Coogler, Ryan. Sinners. 2025

Les jumeaux Smokestacks ont quitté la ville de Clarksdale depuis des années, déjà pour les champs de bataille de la première mondiale, puis pour les promesses de la ville de Chicago. Désabusés par ce qu’ils y ont vu et fait, ils décident de revenir dans le Mississippi, et de monter un club de blues sur place. Pour ce faire, ils se portent acquéreurs d’une ancienne scierie, qui leur est vendue par un homme blanc peu désirer de s’attarder ou de donner des détails sur l’endroit. Peu importe aux deux frères : ils doivent encore constituer l’équipe qui animera les lieux, à commencer par le jeune Sammie Moore, dit Preacherboy, un guitariste particulièrement doué.

Sinners s’impose comme le premier film de 2025 à convoquer la figure du vampire. C’est le sixième long-métrage du réalisateur Ryan Coogler (qui en signe le scénario), surtout connu pour les deux Black Panther (2018 et 2022) et pour Creed (2015). Avec Sinners, il propose un hybride entre Une Nuit en Enfer (1996) et un film d’époque (les années 1930), sur fond de lutte raciale. Car sous ses atours d’actioner, Sinners dépeint une population afro-américaine qui peine à trouver sa liberté. L’esclavage a été aboli depuis plusieurs dizaines d’années, mais a laissé place à la ségrégation, qui voit une séparation assez nette entre la population de couleur et les blancs. Le blues nait dans ce sillage, véritable exutoire pour ceux qui sont poussés vers des labeurs aussi ingrats que peu rémunérateurs. C’est dans le même temps une musique à la lisière du surnaturel — faut-il rappeler le thème des guitaristes qui passent un pacte avec le diable ? Sinners parvient à convoquer tout ce qui constitue cette période, et fait de la musique l’un de ses principaux fils rouges. De nombreux morceaux sont joués par les personnages instrumentistes et chanteurs présents dans le film, et la musique accompagne la progression de l’intrigue. La bande-son appuie l’insouciance des débuts et la frénésie des premières heures d’ouverture du bar évolue vers davantage de lourdeur et d’inquiétude à partir du moment où le trio de vampires fait son apparition. La musique oppose également à sa façon les redneck racistes au blues des afro-américains, cathartique, pour ne pas dire magique. Les compositions jouées par les trois premiers buveurs de sang — bientôt accompagnés de leurs victimes — en appelle dans le même temps au souvenir de la vieille Europe (le morceau Rocky Road to Dublin). Le choix du Sud des Etats-Unis est enfin intéressant. L’endroit cristallise à la fois les tensions raciales et la cohabitation entre croyances surnaturelles des afro-américains et la foi religieuse. C’est également un espace géographique récurrent dans la fiction ès vampire, et ce depuis le Son of Dracula (1943). de Robert Siodmak, même si c’est davantage son utilisation par Anne Rice qui a durablement ancré ce territoire dans l’imaginaire vampirique.

La figure du vampire est importante dans le film, mais ce n’est pas dans la manière de convoquer celle-ci que le réalisateur apporte quelque chose de novateur. Le premier vampire à apparaître a tôt fait de créer de nouveaux morts-vivants, sa seule morsure paraissant suffire. C’est Annie, personnage de sorcière afro, qui donnera aux protagonistes quelques clés pour comprendre à qui ils font face. Pour elle, la morsure du vampire condamne la victime à une immortalité qui empêche l’âme de trouver le repos. Elle réalisera la teneur de la menace quand l’un des nouveaux vampires se fait insistant pour entrer dans la salle. Il ne peut en de fait plus pénétrer celle-ci sans être invité. En dehors de cela, les morts-vivants présentés ici paraissent craindre l’ail (même si aucune démonstration n’est faite en ce sens), peuvent être tués par un pieu en plein cœur ou par le feu et le soleil. Les balles et armes traditionnelles n’ont aucun effet à long terme sur eux. En revanche, blesser le vampire qui est à l’origine du mal fait ressentir la douleur à ceux qu’il a engendrés.

Sinners ne révolutionne pas le film de vampire, n’apportant rien de foncièrement neuf à la mythologie de la créature. Pour autant, le long-métrage de Ryan Coogler dépasse le statut de simple film d’action par le soin accordé à sa photographie, par une utilisation redoutable de la musique — qu’elle soit intra ou extradiégétique — et enfin par le jeu d’acteur de Michael B. Jordan, qui incarne à lui seul les deux frères jumeaux. Difficile, enfin, de ne pas être enthousiaste face à un film de genre aussi soigné et déconnecté de toute licence préexistante.

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