Après que son escorte a été attaquée par des brigands, le marquis d’Urfé se retrouve seul et perdu dans une région isolée d’Europe de l’Est. Alors qu’il cherche un refuge et de l’aide, on le dirige vers la maison du vieux Gorcha. Ce dernier vit au-delà de la forêt, patriarche d’une famille composée de sa fille, de ses deux fils, et de la femme et du fils de l’aîné. C’est le cadet qui conduit l’aristocrate jusqu’à la demeure. À la faveur de la nuit, le père revient et explique qu’il est parvenu à tuer des brigands turcs qui ont semé le chaos dans les environs les jours précédents. Seul lui a échappé le chef, Alibek. La fille, Sdenka, et son jeune frère racontent que le père a lui aussi quitté le domicile, armé de son arquebuse. Il a averti que s’il ne rentrait pas avant six jours, on devrait le considérer comme un Vourdalak, et se garder de lui.
Sorti en 2023 dans les salles françaises, le Vourdalak d’Adrien Beau est la sixième adaptation de la nouvelle d’Alexei Konstantinovitch Tolstoï. À noter que le texte original a été initialement écrit en français, alors que l’auteur était en poste en Allemagne. Toutes les versions ne sont pas visibles en France, mais celle de Mario Bava (un des segments des Trois Visages de la peur de 1963) et celle de Giorgio Ferroni (La nuit des Diables, 1972) sont bien connues des amateurs de genre. Le premier métrage était relativement proche du texte de Tolstoï, en dehors de la fin. Le second film faisant basculer la trame dans l’ère contemporaine, et prend davantage ses distances avec la nouvelle de Tolstoï.
Le projet d’Adrien Beau a une certaine fidélité à l’histoire de Tolstoï. C’est déjà un récit d’époque, D’Urfé étant un ambassadeur envoyé par la cour du roi de France. L’ensemble des personnages sont bien présents, depuis le vieux Gorsha, ses enfants, sa bru et son petit-fils. Ce sont peu ou prou les seuls protagonistes. Le récit-cadre original disparaît, le réalisateur choisissant de plonger d’emblée le spectateur dans l’intrigue. Les scènes emblématiques de la nouvelle sont néanmoins bien là, depuis le retour de Gorsha, la mort de son petit-fils, la relation entre D’Urfé et Sdenka. Pour autant, Adrien Beau en offre une lecture différente. Celle-ci possède un côté grand guignol, qui repose autant sur le ridicule de D’Urfé que sur l’idée d’une marionnette pour camper Gorsha, revenu en Vourdalak. Le métrage est également très théâtral dans le jeu de ses acteurs, dans leur manière de dire leur dialogue. D’Urfé quant à lui n’est pas un personnage aussi positif que dans le texte. Son attirance pour Sdenka et le rejet de celle-ci le voit assumer l’attitude de sa caste, qui prend de force ce qu’il estime lui être dû. Matière à porter le récit sur le registre de la lutte des classes. Les aristocrates contre les paysans, le rationnel contre la croyance au surnaturel, les femmes contre les hommes. Et dans le même temps, le métrage traite également du thème de l’emprisonnement. Celui de Sdenka, condamnée à rester avec les siens pour avoir aimé sans que cela lui soit autorisé, D’Urfé qui agit en aristocrate, l’ainé dont la propension à s’habiller en femme est raillée par son père et son frère…
Le film ne lésine pas sur ses effets gore, et les bruits de succions des vampires lorsqu’ils s’attaquent à la gorge de leurs victimes. Mais le principal recours dérangeant est incarné par Gorsha, campé par une marionnette décharnée. Matière à souligner comme il se doit que le personnage n’est plus humain. Le fils cadet explicite lui-même ce qu’il en est, quand il relate les admonestations du père. S’il n’est pas rentré au bout de 6 jours, il faudra le considérer comme mort, ou comme devenu un Vourdalak. Une créature vampirique avide de sang, qui s’attaque à ceux qu’il a aimés de son vivant, et les corrompt les uns après les autres. Le Vourdalak, à l’image du vampire, est doté d’une puissance physique hors du commun. Certains rituels paraissent cependant en mesure de le repousser, voire d’empêcher la propagation de la malédiction, s’il n’est pas déjà trop tard.
L’une des forces de ce récit, c’est aussi de proposer un vampire littéraire qui n’est pas encore Dracula, et tient davantage aux vampires traditionnels, comme Arnold Paole et Peter Plogojovitz. L’auteur intègre à ses caractéristiques l’idée qu’il mâche son linceul, moyen pour lui de se débarrasser des humeurs qu’il secrète.
Une adaptation vraiment à part de la nouvelle originale, à la fois fidèle et qui sait se l’approprier par la mise en place de ces personnages. La tragi-comédie incarnée par D’Urfé offre un regard très différent sur le matériau d’origine, la conclusion achevant de faire basculer l’histoire dans une ambiance pas si éloignée que ça du Bal des Vampires.
Le film est sorti dans les salles françaises en octobre 2023. Il est désormais disponible sur Amazon Prime et OCS.