On parle de « vampire », mais quelle est l’origine de ce mot ?
De nombreux ouvrages et sites répondent à cette question. Mais la malhonnêteté intellectuelle incite souvent à omettre de citer ses sources voire les arranger à sa convenance ou tout simplement, il arrive que certains se trompent en les recopiant/pillant. En outre, la crédulité excessive d’autres engendre une absence totale de vérification des sources. De fait, on s’y perd parfois, d’où l’article présent qui se fonde sur une lecture de nombreux ouvrages afin de reconstituer (au mieux) un tout cohérent. Cette compilation ne se veut ni exhaustive, ni normative. Vos remarques et corrections sont les bienvenues.
L’idée
Jusqu’au XVIII, en occident, l’être maléfique par excellence est la sorcière. Toutefois, la croyance en des spectres suceurs de sang est très antérieure à cette date. Ils ne s’appellent pas encore vampire (on parle parfois de nachzehrer, d’empuse, de goule, de lamie, de stryge, de broucolaque, d’un incube ou d’un succube par exemple, jamais de vampire), mais l’idée du vampire – sa spécificité – s’affirme nettement.
Telle croyance est souvent associée à l’Europe centrale, mais on trouve des traces de mythes assez proches et plus anciens dans la Grèce. En effet, le terme de la langue grecque classique vrykolakas (francisé en broucolaque ou brucolaque) est employé pour désigner divers esprits, revenants et loup-garou qui viennent s’en prendre aux vivants (donc des êtres incarnés). Toutefois, ce folklore ne semble s’être que très peu exporté vers l’Europe occidentale. On peut citer la référence aux lamies (sorte de vrykolakas ?) qui furent à l’honneur dans un poème intitulé Lamia
d’Angelo Poliziano de Florence en 1492. En outre, le vrykolakas est présenté à l’Europe Occidentale par Léo Allatius (Leone Allacci) dans un livre – dans lequel il est question des croyances folkloriques de la Grèce – intitulé De Graecorum hodie quorundam opintionibus en 1645. On peut citer aussi le père Jésuite François Richard qui rapporte que les habitants de l’île Sant-Erini (Santorini) accusent certains morts enterrés de sortir de la tombe pour harceler voire tuer les vivants, dans sa Relation de ce qui s’est passé de plus remarquable à Sant-Erini en 1657.
Ce fléau n’affecte pas seulement les Balkans. Il est, dans toute l’Europe, de nombreux récits évoquant des morts affamés qui reviennent hanter les vivants à l’instar du témoignage du scandinave Saxo Grammaticus, Gesta Danorum ; La Saga d’Egil ; Asmund le tueur de Berserkir ou encore les récits de Gautier Map (Walter Map), et bien d’autres.
En mai 1693 serait paru, dans Le Mercure Galant (qui deviendra Le Mercure de France en 1724), un article sur des créatures appelées upierz en polonais (stryges en latin). En octobre 1694, un nouvel article (??) parut dans Le Mercure Galant sur les stryges de Hongrie (article d’un certains Desnoyers ?), les « revenants en corps » (article d’un certains Marigner ?) ainsi que les Chevêches (sorcières qui aspirent le sang de leurs victimes à travers la peau de leur cou, décrites dans L’Hexameron d’Antoine de Torquemada en 1625). On s’en doute : la peur qui contaminait les Balkans et l’Europe centrale finit par atteindre l’Europe occidentale et déclencha, avec ces articles, un engouement (certain ?) pour les morts-vivants dont il était question.
L’idée du vampire s’affirme toujours plus avec les nombreuses publications qui suivent durant les premières décennies du XVIIIème siècle. Dom Augustin Calmet nous parle d’un certain Magia posthuma (c’est ainsi que l’on nommait les revenants qui hantaient les vivants) imprimé à Olmuz et publié en 1706 (1704 ?) par le juriste Karl Ferdinand de Schertz. Ce dernier était profondément convaincu de l’existence de tels revenants. Il raconterait dans ce livre (dont il ne reste que trois exemplaires répertoriés) – qui s’inscrit dans la tradition des livres de démonologie catholique – comment certains corps étaient déterrés pour être détruits afin de lutter contre le revenant en question. Toutefois, le livre semble être passé inaperçu et le terme de magia posthuma n’eut qu’une très faible postérité.
En 1717, le botaniste français Joseph Pitton de Tournefort publie un livre où il fait part du massacre (à l’encontre d’un cadavre) auquel il assista sur l’île de Mikinos dans Relation d’un voyage au Levant. Bien que sceptique quand à l’existence de ces revenants, il alimente tout de même la rumeur croissante.
En 1721, le père Jésuite Gabriel Rzaczynski parle d’upier(s ?) (démon masculin) et d’upierzyca (démon féminin) dans la cadre de la « mastication des morts » dans son Historia naturalis curiosa regni Poloniae. Un autre cas de revenant fut attesté par un officier impérial autrichien du district de Gradiska dénommé Fromann. Son rapport fut publié dans un journal Das Wienerishe Diarium le 21 (31 ?) juillet 1725. Il s’agissait du cas de Peter Plogojowitz dans le village de Kisilova en Serbie.
Les cas de « revenants en corps » se multiplient dans certains pays d’Europe centrale administrés en quelque sorte par l’Autriche (les Habsbourg) d’où le fait que les rapports soient effectués par les autorités de Vienne. Le mot vampire va alors faire son apparition soudaine.
Le mot
Au XVIIème siècle, toute sorte d’histoires et preuves étaient collectées sur les revenants et morts étranges. Toutefois, comme nous pouvons le constater, ce n’est qu’au XVIIIème siècle qu’une réelle discrimination s’effectue entre ces différents phénomènes et que la figure du vampire se distingue des autres ‘démons’.
Il y eut l’affaire Plogojowitz. Deux ans plus tard à Medwegya (toujours en Serbie), un village proche de Kisilova, il y eut le cas Arnold Paole qui, dans un premier temps, ne fit pas beaucoup de bruit. C’est en 1731, quand les villageois se plaignaient toujours des méfaits de cet Arnold Paole (ou d’une de ses victimes), qu’il y eut un réel investissement des autorités autrichiennes. Un docteur de Vienne nommé Glaser fut envoyé. Il arriva à Medwegya le 12 décembre 1731 et écrivit un bref rapport pour le marquis Botta d’Adorno, l’administrateur autrichien de Serbie. Ce dernier, intéressé, envoya une commission d’enquête complète qui arriva sur les lieux le 7 janvier 1732. Elle était dirigée par chirurgien militaire Johann Flückinger et comptait deux médecins militaires avec lui (J.H. Siegel et Johann Friedrich Baumgarten).
Le rapport de cette commission, appelé Visum et Repertum, fut enregistré à Belgrade le 26 janvier 1732 et publié à Nuremberg quelques mois plus tard. Accréditant l’existence des vampires, ce rapport devint rapidement un best-seller en Allemagne et fut cité dans la presse internationale. Dans ce texte, le mot apparait, semble-t-il, pour la première fois. Ainsi, le mot vampyre entre dans la langue française le 3 mars 1732, dans un article de la revue Le Glaneur (ou Le Glaneur en Hollande) revue franco-hollandaise qui relate les conclusions (ou l’intégralité ?) de ce rapport. Le 11 mars vampyr est cité dans The London Journal et le 29 mai au Danemark dans Nye Tidender om laerde og curieuse Sager.
(Selon Jean Marigny, le professeur Antoine Faivre aurait retrouvé un manuscrit dans les archives de Vienne où le mot vampire serait orthographié vanpir, mais je n’ai rien trouvé là-dessus.).
La postérité : Le succès du mot
Les ambassadeurs à Vienne informèrent leur gouvernement respectif de cette révélation ; il y eut un véritable intérêt politique pour la question. Les enquêtes conclurent rapidement de l’inexistence du vampire. Mais cela ne suffit pas à calmer les passions. De 1732 à 1733, il semblerait qu’environ 20 livres et articles aient été publiés à ce propos. Apparait rapidement le néologisme vampirus utilisé en 1733 par l’allemand Johann Heinrich Zopftius et Karl Francis von Dalen dans le traité intitulé Dissertatio de Vampiris Serviensibus. Ce traité est repris en partie en 1745 dans The Travels of Three English Gentlemen largement diffusé en Angleterre.
Alors que la première édition du livre du théologien allemand Ranftius Michael ne mentionne pas ce nouveau mot (1728), il semblerait que sa traduction allemande Tractat von dem Kauen und Schmatzen der Todten in Gräbern (réédition de De masticatione mortuorum in tumulis) en 1734 comporte le terme vampyr.
Le marquis Boyer d’Argens dans sa réédition des lettres juives fait un ajout d’une lettre (la lettre 137) en 1738 dans laquelle il raconte une histoire de vampire. L’ouvrage d’Augustin Calmet raviva les passions en 1749 avec sa très célèbre dissertation qui nous fit découvrir de nombreux textes intéressants constamment cités dans les études sur les vampires. Toutefois, sachant que le mot vampire n’apparait qu’en 1732, il est étrange de le voir apparaitre dans des témoignages qui lui sont antérieurs (et encore plus étrange de voir nos contemporains recopier ces extraits sans se poser de questions ni essayer de chercher le texte source…). Le bénédictin (Augustin Calmet) serait même à l’origine du substantif « vampirisme » en 1751.
La « folie » vampire affecte jusqu’aux plus hautes sphères et en 1755, l’Impératrice Marie-Thérèse d’Autriche fait publier le 1er mars un Décret sur les vampires. Le vampirisme est alors condamné comme fraude. Ce que le Vatican entérinera un peu plus tard.
Les dictionnaires
On s’en doute : si l’on s’intéresse aux dictionnaires antérieurs à 1732 (comme le Glossarium de Du Cange de 1678 ; le Dictionnaire universel de Furetière datant de 1727), il n’est aucune allusion aux vampires. Si l’on s’intéresse au Dictionnaire étymologique de Ménage (1750), il en va de même. On constate qu’il faut attendre 1771 pour qu’une définition précise soit proposée dans un dictionnaire, en l’occurrence dans le Tome VIII du Dictionnaire de Trévoux. Le naturaliste français Buffon à son tour utilisa la dénomination vampyr dans son œuvre (à propos de chauve-souris je crois).
La littérature
Le mot est employé dans la littérature assez rapidement. En effet, dès 1748 le poète allemand Heinrich August Ossenfelder écrit le désormais très célèbre « Der Vampyr ».
L’étymologie
La spontanéité avec laquelle le mot est apparu pose problème. Comment en est on arrivé là ? Montague Summers opte pour une base venant du magyar (un groupe ethnique d’Asie centrale à l’origine de la Hongrie) ayant lui-même une origine slavonne très proche du russe upyr (upir, oupier) qui est lui-même quasi-similaire en tchèque et polonais. Ce qui aurait donné oupire une fois francisé à la fin du XVIIème siècle. Le bulgare proposerait des variantes de ce mot comme vapir ou vepir et le ruthénien (Ukraine) proposerait vepyr, vopyr, opir…
Dans Etymologie Wörterbuch der Slavien Sprachen, Miklosich (linguiste Slave) explique que le mot vampire, dérivé de upir, est apparenté au turc uber qui signifie sorcière. Une autre source possible est la racine indo-européenne pi, que l’on retrouve dans le sanskrit pî-bami, le grec pino et le latin bibo, signifiant tous les trois « je bois ». Dans The song of the Russian People, Ralston apparente le mot vampire à deux verbes lithuaniens, très proches phonétiquement mais très différents sur le plan sémantique, le verbe wempti qui signifie boire et le verbe wampiti qui signifie grogner ou gémir. Le deuxième verbe se justifie, en accord avec des traités de démonologie du Moyen-âge, puisque le mort qui n’a pas trouvé la paix pousse des gémissements/grognements.
Plus récemment, une explication faisait du mot vampire le résultat d’une juxtaposition de la première syllabe du mot empusa et de la deuxième du mot slave upir, ce qui, selon Jean Marigny, n’explique pas l’apparition du « v » initial.
La question de l’étymologie de ce mot semble donc, comme le vampire lui-même, nimbée d’une ombre de mystère.
Sources
Bibliographie :
Les cahiers du GERF, n°1, collectif dirigé par Jean Marigny
Roland Villeneuve, Le Musée des vampires
Montague Summers, The Vampire, His Kith and Kin
Matthew Bunson, The Vampire Encyclopedia
R. Nolane et E. Campos, La Chair et le Sang, vampire et vampirisme
Bernhardt J. Hurwood, The Vampire Papers
Les écrits de Lecouteux Claude et Niels K. Petersen
Sitographie :
http://www.vampiredarknews.com/museum/vampire/3.html
http://ameserrantes.free.fr/tmacheur.htm
Concernant la découverte de Tony Faivre d’une orthographe vanpir dans un vieux manuscrit, il faudrait que je me penche sur son ouvrage Les Vampires afin de vérifier s’il en parle.
Une recherche étymologique très intéressante et bien documentée. Il est agréable de voir qu’il existe encore beaucoup d’interrogations et de flous concernant l’origine du terme vampire dans les écrits. Et surtout que tu saches nous indiquer tes doutes. Concernant Buffon, il s’agit bien de chauve-souris :
C’est en 1761, que le Comte de Buffon donne le nom de vampire (Vespertilio spectrum L.) à une chauve-souris d’Amérique latine. Il fut appelé ainsi parce qu’il suce le sang des hommes et des animaux qui dorment, sans leur causer assez de douleur pour les éveiller. Il le décrit comme étant de la taille d’un pigeon lorsqu’il vole. Il nous dit également que : « Le vampire est aussi malfaisant que difforme ; Il inquiète l’homme, tourmente et détruit les animaux. » Buffon étudie donc ce quadrupède volant est s’interroge sur le mode opératoire qu’utilise l’animal pour se sustenter. (Œuvres complètes de Buffon, Tome 15, Mammifères II, page 275 )
Très bien documenté, ça m’a aidé pour un devoir sur le genre fantastique. J’aurai pensé trouver ici l’origine allemande du mot vampire, mais bon.