Deux hommes de main livrent une lourde caisse dans un vieux sanatorium abandonné. Leur curiosité les conduira à un destin tragique. À quelques encablures de là, une calèche transporte Imre et quatre jeunes femmes, Karen, Senta, Marlene et Elke. Au moment où leur attelage s’engage sur le col de Borgo, il perd accidentellement une roue. Les chevaux, que l’endroit semble effrayer, sont difficiles à contrôler, et l’un d’eux finit par blesser mortellement le cocher. Le petit groupe est ainsi contraint de trouver refuge au sanatorium, où ils sont accueillis par Dr. Wendell Marlowe. Celui-ci, un médecin anglais, projette de réouvrir les lieux, même si ces derniers sont réputés maudits, leur ancien propriétaire s’étant livré à des expériences innommables entre les murs. Et le château de Dracula n’est pas loin…
Dès les années 1960, sous l’impulsion de la Hammer, le cinéma de genre envahit l’Europe. Si l’Italie est le premier pays à s’imposer dans la course, l’Espagne n’est pas en reste, portée par des noms comme Jesús Franco ou Paul Naschy. Sorti en 1973, El gran amor del conde Drácula voit Naschy, qu’on avait jusque-là plutôt connu dans le rôle du loup-garou Waldemar Daninsky, endosser la cape de Dracula. L’ancien haltérophile, devenu une icône du cinéma espagnol, est une nouvelle fois à la manœuvre dans la genèse du film. En effet, Naschy est à l’origine du scénario du métrage, qu’il co-signe. Il y campe un personnage principal aux multiples aspects, qui révélera son héritage dans la dernière partie du récit.
L’histoire puise de nombreux éléments dans le roman de Bram Stoker. L’intrigue se déroule en Transylvanie, les ruines du château de Dracula sont visibles à distance, et l’on assiste à la constitution d’un trio de femmes vampires. Il est également fait allusion à la trame même du livre, par l’entremise des mémoires de Van Helsing. Pour autant, le film de Javier Aguirre n’est en rien une adaptation de Dracula, mais une variation autour de ce qu’est le personnage. Le vernis gothique s’impose à l’image, entre les décors poussiéreux, la présence du cercueil de Dracula, les forêts impénétrables. Mais le projet laisse éclater à l’écran la dimension sexuelle du propos, tout en mettant à l’honneur le sadisme de sa figure centrale. Les protagonistes féminins sont légion et évoluent la plupart du temps en nuisette. La morsure, dont elles sont les victimes principales, les voit pousser des gémissements à la limite de l’orgasme. Et il y a dans le même temps ce rapport à la douleur, cette violence qui survient de manière récurrente, que ce soit quand Dracula s’oppose aux autres vampires ou lors du rituel qui doit aboutir au retour de sa fille.
Présence de Dracula oblige, l’histoire montre des vampires qui ont besoin de sang pour survivre. Ils sont repoussés par les crucifix et la morsure finit par transformer les victimes en de nouveaux vampires. Les buveurs de sang n’ont enfin pas de reflet dans les miroirs, et meurent s’ils sont exposés au soleil, ou si on leur enfonce un pieu en plein cœur. Dans le même temps, le scénario fait montre d’originalité quant au personnage de Dracula. Si le corps de ce dernier peut être détruit, il n’en va pas de même pour son âme, capable de se réincarner à chaque génération. Pour autant, seule une vierge qui se donnerait à lui de son propre gré est en mesure de restaurer la pleine mesure du pouvoir du vampire. Il y a enfin l’idée que l’obsession de Dracula, au-delà de redevenir une créature de la nuit, est de redonner vie à sa fille Rodna.
El gran amor del conde Drácula est une intéressante circonvolution autour du roman de Stoker. L’ensemble n’est pas parfait, et distille en de nombreux moments un parfum de kitsch. Pour autant, il n’en demeure pas moins que le film s’approprie le mythe de Dracula à sa façon, contribuant au corpus des longs-métrages ayant peu à peu érigé le comte en une figure romantique. Car si c’est l’amour d’une humaine qui doit permettre à Dracula de redevenir le roi des vampires, il n’est pas à l’abri de tomber lui-même amoureux.