Dans les années 1970, en Hongrie, Mária Magyar et László Kun sont un couple d’agents qui travaillent pour la police secrète. Plus habitués à former les nouvelles générations, on leur confie la mission d’accompagner Fábián, un expatrié hongrois qui revient au pays pour superviser une collecte de sang pour le Vietnam. Mária est chargée de chaperonner leur ex-compatriote, alors que László sera à la tête de la surveillance des opérations. Problème : Fábián, qui a tenu les armes pendant la révolution aux côtés de l’actuel premier ministre… a l’apparence de quelqu’un de cinquante ans de moins. L’homme est qui plus est plein d’étrangeté : il craint la lumière du soleil, est doté d’un odorat et d’une ouïe hors du commun. Alors que Mária joue son rôle de chaperon à merveille, László — un tantinet jaloux, est persuadé que Fábián cache quelque chose.
Camarade Dracula (Comrade Drakulich en version originale) est une réalisation hongroise de 2019. Si le pays peut s’enorgueillir d’être celui de la Comtesse Bathory, personnage historique rattachée à la figure du vampire, que savons-nous de l’apport local au vampire du grand écran ? Les filmographies citent immanquablement Drakula halála, sorti en 1921 — et ainsi le premier long-métrage à utiliser le nom du comte — a totalement disparu. Et le matériel qui subsiste tend à démontrer que l’on n’est pas face à un vampire au sens strict du terme. N’oublions pas, également, que Béla Lugosi était un acteur d’origine hongroise. La Hongrie n’est donc pas pour rien dans les premiers pas des buveurs de sang à l’écran. Pour ce qui est d’œuvre plus récentes, elles sont peu nombreuses mais on peut cite Metamorphosis (2007, avec Christophe Lambert, qui convoque la légende de Bathory) ou plus près de nous The Curse of Styria (2014, avec Stephen Rea, une variation autour de Carmilla). Malgré son titre, Camarade Dracula ne met pas en scène la créature imaginée par Bram Stoker. C’est le premier film de Márk Bodzsár, qui officiait jusque-là en tant que scénariste sur des productions hongroises). Ici, il opte pour une approche satyrique, en exploitant dans un même film la thématique du vampire et le passé communiste de la Hongrie.
Si c’est sous le couvert d’une aide humanitaire au Vietnam que Fábián est convié à nouveau en Hongrie, le spectateur comprend rapidement qu’il y a une raison sous-jacente. Un haut dirigeant communiste malade aspire en effet à l’éternité et mandate les services secrets pour subvenir à son besoin. Le film joue d’ailleurs dès ses premières phrases sur le thème de l’immortalité. Mária oppose ainsi l’immortalité rêvée par chacun dans ses jeunes années à l’immortalité du communisme, puis à celle du vampire. De l’aveu du réalisateur, derrière le film il y a l’ambition d’aborder une partie de l’histoire de la Hongrie qui transpire encore aujourd’hui, même si une large majorité de la population n’en a pas conscience. La trame prend le tend d’étoffer ses personnages, offrant à Mária une vraie émancipation, que ce soit vis-à-vis du régime ou de sa propre vie (qui est liée au parti, de par son métier et celui de son conjoint).
La figure du vampire est exploitée à plus d’un titre dans le film. Dès sa première apparition à l’écran, le spectateur a conscience de l’intérêt que Fábián éprouve pour le sang. Cette attirance est appuyée un peu plus quand il goûte le pansement de Mária. On apprend rapidement qu’il est atteint d’une maladie rare qui le rend sensible aux rayons UV (et l’oblige à se protéger du soleil). On verra par la suite qu’il ne supporte pas l’ail, pas plus que les crucifix ou l’eau bénite. Mais son état ne va pas sans quelques pouvoirs : il est ainsi doté d’un odorat très développé et peu voler. En dehors du personnage de Fábián, le réalisateur prend le temps d’asseoir la figure du vampire au travers des recherches menées par son duo de protagonistes principaux. On les verra notamment se plonger dans le visionnage de Blacula, ou la lecture d’un (faux) roman hongrois sur le sujet, Le lac des vampires. Kun mentionne également Dracula à Mária, dans son interprétation par Béla Lugosi (acteur d’origine hongroise).
Croisement inattendu entre une comédie de vampire et un film sur le passé communiste de la Hongrie, ce Camarade Dracula ne manque pas d’intérêt. L’image est belle, les acteurs convaincants, et les dialogues efficaces. On ne rit pas à gorge déployée, mais certaines punchlines font mouches.
L’édition française proposée Extralucid Films propose deux bonus à ne pas manquer. Tout d’abord une interview de Fabien Mauro, journaliste et spécialiste cinéma. Il revient sur le passif de la Hongrie au niveau du cinéma ès vampire. Son intervention permet également de cerner les différents aspects du film, notamment l’intrication entre la comédie vampirique et le passif communiste hongrois. De quoi préparer au second bonus, l’interview du réalisateur Márk Bodzsár, qui prend la forme d’une petit masterclass autour du projet, depuis les premières briques jusqu’aux différentes étapes de la réalisation.