Vampire impie, qui ne croit ni en Dieu ni au diable, ivre d’amour et de sensualité, résolu à découvrir les mystérieuses origines de ses semblables, Lestat se lance dans une quête effrénée qui va nous transporter du Paris de Louis XV à l’Égypte ancienne pour nous amener aujourd’hui à San Francisco où, devenu chanteur de rock, il lance un défi suprême aux « puissances des ténèbres ».
Si Entretien avec un vampire est un roman culte qui transforma à jamais le mythe du vampire en lui ouvrant les portes de la modernité, Lestat le vampire est une œuvre tout aussi majeure dans le paysage de la littérature fantastique. On peut même dire qu’il se montre à bien des égards supérieur à son aîné. Car si le premier opus des chroniques des vampires reste le plus connu auprès du grand-public, c’est uniquement grâce à son adaptation cinéma. Adaptation qui fait à ce jour cruellement défaut aux confessions de Lestat.
Avec Lestat le vampire, changement d’esprit radical. Finies les lamentations de Louis de Pointe du Lac. Dès les premières pages, le ton est donné : Lestat de Lioncourt est un rebelle, un agitateur. Un être protestataire et épris de liberté. L’immortel égoïste et manipulateur découvert dans Entretien avec un vampire se révèle sous un jour nouveau. Un personnage sensuel, tenace et rêveur qui a le don de concrétiser l’irréalisable… un vampire aux instincts monstrueux, mais habité par un amour sans faille envers ses proches – au point d’avoir le plus grand mal à se détacher d’eux. Voilà en quelques mots comment pourrait être décrit Lestat, l’héritier de Magnus, bien que le héros d’Anne Rice recèle des facettes autrement plus complexes.
Même si Lestat porte le récit sur ses épaules avec son charisme et son humanité écorchée, n’en reste pas moins qu’une galerie de fabuleux personnages l’entoure : sa mère Gabrielle, Armand l’égaré, le vénérable Marius, Nicolas de Lenfent, l’énigmatique Magnus… le récit de ce jeune noble auvergnat qui s’enfuit à Paris avec des rêves de Comédie française plein la tête est jalonné de protagonistes tous plus passionnants les uns que les autres.
Anne Rice est une auteure d’exception qui ne se contente pas de raconter une histoire ; elle donne littéralement vie à ses personnages. On voit les créatures de la nuit deviser religions, faire se confronter les notions de bien et de mal, d’enfer et de paradis. Lestat est capable d’aimer avec autant de fougue qu’il peut haïr. Avec lui, les frontières volent en éclats, l’amour pour une mère peut se muer en relation passionnelle, la complicité à l’égard d’un ami peut se transformer en un inextricable fardeau. Il déstabilise ses aînés en les faisant douter de leurs propres convictions.
Pour ma part, j’avoue ressentir une affection particulière pour Gabrielle et son désir farouche de liberté, de voyages en s’affranchissant des contraintes imposées par sa nature de vampire. Il est d’ailleurs curieux que cette Marquise, sauvée in extremis de la mort par son fils, n’ait pas eu droit à ce jour à un ouvrage lui étant entièrement consacré.
Lestat le vampire répond à bon nombre de questions laissées en suspend dans Entretien avec un vampire. Une partie du voile est levée sur les existences d’Armand et de Marius, on assiste à la chute des Innocents terrés dans les cimetières parisiens, puis à la naissance du Théâtre des Vampires. Et bien sûr, la rencontre entre Lestat et Ceux Qu’il Faut Garder, prémisse aux évènements à venir dans La Reine des Damnés.
Évidemment, la lecture demande un léger effort comparé à des œuvres vampiriques plus récentes et plus accessibles. La plume d’Anne Rice voyage à travers les époques. Elle donne à ses vampires les allures de dieux raffinés, écartelés sans cesse entre l’ombre et la lumière. L’auteure aime tourmenter ses personnages autant qu’elle les laisse libres d’aimer qui ils désirent, de la manière qu’ils l’entendent. Ses immortels aux larmes de sang sont fidèles au mythe traditionnel du vampire, avec cependant des pouvoirs considérables alloués aux plus anciens d’entre eux. Les lieux et symboles religieux ne repoussent pas les vampires, au contraire. Deux classes de buveurs de sang se dessinent au cours du récit : les Enfants des Millénaires (dont fait partie Marius) et les Enfants des Ténèbres (Louis, Armand, Lestat…) Seules les superstitions infondées de certains vampires les obligent à éviter les églises ou les crucifix.
Lestat, davantage que Gabrielle, cherche la réponse aux questions qui le hantent : quelle est la source de leur malédiction ? Qui sont les autres vampires et comment vivent-ils ? Pourquoi certains ne parviennent pas à s’adapter au changement d’époque ? Découvrir le parcours qui a transformé en rock star Lestat de Lioncourt, le « Tueur de loups », est un périple envoûtant. Des rues de paris au Caire, en passant par l’Italie, de mystères en révélations, le roman se dévore sans temps mort.
Cela faisait pour ma part quinze ans que je n’avais pas tourné les pages de cette histoire. Après tout ce temps et pas mal d’œuvres vampiriques lues, force et de constater que Lestat le vampire conserve un charme rare. Une œuvre obligatoire à découvrir ou à relire, car avec ce livre, Anne Rice apporte une magnifique contribution à l’édifice de l’imaginaire fantastique.