Peter Leow est un agent littéraire ambitieux et sans attaches, qui enchaine les relations d’un soir. Ses sessions hebdomadaires avec sa psychothérapeute semblent les seuls écarts à sa vie de golden boy. Jusqu’au jour où il ramène chez lui Rachel, qui lui plante ses canines dans la gorge durant leurs ébats. Peu à peu, Peter a la sensation de changer. Il prend comme souffre-douleur sa secrétaire Alva, allant jusqu’à la poursuivre à son domicile. La nuit, il est persuadé que Rachel, dévorée par la jalousie, l’empêche désormais de sortir, le vidant de son sang. Il devient impossible pour lui de supporter la lumière du soleil l’éblouit, ou la vue d’une croix. Peter est-il en train de basculer dans la folie ou se transforme-t-il en une créature de la nuit ?
Réalisé par Robert Bierman (dont c’est un des rares longs métrages pour le grand écran), sur un scénario de Joseph Minion (à qui l’on doit également le script de After Hours), Vampire’s Kiss (Embrasses-moi vampire en VF) est une variation résolument contemporaine autour de la figure du vampire. Alors que l’ère Reagan s’achève (comme le rappelle Vincent Nicolet dans les bonus de l’édition BHQL), le film paraît s’attaquer de manière acide le libéralisme économique. Notamment à la figure du yuppie, ces jeunes cadres ambitieux qui incarnent un capitalisme amoral, et une double obsession pour l’argent et la réussite. Les parallèles avec American psycho, sorti en 2000, sont d’ailleurs nombreux, d’autant que certaines scènes (la poursuite d’Alva) semblent fortement inspirées du métrage de Bierman. Dans le même temps, on peut aussi voir dans ce film une personnification de la masculinité la plus toxique. Peter enchaîne les conquêtes sans regarder derrière lui. L’enfer qu’il fait vivre à sa secrétaire trouve quant à lui son apogée lors d’une scène où le viol est plus que suggéré.
A l’image du Martin de George Romero, dont il s’impose comme un héritier, Vampire’s Kiss entremêle réalité et fiction. Le spectateur et le protagoniste central en viennent à confondre les rêves et le réel. Le doute s’installe dès les premiers événements d’apparences surnaturelles. Alors qu’il a été mordu durant la nuit par Rachel, Peter se lève pour préparer deux cafés. S’il s’adresse à sa nouvelle relation tout en approchant avec un plateau dans les mains, la caméra s’attardera sur le lit… vide. Difficile à catégoriser, le film oscille frénétiquement entre drame, comédie et fantastique, porté par l’interprétation hallucinée de Nicolas Cage. Si celui-ci incarne de manière distante le personnage au début du récit, la progression du protagoniste dans la folie explose — de même que le jeu de l’acteur — dans le dernier tiers. Cette évolution prenant fin au meurtre dont il se rend coupable, qui achève son basculement.
La figure du vampire est centrale dans le film, mais la dimension fantastique n’est pas avérée. Reste que les codes du genre s’imposent. Déjà dans l’altercation de Peter avec une chauve-souris. Puis dans la morsure dont il est (ou se croit) victime, qui va déclencher des hallucinations de plus en plus prononcées. Le protagoniste finit par être difficilement en mesure de supporter le soleil, se sentir repoussé par les croix. Il a aussi l’idée de transformer en cercueil son canapé, retournant ce dernier sur des piles des livres. Mais le réalisateur convoque également la figure de Renfield, sans doute pour souligner les psychoses du personnage, qui mange un cafard, puis des oiseaux.
Sorti quelques années avant le Dracula de Francis Ford Coppola, qui marquera un retour au vampire gothique et romantique, Embrasse-moi, vampire peut être vu comme le climax d’un vampire qui ne fait désormais plus qu’un avec la société urbaine et contemporaine. Jusqu’à incarner à merveille ses travers et l’une de ses figures les plus parasitaires : le yuppie.