« La Femme Fatale, une figure du quotidien mais aussi de l’imaginaire séculaire : de Circé à Marie-Madeleine, de la Reine Margot à Vampirella, de Marilyn Monroe à Lilith, de la fée Morgane aux succubes les plus vénéneuses, la vamp, la sorcière, l’enchanteresse, la Belle Dame Sans Merci a toujours inspiré les artistes et les écrivains, mais aussi le commun des mortels. Aimée des uns, haïe des autres, elle peuple de ses courbes protéiformes les pages de la littérature. Estelle Valls de Gomis, écrivain et anthologiste, a rassemblé de jeunes auteurs et des plumes confirmées pour vous dévoiler les Salomé et les Iseult de la littérature fantastique et de fantasy. »
Mise en bouche à l’intrigante poésie, la préface de Charlotte Bousquet donne le ton : Les Dames Baroques prend les atours d’une anthologie mettant la figure féminine à l’honneur. Parfois vénéneuse, souvent tragique, toujours passionnante. Une fois tournée la dernière page de l’objet, force est de reconnaître le soin avec lequel Estelle Valls de Gomis a élaboré la teneur du sommaire sous sa direction. Ce dernier, effectivement, se veut le plus éclectique possible. La femme dans sa plénitude la plus riche et sulfureuse se voit décliner au travers une galerie de portraits saisissant au possible. Difficile de ne pas succomber à l’extravagance de ces récits oscillants du romantisme à la fatalité, incursions qui sombrent parfois dans les replis de l’horreur. Et parmi cette exhaustivité de textes aux plumes inspirées, complétant chacune à leur façon un vaste puzzle, une présence vampirique ne pouvait qu’être indispensable afin de compléter le tableau.
Les crocs de la Basilicate est la nouvelle à qui incombe la lourde tâche de se faire porte-étendard de la littérature aux longues canines. Une tâche menée avec maestria par son auteure, Elie Darco. La prose de celle-ci nous entraîne au XVIIIe siècle au Mont Pollino, sud de l’Italie. On y découvre le quotidien laborieux de Fellenza, une boiteuse au physique ingrat. La jeune femme sous la coupe de l’impitoyable Ernete de Tadiello, un mage adepte de pratiques lugubres dans le confinement de ses laboratoires. Les travaux de l’homme se consacrent en effet à percer les mystères du transfert d’âme. Pour cela, ses expériences prennent pour sujets goules et vampires.
C’est en suivant les corvées de Fellenza que le lecteur va découvrir dans quelles sinistres conditions les créatures sont retenues captives dans les geôles du château et comment la servante s’y prend pour les nourrir de sang – quand elle ne sert pas d’happât pour les piéger lors de battues. En présence des vampires, la jeune femme recourt à certaines règles de prudence, comme par exemple ne pas croiser le regard des détenus. Les vampires du récit font d’ailleurs preuve de classicisme sur la forme : leurs mœurs sont nocturnes, ils sont avides de sang, de leur présence émane une attraction innée… Le pieu et la décapitation sont encore les meilleurs moyens de s’en débarrasser, en tenant compte des gousses d’ails qui empêchent leurs membres amputés de se régénérer. Hormis leurs traditionnelles caractéristiques de prédateurs, les vampires ne semblent pas pourvus de pouvoirs spéciaux.
L’auteure orchestre avec minutie les expériences de l’alchimiste sur ses cobayes goules ou vampires, et dépeint avec une juste pudeur la condition pénible d’une Fellenza rudoyée par son entourage. Un personnage touchant évoluant au sein d’une histoire bien écrite, à l’ambiance prenante, et qui recèle un lot de bonnes idées.
Cependant, se restreindre au seul cadre du vampirisme serait un tort car l’anthologie compte de véritables perles sur la vingtaine de textes en présence. Mes coups de cœur ont jeté leur dévolu sur quatre nouvelles en particulier. Derrière les ombres (Charlotte Bousquet) narre la pente fatale d’un assassin refoulé, victime d’une malédiction imputée à une longue suite d’exactions sur la gent féminine. L’Essor (Sophie Dabat) constitue une fable envoûtante et porteuse d’un espoir transcendé par le bon sens féminin dans un contexte partagé entre fantastique et SF. Rosae Furiarum (Morgane Guingouain) s’inscrit dans la veine torturée d’une de ses savoureuses histoires où un climat sordide et sans concession prend des allures cauchemardesques au fur et à mesure que l’on s’immerge dans la folie d’un homme ; ce dernier ressassant sans cesse une passion dévorante envers sa demi-soeur. Du fantastique, du social sous couvert d’imaginaire et de la démence.
Reste la quatrième nouvelle, ma favorite même si le genre auquel elle appartient n’entre habituellement pas dans mes critères de prédilections. Serments, Éternels Serment d’amour (Léonor Lara) est un récit magique dans tous les sens du terme. Son auteure fait preuve d’un remarquable talent au travers ce conte cruel et macabre. À une époque régie par les codes de la chevalerie, Léonor Lara brosse le portrait d’une princesse éplorée pour qui serments et promesses incarnent une valeur réelle. Chaque mot est ciselé, le langage est beau sans être alourdi de fioritures, les protagonistes sont attachants, et l’ambiance chevaleresque nous happe tout au long des quatorze pages du titre que l’on ne quitte qu’à regret.
Les Dames Baroques est une anthologie de qualité, l’une des meilleures que j’ai eu l’occasion de lire récemment et il y aurait encore beaucoup à dire à son sujet. Sous la direction d’Estelle Valls de Gomis, la vingtaine d’auteurs tirent chacun leur épingle du jeu et insufflent une diversité très appréciable à un ouvrage apte à séduire un large panel de lecteurs, toutes exigences confondues. Dans ce livre, rien n’est à jeter. Si certaines nouvelles se révèlent simplement agréables à parcourir sans toutefois laisser un souvenir inaltérable, d’autres au contraire parviennent à trotter dans un recoin de l’esprit une fois le bouquin refermé. Fantastique, thriller, horreur, poésie… Cette nouveauté parue aux éditions du Riez se paie même le luxe de se clore par une sélection de vénérables auteurs tels que Pétrus Borel ou Jean Lorrain. De la belle ouvrage donc, qui tiendra une place de choix dans toutes bibliothèques dignes de ce nom.