photographe Eric Collet – modèle Sophie Dabat
Pour les lecteurs qui te découvrent avec Bitlit!, peux-tu nous résumer ta carrière ?
» Carrière » est un bien grand mot… Je suis architecte de formation et, après une période de remise en question, je me suis tournée vers l’édition parce que j’ai toujours aimé les livres. Je suis devenue béta-lectrice et correctrice pour plusieurs éditeurs. Déjà, à l’époque, j’écrivais, mais de façon très irrégulière. J’ai commencé à être publiée dans des fanzines, des anthologies, et petit à petit, j’ai eu une bibliographie qui s’est étoffée, avec une quarantaine de nouvelles parues à ce jour, jusqu’à ce qu’il y a cinq ans, je m’aperçoive que le texte que j’étais en train d’écrire dépassait largement le cadre de la nouvelle… J’avais entamé mon premier roman, qui n’a pas été publié, mais envers qui j’éprouve toujours beaucoup d’affection. Je continue à travailler dans l’architecture, en jonglant avec un mi-temps de salariée, un mi-temps de correctrice en libéral, et un mi-temps d’écrivain. Oups, ça fait trois mi-temps !
Dans Bitlit!, tu remontes jusqu’à Jane Austen et son Northanger Abbey. Comment es-tu parvenu à établir cette filiation ?
La filiation me semblait logique. Voire évidente. Déjà, je suis une inconditionnelle de Jane Austen, j’adore ses écrits, que je lis et relis inlassablement. En plus, ses fictions, à l’époque, étaient des » romans pour dames « , des critiques sociales et des dénonciations de la condition féminine. La bit-lit représente en quelque sorte la même chose : une littérature féminine, que la plupart des hommes préfèrent ne pas admettre apprécier, qui parle de femmes contemporaines de l’auteur et décrivent la société dans ses travers, ses peurs et ses clichés. Dans les deux cas, l’élément fantastique peut être présent, parfois juste suggéré, puisque le Northanger Abbey de Jane Austen est un pastiche des romans gothiques, très en vogue à l’époque, et utilise les schémas du genre.
Dans quel sens va évoluer le courant littéraire dit « bit-lit » selon toi dans les années à venir ? Va-t-il se spécialiser ou rester ouvert à tous les public ?
Je trouve que le genre est déjà très spécialisé. C’est un univers très codifié, correspondant à des schémas-type, et même s’il y a beaucoup de variations dans le traitement, les lignes directrices sont les mêmes. C’est justement ce qui le rend ouvert à de nombreux publics : les adeptes des romans » à l’eau de rose » apprécient la romance, les amoureux du fantastique aiment la part de surnaturel, les inconditionnels du polar préfèrent l’aspect » enquête policière » qui est souvent mêlé à la bit-lit tandis que les lectrices féministes applaudissent aux exploits des héroïnes dures à cuire. Ce sont ces éléments qui rendent la bit-lit aussi populaire, et je ne pense pas qu’elle puise les changer sans se dénaturer. Toutefois, on remarque de plus en plus des divergences dans les styles. Récemment, on a vu de la bit-lit d’anticipation, avec la série Kate Daniels, ou Danny Valentine.
On a bientôt en français la série Le Protectorat de l’ombrelle, qui est un très proche parent de la bit-lit, une sorte de fantasy urbaine… uchronique. On a aussi les Vicki Nelson, beaucoup plus policiers… J’ai l’impression que l’on s’oriente vers une bit-lit qui va se déplacer dans le temps, pour développer des univers proches dans un passé ou un futur alternatifs, pour se démarquer des fréquentes fictions qui se déroulent à notre époque. À moins que ce ne soit une bit-lit qui accentue certains de ses aspects pour se rapprocher du polar, du roman érotique ou du fantastique.
Le livre aborde la Bitlit sous l’angle des auteurs et personnages anglos-saxon. A ton avis, y’a t’il aussi une Bitlit à la française ?
Pour le moment, je n’en ai pas réellement vu. La bit-lit est un genre anglophone et les univers décrits sont empreints de se contexte. Les personnages vivent Halloween, fêtent Thanksgiving, vivent dans des cités tentaculaires et considèrent la religion selon un point de vue très américain. Je ne suis pas sûre qu’une bit-lit française garderait cette patte, cette culture qui rend les fictions anglophones si… exotiques. Après, il y a aussi la question éditoriale. Peut-être qu’il y a d’excellents romans de bit-lit français, que l’on ne connaît pas parce que les éditeurs craignent que cela ne plaise pas aux lecteurs, ne soit pas vendeur…
photographe Yannick Derennes – modèle Eric Collet
A ton avis, en tant qu’auteur, la bit-lit est-elle encore à l’heure actuelle un terrain fertile pour l’imaginaire malgré le rythme soutenu des parutions ?
C’est effectivement un risque, que trop de bit-lit tue la bit-lit. Le rythme des parutions est proprement effrayant, et on constate parfois des ressemblances entre les univers et les personnages. Mais il faut aussi savoir que la bit-lit n’est pas un genre nouveau aux USA, et que la mode dure là-bas depuis plus longtemps que chez nous. Ce qui sort, en ce moment, dans notre pays, comme des nouveautés a parfois été écrit dix, voire quinze ans plus tôt. Je cite par exemple La Communauté du Sud ou les Vicki Nelson.
On a découvert il y a quelques temps la série pour jeunes adultes Le Journal d’un vampire, qui comporte des éléments proches du célèbre Twilight, mais la série de L.J. Smith a débuté… en 1991 aux états-unis ! Donc à mon avis, le risque d’essoufflement de la mode existe, mais c’est peut-être pour le mieux, car cela force les auteurs à être plus créatifs, et en attendant, il y a quand même nombre de romans très intéressants qui sont longtemps restés outre-Atlantique et que l’on peut découvrir aujourd’hui en français grâce à cet engouement.
Etait-il vraiment nécessaire de classifier tout un pan de littérature fantastique dans un domaine particulier comme cela a été le cas avec la bit-lit ? (terme inventé de toute pièce par un éditeur français) Cela permet-il aux lecteurs d’identifier plus facilement les histoires qui leur sont destinés ?
Ouille, je déteste cette manie de tout catégoriser ! Dans les pays anglo-saxons, il n’y a pas ce terme de » bit-lit » (qui est effectivement une invention française) : suivant le genre vers lequel le roman s’oriente le plus, les livres sont classés en contemporary fantasy, urban fantasy, surpernaturel romance, supernatural thriller… et ça fonctionne très bien comme ça !
Chez nous, on classe tout, on met des petites étiquettes, même si sous le nom générique et fourre-tout de bit-lit, on trouve des romans aussi différents que La Confrérie de la dague noire, Twilight ou Anita Blake. Ces romans-là sont tous de la bit-lit, mais penchent vers des styles si différents qu’ils pourraient très bien appartenir à d’autres genres, e
t les trouver côte à côte sur les étalages des libraires me fait bondir ! Mais bon, que tout soit classé sous le nom de bit-lit permet déjà au lecteur d’avoir une idée des composantes de base de l’histoire, mais quitte à catégoriser, alors il faudrait sous-catégoriser, histoire qu’une lectrice de La Maison de la nuit n’achète pas un Merry Gentry ou un Morgane Kingsley et découvre des scènes de sexe plus que crues !
photographe Yannick Derennes – modèle Velvet Rose
Vous avez travaillé à plusieurs pour Bitlit! Comment as-tu été mise en contact avec les autres intervenants et comment avez-vous scindé le travail tout en gardant une cohérence aussi forte ?
Le contact s’est fait en grande partie par les Moutons électriques, puisque certains intervenants étaient déjà des auteurs chez cet éditeur (comme Isabelle Ballester avec son Nombreuses Vies de Jane Austen, ou Elisabeth Campos avec Vampires !) Et pour d’autres, comme Coralie David, spécialiste des jeux de rôle, c’étaient des amies de très longue date.
Quant à la collaboration en elle-même, elle s’est très bien passée, et s’il y a parfois eu des cafouillages, comme pour les délais et le nombre de signes à respecter, ils sont essentiellement dus au fait que c’était mon premier essai, et je n’avais jamais écrit en collaboration avec des gens. J’ai donc dû apprendre » sur le tas » comment poser des limites, conseiller un style, orienter un article. Heureusement que les collaborateurs ont été patients et pleins de bonne volonté! (comme l’éditeur, d’ailleurs !)
Quelles ont été ta première et ta dernière rencontre avec un vampire (littéraire et/ou cinématographique) ?
Ma première rencontre littéraire, je ne sais plus si c’est avec le Dracula de Stoker ou Carmilla, de Le Fanu. J’hésite, je les ai lus tous les deux à intervalles très rapprochés. Au cinéma, je sais que c’est le Dracula de Francis Ford Coppola. J’ai été très classique, mais ça m’a ouvert la voie vers des heures de lecture passionnée !
Quant à ma » dernière rencontre » vampirique, il n’y en a pas : je continue à lire des histoires de vampires et/ou de bit-lit ! Écrire un essai sur le genre ne m’a pas découragée d’en lire, bien au contraire, je suis toujours accro ! En ce moment, je lis le troisième tome de La Maison de la nuit (pour jeunes adultes), je viens de finir le troisième tome aussi de Chasseuse de la nuit (en anglais), et je vais entamer le cinquième Morgane Kingsley… mais les personnages sont des démons, et non des vampires ! D’ailleurs, j’ai regardé récemment quelques épisodes de Buffy contre les vampires… et ça me donne énormément envie de revoir l’intégrale de la série !
Même s’il n’est pas le seul, le vampire est une des créatures récurrentes de la Bitlit. Pour toi, comment peut-on analyser le mythe ? Qu’est ce qui en fait la pérennité ?
Je crois que c’est parce que le vampire symbolise mieux que quiconque l’être humain poussé à son paroxysme. À cause de son immortalité, le vampire a des siècles pour peaufiner son savoir, sa maîtrise, sa dangerosité et ses passions.
Estelle Valls de Gomis et Isabelle Ballester pourraient en parler mieux que moi, mais dès la sortie du Dracula de Stoker, le vampire a incarné toutes les peurs de la société de l’époque : il était l’incarnation des pulsions sexuelles réprimées, des dangers de la nuit, des peurs d’une aristocratie vieillissante et décadente, la crainte du progrès technologique et d’une religion oppressive. De nous jours, cela n’a pas changé. Les choses sont exprimées différentes, les préoccupations se sont adaptées, mais la bit-lit présente les mêmes thèmes : le sang symbolise la drogue, la dépendance et la vie, les boîtes de nuit et bars, montrent les dangers de la vie nocturne, la sexualité est omniprésente dans ses excès… Tout est là.
En fait, le vampire est le prédateur urbain ultime, plus que les loups-garous, que l’on assimile plus à la nature. Et comme nos villes sont en perpétuelle expansion, il est logique que le vampire soit notre Némésis et notre fascination les plus extrêmes.
As-tu encore des projets de livres sur le thème ? Quelle va être ton actualité littéraire dans les semaines et les mois à venir ?
Pour le moment, j’ai effectivement des idées d’autres essais, pas forcément sur le thème, mais dans des voies proches, dont on discute avec l’éditeur, mais c’est une tâche de grande envergure et je préfère y réfléchir tranquillement avant de me relancer dans un tel projet ! Quant à mon actualité littéraire, j’ai eu deux ouvrages qui sont parus coup sur coup au cours des derniers mois, Bit-lit! et Changelins, donc je ne sais pas si je vais publier autre chose rapidement, il faut d’abord écrire, avant de publier ! Il y aura bien sûr la suite de Changelins, que je suis en train d’écrire. J’ai également plusieurs nouvelles qui vont sortir dans divers anthologies en début d’année 2011, et de nombreux projets, dont un roman, écrit il y a très longtemps, et qui est actuellement en cours de soumission chez différents éditeurs.
Après, qui vivra verra, j’ai aussi deux métiers, une maison à rénover et une véritable ménagerie à bichonner au quotidien, ça demande du temps (sans parler d’un compagnon qui a parfois envie que je passe un peu plus de temps avec lui et moins avec mon ordi) !
En lisant Changelins, ressort l’impression que le roman a parfois été pensé comme une BD ou un comics dans son développement et sa narration. Une adaptation graphique te tenterait-elle ?
Oh oui, oh oui ! C’est une proposition ? Je serais ravie d’une adaptation graphique, je rêve de scénariser une bande dessinée ou un comics, ou que quelqu’un adapte un de mes écrits en dessin, mais comme personne ne s’est proposé jusqu’à présent et que je dessine comme si j’avais des pattes de chat à la place des mains, pour le moment, je suis bloquée !
Quant à Changelins, effectivement, plusieurs personnes m’ont dit qu’il était parfois pensé comme une BD. Je ne l’ai pas conçu comme ça, pourtant, mais c’est vrai que je suis une véritable BD-phage, depuis toute petite (j’ai appris à lire avec Iznogoud et Le Gros Dégueulasse, ça veut tout dire !), donc ça a forcément influencé mes références. Il y a beaucoup de clins d’oeil à des ouvrages que j’adore, à l’intérieur, et ça, c’est totalement assumé ! X-Men, Men in Black, Dracula, ou même Twilight, et je me suis beaucoup amusée en faisant ça, c’est jouissif de jongler avec les références ! J’ai d’ailleurs appris en écrivant Bit-lit! que Joss Whedon, le créateur de Buffy contre les vampires, était à la fois un grand fan de jeux de rôle (on retrouve le manuel de Donjons & Dragons dans plusieurs épisodes), mais aussi d’Aliens, avec Sigourney Weaver en Némésis des xénomorphes. C’est aussi un de mes films culte et j’ai parfois pensé à cette saga en écrivant Changelins. Après, ne vous attendez pas à trouver un Alien dans le tome deux, il n’y serait pas heureux, pauvre bébête !