Jusque-là, le paysage francophone ne semble pas vraiment sous l’influence des courants anglo-saxons, même si la version française de Twilight à été publiée dès 2005 chez « Hachette jeunesse » (rebaptisé « Black Moon » à partir de 2007). 2008 est par ailleurs marquée par la naissance du label « Milady », à l’instigation de Bragelonne. Lequel label va inventer le terme bit-lit et, via celui-ci, republier des séries plus anciennes (Anita Blake) comme des nouveautés (Mercy Thompson). Pour autant, aucun éditeur d’importance ne semble disposé à ouvrir son catalogue aux auteurs écrivant dans la langue de Voltaire, tous se concentrant sur des textes anglo-saxons.
C’est à ce moment-là qu’une maison d’édition emblématique pour qui s’intéresse au sujet voit le jour : Les éditions du Petit Caveau. Créée en 2008 par Ambre Dubois, à la suite de l’arrêt de Nuit d’Avril, la maison d’édition associative impose d’emblée une ligne éditoriale centrée autour du vampire. La structure entame son planning de publication en 2009 avec des titres comme le Mauve empire de V.K. Valev, l’anthologie Or et Sang, De notre sang d’Adeline Debreuve-Theresette et la réédition du Manoir des Immortels d’Ambre Dubois (dont tous les opus sortiront par la suite au Caveau). Si ces premiers textes sont ancrés dans un imaginaire gothique, l’anthologie et a fortiori le roman de V.K. Valev se détachent du romantisme prégnant pour ouvrir un nouveau champ des possibles au vampire sous la plume des francophones : celui d’une créature qui se confronte avec l’époque contemporaine, voire future.
Pour autant, la production française continue dans un premier temps de suivre le cap fixé par les décennies précédentes. Ainsi, quand on regarde les titres sortis entre 2007 et 2009, on est sur l’essentiel dans des ambiances victoriennes, avec des textes comme le poétique Lettres aux Ténèbres de Charlotte Bousquet (2008), le jeunesse les Vampires de Londres de Fabrice Colin (2009) ou le sombre Cycle des âmes déchues de Stéphane Soutoul (2009). Reste que le poids du thème chez les anglo-saxons (lesquels arrivent alors chez nous via les titres et éditeurs sus-cités) engage certains auteurs à renouveler leur manière d’aborder le sujet. À la fois en faisant des vampires les narrateurs (même si c’était déjà parfois le cas) mais surtout en choisissant des époques moins évidentes. Fabien Clavel, avec Homo Vampiris (2009), Catherine Dufour avec la première nouvelle du recueil l’Accroissement mathématique du plaisir (2008) choisissent de faire autre chose du vampire, en le plaçant dans le registre de la SF. Les auteurs de l’anthologie Vampires : Sable Noir, Li-Cam avec Lemashtu (2009), Eric Hohlstein avec Petits arrangements avec l’éternité (2009) choisissent le XXe ou le XXIe siècle. Pour autant, on peut encore difficilement parler de bit-lit à la française, les personnages féminins n’étant encore que rarement des narrateurs – acteurs.
La double tendance va se poursuivre en 2010, avec d’un côté des ouvrages situés dans le présent et le futur, comme les Vestiges de l’aube de David S. Khara (même si ce dernier fait des allers-retours dans le passé de son personnage vampire) ou l’Évangile des Damnés d’Alick, et de l’autre Lancelot ou le chevalier trouble d’Estelle Valls de Gomis. On trouve également des ouvrages qui hésitent entre les deux, comme les recueils Marelles d’Ombre de Denis Labbé ou Spectres et autres noirceurs de Gilles Bizien. Les deux auteurs voguent en effet entre passé et présent, même si là encore les personnages centraux sont des hommes. Mais à regarder ce qui est sorti depuis 2008, force est de constater la mainmise des auteurs masculins : neuf contre cinq auteurs féminins pour les romans cités plus haut. Le constat est le même pour les anthologies, à l’exception d’Or et Sang, (cinq hommes et onze femmes), quasi avant-gardiste à ce niveau.
2011 est pour commencer une année fastueuse, avec (d’après nos données) quatorze ouvrages en langue française consacrés aux buveurs de sang sur une seule année (pour comparaison, on ne dénombrait que six livres en 2009 et autant en 2010, la production fait donc plus que doubler). L’autre grande nouveauté est liée à la place des auteurs féminins, qui prennent alors le pouvoir. Marika Gallman avec Maeve Regan, Georgia Caldera avec les Larmes rouges, Sophie Jomain avec Félicity Atcock, Cassandra O’Donnel avec Rebecca Kean, Lydie Blaizot avec la Maison de Londres et Autour de Londres, Christy Saubesty avec Kolderick, Ambre Dubois avec Absinthe et Démons et Malaïka Macumi avec les Anges de l’Ombre. Pour la participation de ces messieurs, on ne note que Chimères d’Albâtre de Stéphane Soutoul et le Miroir aux vampires de Fabien Clavel. Le format série s’impose également, avec sept premiers tomes la même année, contre trois recueils et une anthologie : Ils ne devaient pas s’aimer. 2011 met par ailleurs en position de force les petites maisons d’édition (le Caveau, les éditions du Riez, Rebelle et le Chat Noir — nées en 2011 — dominent ici face aux grosses structures). Pour autant, les maisons d’édition plus importantes commencent à voir l’intérêt d’incorporer à leur catalogue des auteurs francophones. A commencer par Milady qui récupère Marika Gallman alors que le premier opus de Maeve Regan vient à peine de sortir aux éditions du Petit Caveau. L’éditeur imaginaire va ici plus loin que J’ai Lu, qui venait de publier une auteur française (et sa série mettant en scène des buveurs de sang) à son catalogue, mais sous un pseudonyme fortement anglicisé (Cassandra O’Donnel).
Il faut enfin noter l’importance des lieux où se déroulent les intrigues. Dix des ouvrages publiés dans le registre vampirique et écrits en 2011 par des francophones se déroulent en Europe, contre un aux États-Unis, un en Océanie, un dans un lieu non situé et un dernier où les emplacements varient d’un texte à un autre (de facto, il s’agit d’une anthologie). Et sur les huit romans faisant parti du corpus, cinq mettent en scène des vampires, dont l’objectif n’est pas forcément de chasser ceux de leur espèce (pour six d’entre eux). On s’écarte donc un peu plus de l’image du vampire-antagoniste contre lequel doivent lutter les biens pensants. Tout en voyant la créature se féminiser, avec des textes mettant quasi-exclusivement (à l’exception de la série de Lydie Blaizot) aux centres des intrigues des personnages féminins. Lesquels développent avec les vampires des relations teintées de romantisme, rompant avec la traque manichéenne d’alors. Sachant que les vampires y évoluent souvent avec d’autres créatures (sorciers, loups-garous…) et dans un contexte de plus en plus urbain. C’est donc l’avènement de la bit-lit française.