Du vampire des champs au vampire des villes
À partir du milieu des années 80 (même si elle n’arrive en France que 10 ans plus tard), dans les pays anglophones, un nouveau genre littéraire va faire son apparition et impacter toutes les littératures de l’imaginaire : l’Urban Fantasy (ou Fantaisie Urbaine en français). Comme l’explique André-François Ruaud dans sa Cartographie du merveilleux, L’Urban Fantasy se caractérise par le rejet de la société moderne au profit d’un retour du merveilleux. Le non-respect de l’individu, et la mise en scène d’une société déshumanisante est ainsi au cœur des préoccupations des auteurs du genre. Ce qui tisse un lien avec les romans d’Anne Rice, dans leur tentative de ré-humanisation du vampire. Les buveurs de sang font bien évidemment partie de cette migration du bestiaire imaginaire dans l’espace citadin. La Volupté du sang de Nancy Collins, première des aventures de Sonja Blue fait ainsi figure de première confrontation entre les vampires et la Fantaisie Urbaine. On y suit les aventures d’une vampire qui va s’évader de l’asile où elle a été enfermée. Et découvrir que les vampires ne sont pas les seules créatures à exister (sans pour autant que ce fait soit connu de tous) en parallèle à l’humanité.
En réussissant sa migration au sein des villes, le vampire va dès lors pouvoir (et devoir, s’il souhaite rester discret) s’intégrer dans les différentes couches de la société. On assiste alors à l’apparition de vampires dans la sphère professionnelle, comme le professeur de Un vampire Ordinaire de Suzy McKee Charnas (1980), les danseuses du Rouge Flamenco de Jeanne Faivre d’Arcier (1993), ou encore les prostituées de Tapineuses Vampires de Ray Garton (1991). Un nouveau cap est alors franchi, même si cette intégration se fait pour beaucoup vers des professions à la marge, et/ou permettant aux vampires d’assurer aisément leur subsistance.
Le vampire va également comprendre à partir de là qu’il peut tirer profit de la science et de la technologie modernes. On voit ainsi apparaître les premières recherches sur le sang dès les Prédateurs de Whitley Strieber. Pour autant, l’évolution technologique représente aussi un danger accru pour les vampires, les êtres humains se trouvant plus à même de lutter efficacement contre eux. D’où une recherche constante de la dissimulation, ce qu’on retrouve en toile de fond dans la Mascarade du jeu de rôle Vampire.
Buffy, première héroïne de Bit-lit ?
Dans le milieu des années 90, apparaît un personnage incontournable pour ce qui a trait à la figure du vampire. Après un échec au cinéma, Joss Whedon décide en effet de mettre sur pied la série TV Buffy contre les vampires. Situées dans un contexte d’Urban Fantasy, les aventures de la Tueuse de Sunnydale vont poser des bases qui seront reprises en masse par les auteurs, réalisateurs et scénaristes qui suivront. Il ne s’agit pas d’une référence fondamentalement littéraire, mais l’univers a été décliné sur de nombreux supports (dont romans, comics, jeux vidéos) et à ce titre préfigure l’ouverture transmédia de certaines séries (La Communauté du Sud, Anita Blake, Vicki Nelson…).
Buffy narre les aventures d’une lycéenne qui dispose de pouvoirs surnaturels et a pour mission de protéger le monde des vampires et autres démons. Pour autant, elle essaie envers et contre tout de concilier son devoir avec une vie normale (avoir des amis, faire la fête, étudier…). Ce qui permet, sous le couvert du fantastique, d’aborder une grande variété de thèmes (la mort, la sexualité…). Les vampires ont bien évidemment une place centrale dans la série, car deux d’entre eux vont avoir des relations privilégiées avec Buffy : Angel et Spike. Ce sont des personnages contrastés, à la psychologie complexe qui descendent en droite ligne de Louis de La Pointe du Lac et de Lestat de Lioncourt. Le thème du choix, voire du libre arbitre est ainsi très présent dans la série, entre les problèmes psychologiques de Drusilla, Angel susceptible de perdre (et de retrouver) son âme, Spike dont les instincts sont inhibés par une puce militaire…
Le rattachement à la Fantaisie Urbaine est assez évident pour ce qui est de Buffy. La série se déroule en totalité dans un cadre urbain (la ville de Sunnydale), et met donc en situation les relations entre le monde moderne et un univers peuplé de créatures fantastiques. Buffy (en qualité de personnage) va cependant plus loin car elle va être la première à tenter de concilier les deux. Si la série débute sur une tonalité manichéenne, ce voile se déchire rapidement, et laisse apparaître une réalité plus complexe, où tout n’est pas blanc ou noir. Et c’est notamment à travers ses relations amoureuses que l’héroïne va être en mesure de faire évoluer sa position vis à vis des « monstres ».
Buffy est également une des premières séries d’Urban Fantaisie à faire d’une héroïne l’axe central de son histoire. Ce qui va fortement inspirer les auteurs qui vont s’engouffrer dans la brèche, et donner naissance à des séries comme Anita Blake, La Communauté du Sud ou encore Vicki Nelson. Des séries dont le positionnement s’avère un premier temps délicat pour les éditeurs francophones, peu habitués à ce mélange des genres. Si Anita Blake commence sa carrière en France sous la bannière de l’horreur, Vicki Nelson et La Communauté du Sud débutent quant à elles en collection romance, chez J’ai Lu pour Elle.
Hello Hello ! Étant une grande fan de Buffy depuis toujours, je me pose une question par rapport à cet article. Tu dis que Angel et Spike descendent de Louis de La Pointe du Lac et de Lestat de Lioncourt, et ce n’est pas une seule fois cité dans la série. Du coup, est ce que cette info est présente dans les comics ? Ça m’intrigue beaucoup du coup ! ^^
Merci d’avance. 🙂
Il s’agit bien entendu de l’héritage de différentes caractéristiques des personnages, pas d’une filiation mise en scène dans la série TV de Joss Whedon.