La publication du Dracula de Bram Stoker, l’un des romans emblématiques du vampire de fiction, à défaut d’être le premier, a lieu en 1897. Soit au même moment que les premiers pas du cinéma. Ce qui explique sans nul doute pourquoi, à partir de là, les vampires du 9e et du 5e art sont liés par une relation bilatérale, voués à se définir l’un l’autre, au fil des courants cinématographiques et littéraires. Sachant qu’on ne peut pas parler de genre à part entière pour le vampire, étant donné qu’on trouve aussi bien des vampires dans la science-fiction, le fantastique, la comédie, le policier, etc.
Le vampire, cet animal monstrueux
Le vampire est né en même temps que le cinéma. C’est en effet une des rares (sinon la seule) créature fantastique à avoir droit aux honneurs du grand écran avant le parlant. Si on dénombre plusieurs courts-métrages qui flirtent avec le mythe, c’est bien le Nosferatu de Murnau qui acte en 1922 le premier long-métrage vampirique. Adaptation libre du roman de Stoker, le film a bien failli ne jamais arriver jusqu’à nous. Murnau et son scénariste avaient beau avoir modifié la toponymie et les noms des personnages. Florence Stoker leur intenta rapidement un procès, le film allemand étant une adaptation pirate du Dracula du roman de Bram Stoker. Elle gagna le procès mais quelques copies échappèrent à la destruction, ce qui permit au film dès 1937 de circuler sous le manteau.
Nosferatu inaugure la première période du film de vampire, suivi par d’autres films comme le Vampyr de Dreyer (1932). Des films qui imposent le vampire comme une créature monstrueuse (par sa difformité, son animalité) et ajoutent de nouvelles caractéristiques au mythe littéraire, à commencer par l’impossibilité du vampire de supporter la lumière du soleil. Deux films qui sont par ailleurs représentatifs de l’expressionnisme allemand, autant par la déformation de la réalité qu’ils proposent, et par les émotions auxquelles ils en appellent chez le spectateur (l’inquiétude et la peur étant omniprésentes). Deux films qui sont également hantés par le traumatisme de la deuxième guerre mondiale et par des épidémies à grande échelle, comme celle de la grippe espagnole. Sans même parler des caractéristiques physiques du vampire, qui rappellent fortement la représentation caricaturale des Juifs à cette époque. Deux films, enfin, qui présentent le monde sur le point de basculer sous la coupe du mal et de l’occulte.
Le vampire, un séducteur inquiétant
1931 marque une nouvelle étape dans l’histoire du cinéma. Après le succès de l’adaptation théâtrale du roman de Bram Stoker, Universal en achète les droits d’adaptation à Florence Stoker et confie le projet d’adaptation à Tod Browning. Lequel s’était déjà penché sur le thème du vampire en 1927 au travers du désormais perdu London After Midnight (la dernière copie existante du film disparut en 1967 lors d’un incendie. La version sortie en 2002 en DVD a été reconstituée à partir de photos et de la bande-son).
Si Browning comptait attribuer le rôle du comte à Lon Chaney, son acteur fétiche (qui jouait un vrai – faux vampire à la dentition acérée dans London After Midnight), le décès de ce dernier va contrarier ses plans. Jusqu’à ce que se présente un acteur de théâtre d’origine hongroise, Bela Lugosi. Lequel va permettre au réalisateur de proposer une image inquiétante mais à visage humain du vampire. Le film n’est cependant pas fidèle au roman, mais à la pièce : certains personnages disparaissent, les lieux de l’action sont très peu nombreux (adaptation de pièce de théâtre oblige). Browning délaisse le grotesque des films de vampires précédents pour imposer l’image d’un vampire à la fois séduisant et avide d’imposer sa domination, tout en jouant sur un sous-entendu sexuel dont l’interprétation est laissée au spectateur (tout se passe sous la cape du vampire). Le film s’appuie également sur un message pour le moins misogyne, où la menace du vampire sera stoppée par la figure patriarcale d’un Van Helsing.
Bela Lugosi, son accent est-européen marqué, son regard perçant et sa cape noire vont faire de lui le prototype du vampire dandy. À noter également qu’en parallèle du film de Tod Browning, George Melford tourna dans les même décors (et en alternance jour / nuit avec son collègue américain) une version du film destinée au marché hispanophone. Sous certains aspects, elle est meilleure que le film de Browning.
Mais c’est bien le Dracula de Browning qui connut un gros succès à l’époque, servit de modèle à la majorité des adaptations de Dracula qui suivirent, lança la mode des films de monstres de la Universal, et eut droit à deux suites : La Fille de Dracula (qui poursuit l’histoire après la mort du comte, en suivant cette fois-ci sa fille) en 1936 et Le Fils de Dracula en 1943 (premier film sur le sujet à déménager l’histoire aux États-Unis, qui plus est en Lousiane, des décennies avant Anne Rice). Quant à Lugosi, même s’il est aujourd’hui indissociable du rôle, il ne joua finalement un vampire (surnaturel ou non) que 5 fois dans sa carrière : dans Dracula (1931), Mark of the Vampire (remake, sorti en 1935, de London After Midnight), Return of the Vampire (1944), Abbott & Costello Meet Frankenstein (1948) et Old Mother Riley Meets the Vampire (1952).
La Universal finira par épuiser le filon. Après avoir abordé séparément les différents monstres du panthéon horrifique, elle essaiera de les mixer dans deux films mash-up sympathique mais qui sentent déjà le déclin : House of Frankenstein (1944) et House of Dracula (1945). Deux films qui voient John Carradine endosser la cape du comte. L’heure n’est plus au tragique, le public demande davantage de légèreté, et la firme américaine enlise son comte dans des comédies burlesques où il n’a plus grand chose d’effrayant, comme le suscité Abbott & Costello Meet Frankenstein (En français Deux nigauds contre Frankenstein). Le vampire y apparaît comme une créature dont le décalage avec la réalité est devenue source de moquerie. Incapable de se débarrasser du personnage, Bela Lugosi finira enterré dans la cape qui vit sa gloire.
Bonjour, je pense que pour ce qui concerne Tod Browning et Dracula, vous avez fait une faute de frappe, c’est de toute évidence à Lon Chaney que vous pensiez, et non à son fils !
Par ailleurs il y eut une autre adaptation (très libre) de « Dracula » en même temps que le Murnau, c’est le film hongrois « Dracula halala » réalisé en 1921.
Et enfin, bien qu’il soit surnommé « Le vampire » dans le film, Bela Lugosi n’incarne nullement un seigneur de la nuit dans le « Mother Riley » que vous citez !
Cordialement, Jean-Claude
Merci pour votre vigilance. J’ai corrigé les coquilles pointées. En effet, dans Old Mother Riley, Lugosi ne joue pas directement un vampire, mais un personnage qui se prend pour un vampire. J’ai donc ajouté cette distinction tout en maintenant ainsi le film dans la liste. A cette liste, on pourrait également ajouter Plan 9 from outer space d’Ed Wood, même si le cas est un peu épineux (Les images montrant Lugosi proviennent d’un autre film que Wood n’avait pas terminé, et dont l’un des titres de travail était Tomb of the Vampire).