conditions financières, les conditions littéraires, etc.
Malheureusement on a travaillé avec 12 auteurs, on aurait aimé travaillé avec plus, on commençait d’ailleurs à recevoir des manuscrits écrits spécifiquement pour le Club Van Helsing, qu’on a pas eu la possibilité d’honorer. Certains étaient assez intéressant, j’ai le souvenir d’un Chupacabra version moderne, qui se passait à la frontière mexicaine et qui était assez excitant. C’est donc comme ça qu’on a travaillé avec Xavier, chacun dans son univers, moi dans le polar et le thriller, lui dans l’imaginaire et la fantasy, même si les cartes se sont par la suite brouillées, chacun ayant découvert l’univers de l’autre, on est devenu ami avec certains des auteurs. Le but du club était aussi de créer des passerelles, se dire il n’y a pas le polar d’un côté et la fantasy de l’autre, tout ça part d’un même imaginaire. Beaucoup d’auteurs et de lecteurs de polar et de thriller sont en effet passionnés de fantastique et d’horreur.
Il y a quelques mois, tu lançais un appel à mobilisation des lecteurs du CVH pour que celui-ci reparte pour une deuxième saison. Qu’en est-il aujourd’hui ? Y’aura t’il de nouveaux romans estampillés CVH ?
Après la publication du Pierre Pelot, je me suis rendu compte que la collection commençait à exister à partir du moment où elle était morte. C’est assez souvent comme ça en France : pendant qu’une collection est en vie on la critique et on la descend de partout, et puis quand elle est morte on entend dire que c’était vachement bien pour l’époque, que c’était une super idée, novatrice. Je me suis dit que c’était dommage, je vais donc mettre encore un peu d’énergie là-dedans. Je me suis dit la meilleure façon de mettre de l’énergie serait déjà de voir ce que ça suscite encore comme engouement, donc tester la petite communauté fanique. En clair sur le site du Club Van Helsing, j’ai encore 300 abonnés à la newsletter. J’ai vu sur Facebook que Mathieu Muccini, un niçois, avait créé une page Facebook, ce qui pour moi était une sorte de consécration. Quelqu’un qui prend la peine de créer une page Facebook, et donc d’y investir du temps, sur une collection qui n’existe plus, c’est quand même assez flatteur. L’appel était donc une sorte de test pour voir où on en était, s’il y avait encore de l’intérêt, et j’ai pu mesurer qu’il y en avait, mais c’était aussi une façon de dire : il y a encore quelqu’un aux commandes, quelqu’un qui croit à ce concept, et qui va essayer de faire encore des choses. Je suis plus orienté aujourd’hui sur l’audiovisuel. Je ne pense pas qu’on fasse quelque chose du Club Van Helsing dans l’édition, ça m’étonnerait, ça me paraît trop barré et trop compliqué aujourd’hui pour un éditeur. On a eu beaucoup de chance d’être édité par les Editions Baleine, sur un concept totalement improbable à une époque où les vampires et la littérature fantastique n’inspiraient pas grand-monde. Je crois qu’aujourd’hui s’il y a un avenir, c’est plutôt dans l’audiovisuel, et si avenir il y a, croyez-moi, on ne tardera pas à voir les livres revenir en rayon. On inverserait donc la vapeur : si il se passait quelque chose dans l’audiovisuel, l’éditeur reviendrait naturellement demander si on ne peut pas faire quelque chose. Aujourd’hui j’avance, mais les processus dans l’audiovisuel sont très très longs. Le fait d’organiser un événement vampire avec Ciné Frisson lors du Salon du Livre fait parti de cette logique que je suis en train de mettre en place.
Vlad : avec des gens comme Julien Seri par exemple ?
Par exemple. Julien a lu les livres, lui il voudrait les tourner, les adapter. Il adore le concept et ça l’excite de faire une série sur les monstres, c’est quelqu’un qui est très ouvert sur cet imaginaire-là. Il s’agit donc de rencontrer les gens, rencontrer les chaînes de télé, scénariser, proposer (soit scénarisation soit adaptation). Tout ça est long mais ça avance, et il y a un moment où tout ce qui est préparation, qui a pris beaucoup de temps, s’achève, et il s’agit qu’un projet soit green-lighté pour que ça aille très vite. Donc je mets encore de l’énergie là-dedans, mais sur l’image. Sur l’écrit j’estime, après 12 bouquins, que je suis très content d’avoir publié et dont aucun ne me fait rougir, que j’ai fait mon boulot sur la partie éditoriale. Par contre je ne l’ai pas fait sur l’audiovisuel et je n’aime pas ne pas finir les choses. Parce qu’au départ, le Club Van Helsing était aussi pensé pour être décliné à l’audiovisuel, ce n’était pas du tout pensé pour n’être que des livres. C’était pensé pour être plus que ça.
Senhal : tu connais Sable Noir ?
Ah bah oui, ma femme, Anna Martinetti a assuré la direction littéraire de Sable Noir 1 (pas le 2). C’est d’ailleurs elle qui a fait en sorte que Xavier Mauméjean puisse écrire une nouvelle pour Sable Noir et soit adapté. On baignait donc dans cette idée de ne pas faire simplement des livres, mais de faire du trans-média, et d’être à la fois présent e
n BD, en vidéo, en roman… Je pense de toute façon aujourd’hui que le livre seul, à part les best-sellers, à part quelques locomotives, n’a pas trop d’avenir. Il n’est plus en mesure de se battre contre l’esprit du temps, contre la vitesse, l’immédiateté, le rythme. A part si on écrit des livres de 64 pages, je vois mal comment aujourd’hui on peu lutter contre un film d’1h30 avec une pléthore d’effets spéciaux. Je pense que le livre a un intérêt s’il est raccroché à d’autres médias. C’est ce que j’essaie, petitement, de mettre en place pour plein d’autres choses. Ne plus raisonner en terme de « J’écris un roman et ce roman va être lu et c’est super », pour moi c’est bien mais n’a pas de sens dans notre époque. Dans notre époque, ce qui pour moi a du sen c’est « J’écris un livre, en me disant que ce livre peut résonner à l’écran, sur internet, etc. ». Le but est d’essayer de créer des passerelles. C’est très compliqué parce qu’on est encore au début mais il y a déjà des acteurs comme Orange qui a compris cela et est en train de créer des projets trans-médias.
Ce qui m’intéresse en tant que créateur d’univers, c’est de faire en sorte que l’univers gonfle. Ce qui m’intéresse c’est la taille du four, pas la taille du gâteau. Plus le four est gros, plus le gâteau va pouvoir grossir. Si tu fais un petit gâteau, donc un livre, il va grossir mais il restera plein d’air tout autour. Si tu fais un livre qui raccroche à de l’internet, à du mobile, etc. tu étends ton univers.
Vlad : Mais là tu vas dans l’optique réseau et dématérialisation ?
Pas forcément dématérialisation. Regarde, un livre peut t’emmener sur l’internet. J’intègre depuis des années la technologie à mes thrillers. C’est un gros défi dans le travail de la langue et dans le travail de veille technologique, car tu es vite dépassé si tu emplois les mauvais termes, tu es vite pas crédible. Ca demande donc beaucoup de documentation, de choisir bien ses mots, et bien ses marques, car il y a des marques qui seront has been demain, d’autres qui traverserons les siècles. Pour moi il était naturel d’aller vers la technologie et de me dire quand je crée une intrigue pourquoi, en cours de lecture, je ne donnerais pas des indices pour aller voir sur internet visualiser de la vidéo qui va t’expliquer un passage technique, ou certains passages de l’intrigue. Ou qui va te donner du contenu inédit, car on a coupé 10 pages sur ce chapitre-là, et que je te les offre via internet, en entrant un code d’accès. Ton univers n’est dès lors plus figé sur la page. Il est toujours sur le livre, j’adore le livre donc je garde l’objet livre, mais si toi tu as envie de développer cet univers-là, on te donne plein de tunnel pour raccrocher de la vidéo, du texte, du contenu multimédia.
Senhal : C’est différent pour l’auteur aussi Tout à fait. On raisonne en hypertexte. Le texte n’est plus figé comme une œuvre littéraire linéaire, on raisonne en 3 dimensions. On se dit : c’est super intéressant, aujourd’hui j’ai moyen, dans mon intrigue, de développer tel point sur mobile. Par exemple un héros peut t’envoyer des sms pour te donner des indices. Je dis une bêtise, mais il y a eu un essai, level 46 je crois, par un créateur de série, ce qui n’est pas un hasard. Dans la narration aujourd’hui, les précurseurs ce sont les scénaristes de série TV. Ils réinventent complètement la narration. Une série c’est 24 heures de temps. Un film c’est 1 heure 30. IL a fallu donc inventer de nouveaux moyens narratifs pour faire gonfler un univers. Je suis très admiratif du travail des scénaristes de série, notamment anglo-saxonnes, parce qu’eux ont réussi à étendre leur univers dans le four. Ils déclinent leur univers à chaque fois et le pensent dès le départ. Beaucoup d’auteurs trouvent que ça désacralise le travail de l’auteur, que ça le démystifie. Je pense que c’est juste différent : au lieu de penser l’histoire dans sa tête il faut la penser au-dehors de sa tête.
Vlad : Du coup le lecteur devient aussi acteur ?
Il devient interactif, oui, mais avec une limite que je pose très clairement. L’interactivité, elle se trouve dans l’intrigue, dans la narration. Moi je suis auteur, je reste auteur, toi tu es lecteur, tu restes lecteur, toi tu es éditeur tu restes éditeur. Mais on peut jouer ensemble. Par contre donner l’illusion qu’on est autre chose que ce qu’on est, c’est la limite de la dématérialisation. Pour moi essayer de mettre tout le monde en réseau est une manière d’échanger. Par exemple, pour moi auteur, Facebook est un outil absolument génial. Tout le monde dit, Facebook : atteinte à la vie privée, etc. Oui si tu prends Facebook comme une plateforme où tu vas mettre des photos de toi, effectivement il y a un danger pour toi. Par contre en tant qu’auteur, c’est à dire en tant que personnages (car je suis dans la représentation), c’est absolument génial. Pour Guillaume Lebeau, c’est super. Je garde contact avec mes lecteurs tout le temps, je peux échanger avec eux je peux partager des contenus (vidéos, dédicaces, impressions). On peut même faire participer une communauté. J’ai demandé à mes lecteurs via Facebook de me vendre des personnages. De se vendre en tant que personnage pour qu’ils apparaissent dans un de mes romans. Ils se sont pris au jeu, ça a été assez marrant, et au final il y a une personne que je ne connais pas qui s’est retrouvé dans un de mes romans, avec son nom. Il y a une forme d’interactivité qui fait qu’on est plus tout seul, qu’on est une communauté, et je trouve ça assez sain. Ca stimule la création et ça permet aussi de faire vivre un roman. Aujourd’hui le gros problème c’est que les livres arrivent en librairie et il y restent. Heureusement il y a des libraires qui peuvent adorer un bouquin et qui vont le vendre.
Pour en revenir au sujet il y avait un peu de tout ça à l’origine dans le Club Van Helsing. L’objectif n’était pas que de créer un club fictif mais aussi un vrai club. Un club de passionnés, un club de lecteurs, voire pourquoi pas un faux-vrai club : des cartes de membres, des réunions sur le thème du monstre. Parce que le monstre est quelque chose qui aujourd’hui n’est plus traité, où très très peu. Aujourd’hui on vit une époque où le monstre a une vraie valeur pédagogique et où on en parle plus. Il n’y a plus de films de monstre, ou très peu. Les grandes figures de monstre on en parle très peu en littérature, à part le vampire. Le Club c’était vraiment dans l’idée de créer du réseau et du lien. Parce que ce qui manque aujourd’hui dans la société, c’est le lien. Le club pour moi ça a une vieille résonance, celle du club des cinq. Il y avait cette notion du « on se retrouve entre gens de bonne compagnie ». Aujourd’hui on est des individus mais a plus cette notion de communauté, de lien social. D’où l’importance des dédicaces par exemple. Tu rencontre une personne, deux personnes, dix personnes, peu importe. Tu rencontres des gens. Qui eux-même se souviendront peut-être un peu de toi et parleront de toi à quelqu’un d’autre. Le Club Van Helsing c’était ça au départ. Pas un simple projet éditorial mais quelque chose d’un peu plus ambitieux.
Vlad : tu parles de l’utilisation des médias,
de Facebook. Le club Van Helsing est de mémoire une des premières séries littéraires à avoir eu son blog
Je ne sais pas si on est la première série ou pas qui ait eu son blog. L’idée était d’avoir un vrai-faux blog du Club Van Helsing où on ne s’exprimerait pas nous en tant qu’auteur mais où nos personnages s’exprimeraient. Moi j’ai poussé jusqu’à me créer un mail hugo.vanhelsing. L’idée était de brouiller les cartes et de donner la parole aux personnages. Ce qui est intéressant ce n’est pas ce que moi j’ai à raconter sur le Club Van Helsing, mais plus ce que Hugo Van Helsing, Samsonite et les autres ont à en dire. En plus, en laissant parler les personnages, on est beaucoup plus libre. J’ai toujours trouvé ça amusant de mélanger fiction et réalité à tel point que tu te demandes où tu es : a quel moment commence la fiction et à quel moment s’arrête la réalité. C’est ce qui fait toute la valeur du livre. C’est de te faire voyager. Je ne sais pas si on était les premiers, mais ça faisait parti du projet. C’est un truc qu’on a fait sans trop de moyen. On nous a souvent dit qu’on avait des moyens, des budgets marketing. Ca m’a toujours fait rigoler : on avait rien du tout comme budget, simplement on avait beaucoup d’énergie. Le blog c’est une personne, en l’occurrence moi, de A à Z. C’est lourd en temps, ça ne rapporte rien, sauf le plaisir de le faire. Avec 330 abonnés à la newsletter j’ai bien vu qu’il y avait un super intérêt au blog.
Feu le CVH est donc susceptible d’être un phénix, prêt à renaître de ses cendres. Tant mieux, car c’était quand même bien sympa.