Et Bragelonne créa la Bit-lit
La Bit-lit a une histoire particulière. En France, le mot fait son apparition en 2009 via la réédition du premier tome d’Anita Blake, Plaisirs Coupables, et l’édition du premier tome de Mercy Thompson, L’Appel de la Lune, aux éditions Milady. Rapidement, ces choix éditoriaux remportent un certain succès, et d’autres éditeurs s’engouffrent dans la brèche, tel J’ai Lu, qui utilise le terme dans ses argumentaires et quatrièmes de couverture. On ira même, à une époque, jusqu’à constater l’émergence de rayons Bit-lit en librairie, en parallèle à la fantasy ou à la SF. On peut ainsi se rappeler du Virgin des Champs-Élysées qui avait inauguré en grande pompe son espace imaginaire (avec un rayon dédié à la Bit-lit) en 2011.
Mais la Bit-lit n’est pas un genre littéraire à proprement parler. Bragelonne (via son label Milady) en est bel et bien le créateur (malgré les consonances anglo-saxonnes du terme), et la marque a été déposée à l’INPI par la maison d’édition dès 2010. Initialement, il s’agissait de simplifier la communication et le travail des équipes marketing autour de séries d’Urban Fantasy disparates (car pas forcément écrites et publiées dans leur version originale à la même époque) mais possédant des dénominateurs communs. Pour Milady, il s’agit ainsi avant tout de récits mettant en scène des héroïnes combattant des monstres (vampires, garous…) tout en ayant un pied dans un monde moderne et urbain.
Entre romance et paranormal
Si on remonte quelques années en arrière, il n’y a pas ou presque de mélange entre fantastique et romance. Chaque genre est l’apanage de collections (voire d’éditeurs) différents : Pocket Terreur et Fleuve Noir pour le fantastique et l’horreur, J’ai Lu pour Elle et Harlequin pour la romance. Pour autant, la romance pure et dure a du plomb dans l’aile depuis le milieu des années 80. Le lectorat ne se retrouve plus forcément dans les codes caricaturaux de la littérature à l’eau de rose : la place de la femme dans la société a évolué depuis ces trente dernières années et l’arrivée d’une nouvelle génération d’auteurs féminins, en phase avec leur époque, va influer fortement sur la production littéraire. Ainsi naît la Chick-lit, qui met en scène des femmes libérées et indépendantes qui concilient leur vie professionnelle (dans des secteurs comme le marketing, la communication ou la finance) avec leur vie personnelle. La Bit-lit en est le prolongement direct, elle intègre en sus une dimension fantastique.
Les topos de la Bit-lit
La Bit-lit possède, on l’a vu, une filiation avec l’Urban Fantasy, dont elle peut être considérée comme une subdivision. Pour autant, elle possède également des spécificités dans la manière dont le bestiaire fantastique est abordé.
Une large part des œuvres estampillées Bit-lit mettent en effet en scène le coming out d’une ou plusieurs espèces de créatures surnaturelles, dont très souvent les vampires (Anita Blake, Mercy Thompson, La Communauté du Sud). Ce choix va dans le sens d’une humanisation toujours plus forte du vampire (l’intégration peut à partir de là être totale), mais met également ce dernier en butte à la peur des êtres humains. La tolérance vis-à-vis de la différence (qu’il s’agisse de la sexualité, de la couleur de la peau, de l’espèce) est ainsi un axe central dans ces séries, qui réintroduisent ainsi l’idée du vampire comme l’étranger, l’autre. Pour autant, alors qu’à l’époque de Dracula, cette altérité était une finalité et aboutissait à la destruction du vampire, l’époque actuelle tend à en faire le symbole de l’acceptation de l’autre.
Une autre manière d’aborder le sujet a trait à des séries où, plutôt que de mettre en scène l’ouverture sur le monde des vampires, les auteurs choisissent de se focaliser sur un microcosme où le surnaturel et le réel sont imbriqués. C’est notamment le cas dans des séries comme Vampire Academy, Vampire City, Le Miroir aux vampires ou encore dans Maeve Regan. On se focalise alors sur les relations entre les vampires (qui vivent en société) et ceux qui ont conscience de leur existence. Mais pour autant les échanges se font en marge du reste de l’humanité, sans qu’on ait réellement l’impression qu’il y ait des interactions à grande échelle à ce niveau.
Twilight, de la bit-lit ?
Ces dernières années, pour avoir participé à de nombreuses tables rondes sur le sujet, il m’est apparu qu’il existe un réel fossé entre auteurs, lecteurs et spécialistes quand il s’agit de classer les œuvres intégrant la figure du vampire. Faire de la Bit-lit une espèce de fourre-tout de tous les romans mettant en scène les buveurs de sang est un raccourci facile que les médias continuent de propager. Car l’équation Bit-lit = Twilight = romance vampirique guimauve ne se vérifie pas. Pour les lecteurs au fait du sujet, la Bit-lit a pour elle (c’est son héritage de la Chick-lit) de faire de la femme libérée et indépendante un personnage central (ou tente de le faire).
La Bit-lit, de par ses préoccupations et les thèmes abordés, se destine avant tout à un public adulte, ce qui n’est pas le cas de séries comme Twilight ou Journal d’un Vampire. Si rien n’empêche de lire ces séries à tout âge, l’inverse est difficilement possible. D’où l’erreur de conseiller Anita Blake à une jeune lectrice de 12 ans par méconnaissance du contenu (notamment sexuellement explicite).
La place du Young Adult dans la littérature à crocs
Le Young Adult, vu sous l’angle de la littérature vampirique, se pose ainsi comme un intermédiaire avant la Bit-lit. Même si, une fois de plus, il ne s’agit pas d’un genre littéraire, car défini par l’âge de sa cible et pas par des code communs, et car son champ ne se réduit pas aux seules littératures de l’imaginaire. Une partie des textes Young Adult suivent ainsi une partie des codes de la Bit-lit mais en déplaçant le cadre de l’intrigue dans celui dans lequel évolue le lectorat cible : l’école, le collège ou encore le lycée. Twilight de Stephenie Meyer, Journal d’un vampire de L.J. Smith, Chroniques des Stryges de Li-Cam en sont de très bons exemples. Buffy (pour ce qui est des premières saisons) a une approche assez similaire. Les relations amoureuses sont abordées de manière plus chaste, même si cela n’empêche pas des sous-entendus. Twilight n’est-elle pas sous-titrée La Saga du désir interdit ?
Dans les œuvres Young Adult où les vampires sont mis en scène, la part fantastique intervient en premier lieu dans les relations amoureuses de l’héroïne. À l’âge des premiers émois amoureux, ceux-ci se font ainsi avec des créatures fantastiques : Bella et Edward, Helena et Stefan… Le triangle amoureux est également très présent dans ces récits (voire les deux sus-cités). Le vampire peut être ici vu comme une métaphore des changements de l’adolescence, et de la peur du passage au monde adulte (auquel l’immortalité peut être une échappatoire). Les œuvres Young Adult optent de manière quasi systématique pour la représentation d’un microcosme (voir l’article précédent) clos. L’existence des vampires n’est pas connue du commun des mortels, car ces derniers veillent à faire profil bas, en s’intégrant (notamment en étant scolarisé).
Vers une radicalisation de la figure du vampire ?
Twilight est cependant une série à part dans le giron Young adult, car elle marque une réelle radicalisation dans l’évolution du mythe, qui pousse dans leurs extrêmes les pistes ébauchées par Anne Rice. Stephenie Meyer diminue ainsi de manière drastique la part de noirceur du vampire et l’animalité qui subsistait en lui, tout en l’esthétisant de manière outrancière. Meyer consacre les buveurs de sang comme des super-héros fantastiques dont les pouvoirs sont plus attirants que la part ténébreuse (d’autant qu’ils sont parvenus à juguler leurs instincts). Dès lors, dans la vision de l’auteur de Twilight, le vampire ne fait plus peur. Il coupe définitivement les ponts avec le genre horrifique.
Le vampire n’est plus un être isolé, que ce soit vis-à-vis des humains ou vis-à-vis des siens. Il a investi le cadre urbain après de nombreuses tentatives ratées. Mais se faisant, la balance entre Eros et Tanathos qui le représente voit la part Eros prendre le dessus. On assiste ainsi à la prise de pouvoir de la Romance paranormale sur la Bit-lit. Des séries comme Riley Jenson ou encore La Confrérie de la dague noire voient ainsi la part de romance (pour ne pas parler de la charge érotique) prendre le dessus sur le reste de l’intrigue, et poursuivre toujours plus cette tendance à l’esthétisation du vampire.
Comme on l’a vu, l’évolution est logique, même si elle fait grincer des dents les amateurs de textes plus anciens, qui regrettent la part de noirceur du vampire, et ne se retrouvent pas dans cette nouvelle mouture. Pourtant, la conciliation n’en est pas moins possible, si on considère le vampire non pas comme une créature dont la représentation est figée dans le temps mais comme une figure en constante évolution, qui intègre en elle toute ses définitions et avatar passés. Des séries comme A Vampire Story de David Wellington, publiée chez Milady, symbolise au mieux cette idée. Car si on est pleinement face à une œuvre de Bit-lit, centrée autour du personnage féminin fort de Caxton qui essaie de concilier sa vie personnelle et son métier de policier, les vampires y sont tout sauf de séduisantes créatures.